Chaque semaine, un billet d’humeur par un·e de nos rédacteur·rices. Aujourd’hui : Dan de Rosilles
Je dois vous avouer que je n’ai jamais vraiment cru au Père Noël.
Enfant, j’ai très vite compris ce qui se tramait derrière tout ça. Les catalogues de jouets qu’on feuilletait fiévreusement vendaient la mèche : il y avait un prix à payer pour chaque jouet. Mais je m’en tirais plutôt bien. J’avais beau affirmer haut et fort que le Père Noël n’existait pas, je “recevais” quand même des cadeaux et en échange, je n’ai jamais eu l’impression qu’on exige de moi la moindre compromission ou subordination. C’est cool, d’être un enfant.
Aujourd’hui, c’est différent. Il n’y a plus de miracle. Plus aucune raison d’y croire. Les cadeaux qu’on reçoit, il faut les payer. Ce qu’on fait semblant d’avoir, ce qu’on fait semblant d’être, on le paie. Ce qui me tient debout, mes valeurs, mes principes éthiques, se heurtent sans cesse à une société où tout semble les contredire. Soyons lucides : dans “marché de Noël”, le mot important, c’est “marché”.
Ça, c’est vieillir. Pas juste les rides, mais ce décalage. Sentir que le monde s’éloigne de nous, ou plutôt que nous nous éloignons de lui.
La vieillesse, voilà encore une bonne raison de ne pas croire au Père Noël.
Les routes qu’on pensait à nous deviennent des routes pour les autres. Les jeunes, les plus vaillants. Sur Strava, mes performances sont de moins en moins bonnes. Pour pouvoir établir un nouveau “PR” (Personal Record), je suis obligé de me donner à fond, si possible avec le vent dans le dos. Quant à un “KOM” (King Of Mountain, le record de vitesse sur un segment), il y a belle lurette que je n’en espère plus.
Alors, que faut-il faire ? Déprimer, pleurer à chaudes larmes, se mettre à boire, prendre des anti-dépresseurs, se jeter du haut du balcon ?
Je ne crois pas. Ce n’est pas mon caractère, dans l’adversité, je me cabre. Il doit bien y avoir des solutions.
Et si le vélo en était une ? Celui-là même qui est devenu le miroir cruel de mon propre déclin sera, a contrario, mon antidote.
Parce qu’il m’offre autre chose : la promesse de projets, d’horizons. À défaut de rajeunir, il me permet de vieillir un peu moins vite. Et surtout, il se réinvente sans cesse : il y a mille façons de pédaler, mille défis à relever.
Les longues sorties d’hiver par exemple, me conviennent bien. J’attends avec délice le 24 décembre, non pas pour accueillir ce satané Père Noël, mais pour m’élancer dans la Festive 500, un défi qui consiste à parcourir au moins 500 km pendant les “Fêtes”. C’est magnifique, élégant, insensé, mais à la portée de tout cycliste qui en a la volonté. À raison d’un minimum de 80 km par jour, le niveau de forme n’entre pas, ou très peu, dans la balance. La vraie contrainte, ce sera de se lever tôt, jongler entre les repas de famille et composer avec une météo peu clémente. Mais c’est là tout l’intérêt : la contrainte, après tout, c’est ce qui nous maintient en vie.
Dans Les Villes invisibles, Italo Calvino disait : « La contrainte donne forme à la liberté. » Et si c’était vrai ?
Prenez les ornières, par exemple : il y a deux façons de les considérer. À première vue, une ornière, c’est un piège : boue, glissade, chute. Mais c’est aussi une occasion : celle d’apprendre à anticiper, à affiner sa trajectoire, à sortir des rails. Une ornière, c’est une école de vie miniature, un jeu d’équilibre où l’on ne gagne qu’en affrontant.
Le Père Noël est une ornière. Si l’on attend trop de lui – qu’il devienne le facteur de nos désirs, le chef d’orchestre de notre bonheur – la frustration et la déprime sont inévitables.
Mais si on soulève son manteau pour voir ce qu’il y a dessous, qu’on tire sur sa fausse barbe pour le démasquer et qu’on relâche ses rennes, que reste-t-il de lui ? Rien. Ou peut-être, au contraire, tout. La possibilité de continuer. Sans illusion. Sans miracle. Juste avec cette étrange envie : Celle de sourire, de pédaler, de grimper en danseuse, encore et encore, malgré le vent contraire et les années qui passent.
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