photo Lucie Denis
Quand je dis randonneuse de papa, c’est une formule qui n’a rien de nostalgique dans mon esprit. Et loin de moi l’idée de comparer des vélos et des époques. Déjà dites-moi déjà si ce mot randonneuse vous cause ? … Je vois à vos yeux étonnés, et à votre moue dubitative, que ce terme de “Randonneuse” n’évoque pas grand chose pour vous. Dans le monde du vélo il peut même sembler un peu ringard, à côté du “jeunissime” gravel bike. C’est carrément moins tendance. Ceux qui ont pratiqué le vélo entre les années 50 et 80, s’en souviennent peut-être. Ils en possèdent peut-être encore une, remisée dans le fond d’un garage ou d’une cave. Les plus jeunes sont à fond sur le gravel et le bikepacking. Ce sont eux, qui en découvrant ce type de vélo “All Road”, feront revivre sous une autre forme, cette idée du voyage … Ils se mettent à randonner, en quelque sorte.
Peut-on définir ce qui est naturel ?
Pour faire simple, si on veut définir « l’outil » vélo qu’est la randonneuse, il faut commencer par parler de son usage : le cyclotourisme. Sans remonter à la préhistoire du vélo, je pense qu’on peut dater les débuts de cette pratique à l’époque de Paul De Vivie (alias Vélocio). C’est lui qui a inventé ce mot et qui lui a donné un sens. C’était il y a plus d’un siècle. Il n’a eu de cesse de promouvoir cette pratique qu’il aimait passionnément, et dont il parlait dans ses articles pour la revue “Le Cycliste” qu’il avait créée. Cette revue lui a survécu, elle était devenue la plus ancienne publication sportive française avant de disparaître à son tour en 1973 (source Wikipédia) dans la tourmente de la mort de l’industrie du cycle français. J’en ai lu quelques exemplaires et dans ce magazine on pouvait admirer ces fameuses randonneuses, illustrées par Daniel Rebour.
Les vélos de gravel sont aujourd’hui les héritiers, un peu turbulents, de nos aïeuls en acier.
Définir cette façon de faire du vélo, que j’ai un peu pratiqué dans les année 70, est difficile. Je ne suis absolument pas nostalgique de cette époque et je trouve qu’aujourd’hui, nous vivons une époque formidable pour le vélo. Nous disposons d’un choix énorme et l’industrie du cycle ne s’est jamais aussi bien portée.
Dans toutes ses formes de pratiques, le marché actuel du vélo est dopé (excusez l’expression). Chassez le naturel et le voilà revenu en tête à grands coups de manivelles. Nos sacro-saintes bagnoles des années glorieuses avaient tué l’esprit du voyage suave, silencieux, aventureux, … que l’on effectuait sur nos randonneuses. La vitesse du vélo est idéale pour vraiment découvrir des territoires. Elle permet une autonomie de déplacement suffisante moyennant quelques sacoches. Le bikepacking a réveillé la “belle endormie” et les vélos de gravel sont aujourd’hui les héritiers, un peu turbulents, de nos aïeuls en acier.
Ces vélos, qui re-visitent le concept de randonneuse, viennent mettre un beau foutoir dans ce monde normé et divisé entre la route et le VTT. Quelle belle façon de rêver à des évasions en vélo, après avoir passé notre temps à parler de cyclisme. On aime nos champions, mais ce ne sont plus pour moi des modèles qu’il convient de copier le dimanche matin, habillés comme eux en Lycra moulant juchés sur les mêmes vélos plus fait pour rouler à 45 de moyenne, que pour randonner. Je jubile en voyant des marques anciennes renaître sous des formes modernes : Méral, Dilecta, Mercier, … On a envie de voir Mavic sortir du trou, dans lequel les investisseurs l’ont plongé. Le Concours de Machines a redoré le blason d’un certain artisanat, et du coup la randonneuse de papa redevient « tendance ».
On a resorti nos ferrailles
« Ils sont beaux
vos gardes-boue
martelés … »
Je suis un petit veinard qui teste de superbes machines modernes, mais je reste dans le domaine des vélos de gravel et d’endurance. J’évite les sylphides racers qui nécessitent un gros moteur pour savoir ce qu’ils ont dans le ventre.
Pour relativiser le progrès dans lequel je suis plongé, j’aime rouler à l’ancienne sur mon vieux Bernard Carré 70’s. Équipé désormais façon randonneuse légère, ce vélo est redoutablement efficace. Il m’oblige à musarder, à escargoter comme dirait mon copain Fabrice. Son poids me permet de profiter des avantages de l’inertie qui est l’alliée des « faibles en watts ». C’est un vélo lourd, qui une fois lancé, devient un complice extraordinaire. Si en montée il m’oblige à forcer un peu, il se fait pardonner ensuite en m’offrant en retour des descentes de folie et un rendement surprenant sur les longues parties plates.
