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Le Gravel et le gigot de 13 heures …

Nous avons adoré le récit de Jérôme Sorrel sur Stava concernant la sortie Gran Fondo Gravel, organisée par l’Échappée Belle le 29 octobre 2017 à laquelle il a participé. Certains de nos lecteurs l’ont peut-être loupé, alors nous avons demandé à Jérôme et à Patrick (Échappée belle) l’autorisation de revenir sur ce « grand moment » de « Graveul » … Un vrai plaisir de lecture et surtout une belle réflexion sur ce qu’est le Gravel …

Jérôme à toi la parole …

« En Grave(u)l, on se fend la gueule … » ou encore la différence entre les rendez-vous en terres inconnues et ceux en terrains connus.

« Gravel » voilà un terme clivant dans le petit, et bien-pensant, monde du vélo. Le vélo est un milieu de puristes. C’est d’ailleurs cela qui éloigne, en France le vélo de sa vocation de véhicule, pour le cantonner à un objet de loisir, mais le débat du jour n’est pas là.

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Le Gravel n’est qu’une proposition graveleuse pour salir son bijou rutilant … photo Échappée Belle

Les cyclistes traditionnels, ne voient dans le Gravel qu’une proposition graveleuse pour salir son bijou rutilant, à la fin de la semaine, après qu’il ait passé sa semaine à l’abri de toutes tentations. Ces mêmes puristes considèrent que le terme CX ne peut être qu’une formule mathématique pour calculer son coefficient de trainée. Cette même trainée, n’étant au grand jamais croisée sur le trottoir. Elle n’a pas plus d’importance là aux yeux du routier qu’au centre de la chaussée. Loin d’être un objet de désir, elle est au contraire refoulée par un ensemble d’artifices qui permettront de boucler la boucle plus vite au prix de moins d’efforts.

Les routiers aguerris avalent leur sortie de 120 km en 4 bonnes heures. Ils tentent d’améliorer leur coefficient de trainée, pour ne pas traîner, et être rentrés pour le gigot de 13 h 00. Le compte est bon, en quittant le domicile à 8 h 00, ils sont dans les temps.
De l’autre côté du paysage du cyclisme, d’autres puristes s’époumonent faisant fi de l’aérodynamisme. Ils sont à la recherche de la machine qui permettra de gommer toutes les aspérités du terrain de jeu. Gommer les aspérités, souvent grasses, parfois cassantes pour préserver le pilote et le matériel, permettre à l’équipage de boucler la boucle plus vite au prix de moins d’efforts également. Ces vététistes partent pour des boucles de 50/60 km et ils ont bon espoir d’être de retour à la maison, eux aussi, pour le gigot de 13 h 00, sans traîner.

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Vont-ils arriver à temps pour le gigot de 13 heures … photo Échappée Belle

Ces deux mondes se côtoient peu, mêmes s’ils ont les mêmes contraintes (le gigot de 13 h 00). Les terrains de jeux sont sensiblement différents, aussi les uns snobent souvent les autres, à moins que ce ne soit l’inverse. Et puis, au milieu de tout cela, ou à côté, ou en-dessous, ou au-dessus, en définitive, peu importe la position exacte, disons en décalage, se trouve désormais le Gravel.

À bien y réfléchir, le gravel est un pur non sens. C’est la pratique de l’indécis et de l’inconscient … Il emprunte aux routards les distances à avaler, il emprunte aux vététistes les chemins à parcourir. Les puristes diront que le Gravel est au vélo de route, ce que le VTC est au VTT. Un vélo moyen partout, une activité d’enfants gâtés qui ne savent pas choisir et donc ne savent pas renoncer.

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J’ai fait pendant longtemps parti du monde des vététistes du dimanche, pour m’embourgeoiser dernièrement en me jetant corps et âme sur la route. Me jetant corps et âme jusqu’au jour où ! …  Jusqu’au jour où, je reçois dans mes e-mails, une invitation à participer à la sortie « Gran Fondo Gravel organisée par L’Échappée Belle ». Je vois là l’opportunité de me faire enfin une idée par moi-même et surtout, je vois là l’opportunité de retrouver le plaisir régressif de rentrer à la maison, couvert de boue, du dérailleur au cintre, de la tête aux pieds. Sans trop réfléchir, comme un sale gosse capricieux, je m’inscris à cette sortie :120 km ! … Fastoche : moi aussi j’aime le gigot dominical …
Sauf que 5 minutes après avoir cliqué sur le bouton sésame, « je participe« , je reçois un e-mail de l’Échapée Belle confirmant mon inscription à cette sortie, et entre-autres les règles de la sortie
• « Je m’engage à venir, équipé de pneus en section 32 minimum ».
• « Je m’engage, comme ceux qui prévoient l’aller ET retour à vélo, à prévoir des lumières pour la fin de journée ».

