On lit régulièrement dans la presse vélo des articles sur le retour du 26 pouces. Dans le jargon du journalisme, on nomme “serpents de mer” ce genre de thématiques récurrentes. À Bike Café, nous ne considérons pas du tout que les 26 pouces soient de retour, pour la bonne et simple raison qu’ils n’ont jamais disparu de nos rues et de nos garages ! Certes, les années 90 sont loin, quand les “petites roues” équipaient 100% des VTT. Les mountain bikes d’aujourd’hui et le diamètre de leurs roues ont beaucoup changé… mais les 26 pouces ont la peau dure et n’en finissent pas de faire parler d’eux. Pourquoi ? Comment ? Dans cette série de l’été, partons donc à la rencontre de quelques-uns de ces cyclistes qui délaissent les grandes roues et leurs itinéraires de route, de gravel ou de “Twenty Niner”, pour un détour et un tour de 26 pouces.
Le détour du 26 pouces (épisode 2) : La madeleine de Proust
Après avoir, dans un premier épisode, rencontré de géniaux transformateurs, réparateurs et rénovateurs, nous allons aujourd’hui nous intéresser à des cyclistes qui entretiennent avec les 26″ une relation affective. Quel adulte, après tout, pourrait prétendre avoir définitivement renoncé à ses rêves d’enfants ? Qui n’a jamais fait appel à un objet transitionnel ? Qui n’a jamais souhaité revoir son premier amour ou retrouvé, grâce au grincement d’un V-brake, la délicieuse terreur de ses premières descentes dans les cailloux ?
Ainsi en est-il des collectionneurs de vélos, des adorateurs de la roue libre, des fétichistes du dérailleur.
Il faut dire que les 26 pouces qui ont bercé leurs rêves de baby cyclistes, vélos de papier glacé dans des catalogues scintillant d’étoiles américaines, valent désormais une misère sur le marché d’occasion… Raison de plus pour se précipiter de façon compulsive, mais toujours avec de bonnes excuses, sur l’éternel objet de leurs désirs.
Jean-Pascal “Pouf The Cascadeur”, le vélotafeur
Détours et digressions – Hors de question de laisser Jean-Pascal décrire dans le détail la douzaine de VTT 26″ de collection qu’il possède, il y en aurait pour des heures ! Cet ancien compétiteur de haut niveau, collectionneur passionné, m’a donné à choisir, pour illustrer son portrait, entre un klunker Motobecane/MBK de 1986 et un Gitane de 1990. J’ai opté pour le Gitane, en raison de sa peinture d’un dégradé très photogénique et parce que ce vélo a la particularité d’être monté avec un des très rares groupes VTT qui n’ait jamais été produit par Campagnolo.
Des détours, Jean-Pascal en fait presque tous les jours, puisqu’il rallonge souvent son trajet direct de vélotaf (plutôt plat et court) par la montée et la descente du Mont Faron qui surplombe Toulon, histoire de borner, garder la forme et honorer chaque jour une monture différente, un peu comme on honorerait des maîtresses à tour de rôle, pour éviter toute rancœur entre elles.
Mais la comparaison s’arrête là : Jean-Pascal n’est pas un macho, mais un cycliste fin et sensible, un artiste du détour et de l’échappée belle, aussi attentif aux mécanismes de ses vélos qu’aux paysages qu’il a la chance de contempler chaque jour au dessus de la Rade.
Il est connu sur les réseaux en tant que Pouf le Cascadeur ; vous pourrez aussi suivre les frivolités 26 pouces quotidiennes de Jean Pascal sur son fil Strava.
Jean-Yves “Jaywai”, le conservateur
Kona, Sutra, Hahanna – Ne cherchez pas autre chose que ces vélos canadiens dans le garage de jean-Yves, vous ne trouverez rien d’autre que des Kona, si possible dans leur jus, pas question de modifier quoi que ce soit. Juste un entretien minimum pour les rouler, et encore, certains n’ont pas encore été remis en état depuis leur acquisition.
Si “Jaywai”, le fondateur du club Strava “Original Montpellier Gravel” les collectionne, c’est parce que son adolescence a été bercée de BMX, d’enduro, de all-mountain, toutes ces pratiques qui lui donnent encore aujourd’hui un air d’éternel adolescent. Il ne fait pas de mystère de son addiction aux Kona, il en rigole, adepte de l’auto-dérision qu’il est, conservateur d’un musée qui n’a souvent d’autre visiteur que lui-même.
Ce conducteur de trains trace aussi sa voie à vélo. Pédaleur infatigable, c’est un fin connaisseur de territoires, excellent traceur d’itinéraires, qui partage ses trouvailles en organisant des sorties pour cyclistes de gravel bien sûr, mais aussi depuis peu pour les adeptes du VTT “vintage”. Quoi de plus amusant que d’aller manger une tielle à Sète, en 26 pouces bien sûr ? Un aller-retour magique par des voies détournées et improbables, comme un jeu d’enfant, pour des cyclistes souriants et insouciants. Joie d’offrir, plaisir de recevoir, la boucle est bouclée, merci Jean-Yves !
Dan, le narrateur
Dire que je n’ai jamais fait de VTT de ma vie, et que je suis un piètre pilote, n’est pas un vain mot. Mais j’ai toujours eu l’œil aguiché par les rutilants VTT Sunn chromés de la période “Max Commençal”, les années 90 de la marque de Saint-Gaudens, une période que collectionne fiévreusement mon ami Nicolas.
Il m’a fallu plusieurs années pour amadouer Nicolas et le convaincre de me dégoter un VTT Sunn. J’ai enfin pu obtenir un cadre nu et noir de Revolt, piqué de rouille, qu’il avait déniché au fond d’une cave. De l’occasion naît le larron. Libéré de la contrainte du vélo “de collection”, j’ai donc pu me laisser aller au vertige créatif de la transformation.
C’est Jacob Garet, dans l’atelier Menhir Cycles de Yohann Loncle, qui a remplacé le pivot de fourche fileté par un tube lisse, enlevé le pontet arrière qui recevait la butée de gaine du cantilever et son tirage central. Le joailler Adrien Moniquet a parachevé le sacrilège en réalisant un head-badge en titane qui ferait sans doute hurler de rage les gardiens du temple, s’il n’était pas tout simplement magnifique.
J’assume parfaitement le délit, je me rends pieds et poings liés à la vindicte sunnophile, peu m’importe, je peux profiter à chaque sortie de la vivacité du Revolt et m’extasier à la vue des câbles courant sur le côté du tube, qui m’évoquent une guitare basse à trois cordes, instrument de musique expérimentale de world-musique cycliste ou de jazz-fusion à roue libre.
Dans le troisième épisode de cette série, il sera question de faible hauteur, de gros cailloux et de crayons. Ne le ratez pas !