Depuis que j’ai ressorti la ferraille, pour me balader sur mes petites routes provençales, j’ai constaté que j’ai progressé sportivement : gain de puissance et de vélocité. À un âge où l’on subit plutôt une certaine et inéluctable dégradation, on ne va pas s’en plaindre. J’ai progressé aussi en terme de mentalité en vivant encore plus largement le vélo comme un prétexte de découvertes et de belles rencontres. Il n’est pas rare qu’un cycliste m’interpelle … “Ils sont beaux vos gardes-boue martelés …”
Nos petites sorties
Je ne cherche pas à vous convaincre que la randonneuse rend heureux, mais sincèrement moi elle me donne la banane. Je ne vais pas verser dans la totale nostalgie et j’adore mon vélo WishOne Sub avec lequel je fais du gravel et de la route. Entre 2 essais de vélo et des balades en gravel, je sors régulièrement ma randonneuse avec sa sacoche trônant à l’avant sur son porte-paquet. J’y met tout mon petit bordel, c’est bien plus pratique que les poches de mon maillot. J’ai même des petits gants de travail pour ne pas me salir les mains en cas de réparation.
Je fais des sorties avec un groupe de jeunes Aixois : « Les Houblons Sauvages Randonneur Club » : c’est pas triste ! C’est Gabriel Refait, notre fougueux chroniqueur, qui l’a créé. Tout en étant un cycliste performant et compétiteur, Gabriel baigne dans le vieux vélo et son histoire avec son activité Dynamo Cycles Repairs. Il restaure des vélos anciens, certains partent en Australie, au Japon, en Californie, … D’autres sont des « madeleines de Proust », que leurs propriétaires lui confient pour une restauration dans les règles de l’Art. Gabriel entraîne tout ce petit groupe des “HSR” à adopter ces vieux vélos en acier et découvrir les joies de la randonnée vintage à vélo.
C’est un plaisir pour moi de voir ces jeunes qui se réapproprient le concept de la randonneuse de papa et qui roulent le nez au vent, les fesses posées sur une vieille selle Idéale ou une Brooks en manoeuvrant, de façon approximative, les manettes de leurs antiques dérailleurs fixées sur le cadre … Le bruit de ces changements de vitesses incertains est pour moi le chant de ce renouveau poétique.
Hihi c’est probablement parce que je ne suis plus jeune (52 berges) que je vois bien de quoi on parle.
Pourtant je me suis remise au biclou en mars 2019 après 35 ans d’arrêt.
Et là, Ruz Ha Du mon nouveau vélo est ma “randonneuse”. Mais il est Moderne !
Oui oui c’est un cadre Cyclo-cross “Octane One Kode” (cadre en acier) équipé en freins à disques hydraulique (faut ça pour arrêter la bestiole de 107 kgs sortie de douche 😉 ) et une transmission adaptée à ma musculature chétive (22-32-44 à l’avant et une cassette 9 V 11-42 à l’arrière !).
Je me suis offert une selle en cuir (à 35€), il a de beaux gardes boue, un pouet sur le guidon ainsi qu’une sonnette en 100% métal au son cristallin, des éclairages à led à piles et batteries, et je vais lui offrir aussi une bonne béquille (si j’en trouve une qui s’adapte) ainsi qu’un porte bagage arrière.
J’ai mis un guidon papillon, c’est trop confortable, ça permet de varier à l’envie la position sur le biclou.
Normalement cette semaine je l’emmène chez le vélociste pour changer les durites de freins et la semaine d’après un copain viendra finir de m’installer la transmission (passer les câbles et régler les dérailleurs).
Après ça il sera fin prêt pour prendre la route (tout le reste c’est moi qui l’ai monté).
Donc je me suis monté une “Randonneuse” à la mode 2021 et au total il me reviendra à moins de 800€.
Pour l’anecdote, Paul de Vivie, dit Vélocio est natif de Pernes les Fontaines dans le Vaucluse.
Un musée du vélo lui est dédié dans la ville aux 40 fontaines !
Super article.
J’apprécie le ton et l’équilibre pas si fréquents entre la reconnaissance de “ce qui était” et la lucidité sur “ce qui est” désormais. L’essentiel est de trouver du plaisir à découvrir et rencontrer à vélo. Ca peut aussi bien se faire sur une randonneuse de 40 ou 50 ans que sur un gravel tout juste sorti ou un vélo d’occaz à 200€. Il y a bien sûr des différences, mais elles n’ont qu’un impact marginal sur le plaisir de sortir à vélo. A chacun de chercher et éventuellement de trouver sa voie ; et à nous tous de respecter les différentes manières d’y parvenir.
Belle sagesse Vince
Delicioso artículo. Un enfoque cada vez más presente entre quienes disfrutan de la bicicleta con perspectivas mentales amplias y centradas en el disfrute de la bici, aquel que experimentamos en la niñez, tan alejado de la mera práctica deportiva competitiva. Saludos y gracias desde España.