WTF ? … Lumières pour la fin de journée ? ok on passe en heure d’hiver ce même jour, mais tout de même, 120 km, en partant à 7 h 30, on devrait raisonnablement être rentré pour le café. Si vraiment, mais alors vraiment on se traîne, on sera à la maison pour le thé et les petits beurres.

M’asseoir sur mon gigot dominical n’est qu’une question de négociation avec mon ministre de l’intérieur, ma femme. Elle est adorable et la négociation ne me coûte qu’une virée culturelle dans Paris, la veille, le samedi. Sachant qu’on va y aller à vélo, elle peut bien m’emmener où elle veut.

Pour les pneus, c’est une autre paire de manche. N’ayant absolument pas prévu d’investir dans les jours à venir, ni dans un vélo de CX, ni dans un vélo en tubes Reynolds, je bénis mon idée du mois de juillet d’équiper mon unique destrier de jantes « All Road ». N’étant pas trop bon en anglais, je me dis que la nuance entre « all roads » et « all tracks » n’alertera que les puristes. Armé de mon pied à coulisses (mes doigts en vérité), je vérifie minutieusement (comme je peux donc) quelle section de pneus maximum mon carbone endurance accepte : 35 devrait passer. Je chausse mon véhicule quotidien de ces pneus larges et roule sur quelques trajets de vélotaf pour m’assurer que mon enthousiasme ne sera pas douché au premier virage dimanche matin. Je suis consciencieux au point de passer par le parc de Saint-Cloud ainsi chaussé sur un trajet vélotaf. « Ça devrait passer crème … » comme dirait l’ado que je redeviens. Soit, il ne faudrait pas que les chemins empruntés soient trop boueux, au vu des quelques millimètres qui séparent le pneu des différents passages de roues sur la fourche et les haubans.
En regardant mon équipement, je me dis que je viens d’inventer le Gravel aéro, le « gravoute ».

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photo Échappée Belle

Aussi je me garde bien d’appeler Romain, Patrick, Claire ou François de l’Échappée Belle pour leur faire part de mes doutes sur l’adéquation de mon destrier et le programme du jour. Je garde mes doutes pour moi et j’assumerais comme un grand garçon, pour une fois, mes errances et erreurs. Ma seule inquiétude est finalement altruiste, et si je devais renoncer après 20 km, je priverais, de fait, un autre rider de ce Gran Fondo, qui est semble-t-il victime de son succès avec une liste d’attente longue comme la sortie à venir. Rien que pour cela, ce serait bien que j’assume au moins jusqu’à Rambouillet.

Ce dimanche matin, nous sommes environ 25 à partir. À la vue des jerseys « French Divide » et autre flopée de Genesis sur le tarmac, j’ai le sentiment d’être effectivement le seul à partir en terre inconnue. Je ne suis malgré tout pas si inquiet que cela, ayant déjà eu le privilège de faire une sortie « route » cette fois, avec l’équipe de l’Échappée Belle. Je sais que la philosophie qui les anime est orientée vers la bienveillance et l’entraide plus que sur la performance pure. Et puis 120 km, « ça va passer crème … » je vous le dis.

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photo Échappée Belle

Après la traversée urbaine inévitable, la première section gravel passe par le Parc de Saint-Cloud ; de terre inconnue je passe en terrain connu. Par, je ne sais quel tour de magie, tout en restant dans les sous-bois la plupart du temps, on se retrouve dans le jardin du musée de la toile de Jouy, ça c’est pour la touche culturelle du dimanche. Je suis donc de retour en terrain connu, le Musée de Jouy, fait parti de mon décor dominical lors de mes sorties « routes » en Vallée de Chevreuse. Sauf pépin mécanique, je devrais rallier Rambouillet et si vraiment le plus dur est à venir, je peux toujours rebrousser chemin et rentrer par la route. On avance relativement doucement, mais c’est évidemment dû à l’inertie d’un groupe de 25 graveleurs et graveleuses, et pourtant, même DSK n’a pas pu venir. Les crevaisons s’enchaînent presque aussi vite que les single tracks. Mes compagnons du jour sont plus à l’aise sur les passages techniques et cassants, je me régale sur les grandes allées forestières et autres sections goudronnées. Mon Gravel Aéro, mon « gravoute » serait l’arme ultime… sur la route ! …

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photo Échappée Belle

Au bout de 5 heures de chevauchée nous voilà arrivés à destination. Le gigot est avantageusement remplacé par toutes les cochonneries grasses et sucrées qu’offrent toute boulangerie digne de ce nom. La grosse moitié du groupe du jour rentre par le train, 11 autres veulent prolonger le plaisir à vélo. Nous revoilà sur la route, ou plutôt les chemins devrais-je dire, du retour. Je ne sais toujours pas par quel tour de passe-passe aucun chemin pris à l’aller ne sera croisé au retour. C’est le moment de saluer le formidable travail de « mapping » effectué en amont par l’équipe de l’Échappée Belle. Ils ont dû en faire des demi-tours, des fausses routes. Parfois, les chemins s’enchaînent logiquement, souvent le petit passage caché, il fallait le trouver et le tenter pour valider l’option.

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photo Échappée Belle

Le groupe étant plus petit, nous évoluons à une vitesse moyenne plus élevée. Je suis admiratif de la capacité des échappés du jour, à avaler les bosses, dans les sous-bois, quelle que soit la technicité de la montée, en moulinant, sans poser le pied, sans avoir besoin de pousser le vélo. En queue de peloton, je me fais quelques « walk of shame », ne parvenant pas systématiquement à emmener mon quintal au sommet (et là, je suis obligé de l’admettre, la limite n’est pas mon vélo, mais ma technique).

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photo Échappée Belle

La fin du parcours est sur mon trajet (presque) quotidien de vélotaf, le Paris-Londres, la section entre Bougival et Bois-Colombes, le long de la Seine. Encore une fois, étant en terrain (archi) connu, et sur des sections (archi) roulantes, mon Synapse fait merveille et je me fais une belle échappée, petite vengeance de mes trop nombreuses « walk of shame » à l’ombre des châtaigniers.

Oublions les certitudes

Cette découverte du gravel ne m’apporte quasiment aucune certitude.
• Est-ce du VTT ? Pas vraiment …
• Est-ce de la route ? Pas vraiment non plus …
• Est-ce que la sortie aurait été mieux à VTT ? Non …
• Moins bien alors ? Non plus …
• Différente ? Certainement …

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photo Échappée Belle

À VTT, les crevaisons auraient probablement été moins nombreuses, les portions roulantes moins marrantes, les portions techniques moins techniques. En plein hiver, sur des chemins détrempés ou bien en été sur des chemins secs et cassants je n’aurais peut-être pas pu raisonnablement emmener mon vélo au bout.
La sortie aurait-elle été mieux sur la route ? Probablement qu’avec un vrai travail de mapping, on peut aussi rallier Rambouillet depuis Asnières par des petites routes de traverses, loin de la circulation et profiter de la région tout autant.

Donc mieux ou moins bien, ce n’est pas le propos. Le Gravel est simplement une proposition différente et accessible même pour les parisiens, urbains, tant qu’ils ne sont pas indécrottables. Le vrai tour de force, sur cette sortie fut de nous proposer 120 km, en Ile de France, avec un départ et une arrivée en petite ceinture et nous emmener sur plus de 90% du trajet sur des voies non-carrossées. Finalement la seule certitude, en VVT, en Gravel, en « Route », le plaisir de rentrer le soir chez soi, fourbu, et tout boueux (ou pas) est le même, on reste sur les terrains connus. En Gravel, le retour se fait un peu après l’heure du thé, et là on touche aux terres inconnues. Et c’est ça qui est bien …

Jérôme Sorrel

Suivez les actus de l’Échappée belle sur sa page facebook : https://www.facebook.com/lechappeebelle92/

Les photos

Reportage photos de l’Échappée belle

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Jérôme Sorrel
Jérôme Sorrelhttps://djeadventure.wordpress.com/
Velotaffeur - entre autre - converti au cyclo-tourisme, à moins que ce ne soit l'inverse, je ne sais plus. Bikecommuter - among other defaults - converted into cyclism, unless it's the contrary, I have a doubt.

5 COMMENTAIRES

  1. Très bon récit en effet (me suis bien marré). Ces photos dans la forêt donnent vraiment envie.
    Je persiste quand même à penser que Gravel et gigot de 13h (voire de midi) ne sont pas complètement incompatibles.
    Tous les ministres de l’intérieur ne sont pas aussi compréhensifs

    • Il faut peut-être passer par le ministre des sports qui sera sans doute plus compréhensif … d’autant que le gigot c’est un peu gras 😉

  2. Oui sauf que le Ministre (de la Jeunesse) et des Sport c’est… moi. Un poste symbolique/honorifique qui n’a pas beaucoup de poids face au ministre régalien…
    Et puis en cette période pré-hivernale il est conseillé de reconstituer ses réserves lipidiques…

  3. À la lecture de cette épopée et à l écoute, lors de la Gravelxinoise hier, de ceux qui l ont vécue, un seul regret : ne pas en avoir été. 2018 ?

  4. Cela fait plus de 35 ans que je pratique « en puriste » le vélo de route et le VTT, j’ai même à une certaine époque essayé sans enthousiasme le vélo de randonnée avec une “Randonneuse” en acier.
    Avec l’acquisition de ce nouveau « Vélo de Gravel » un « VOTEC VRX COMP », je viens de découvrir une autre façon de pratiquer ma discipline favorite. Très rapidement, je constate que le Gravel est beaucoup plus proche du vélo de route que du VTT, mais il va tout de même me permettre de m’aventurer sur tout type de chemins et de monotraces sans crainte d’être obligé de faire demi-tour au bout de quelques kilomètres. Ce nouveau vélo n’a pas fait de moi un autre individu, je rentre toujours pour le gigot de 13 heures.

    Sportivement
    Roch

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