Gamory Cycles, le gravel en bambou par Louis Segré, photo Hugues Grenon
Voici un nouveau venu dans l’artisanat du cycle en France : Louis Segré qui a créé la marque GAMORY CYCLES. Voilà une bonne nouvelle et Louis se sent prêt aujourd’hui à faire connaître sa fabrication artisanale de vélos qu’il a mûri depuis plus de deux ans. Leur particularité : ce sont des vélos construits en bambou. Et nous allons le voir, il n’y a pas que les cadres que Louis fabrique dans ce matériau, mais également des fourches et certains périphériques.
Louis m’a contacté pour me présenter son magnifique travail artisanal, après un an et demi passé à temps partiel dans son atelier, à mettre au point ses vélos et ses techniques de fabrication. J’ai tout de suite accepté avec enthousiasme son invitation à l’idée de découvrir son travail peu commun.
Les présentations
Dès nos premiers échanges, je constate que le talent et l’inventivité sont proportionnels à l’humilité de Louis. Malgré ses 31 ans, il a déjà un parcours de vie fait d’aventures personnelles et d’expériences professionnelles riches et variées. Et ce parcours alimente sa créativité et sa capacité à travailler ce matériau original et spécifique qu’est le bambou.
Louis passe son enfance et sa jeunesse à La Rochelle. C’est tout naturellement et avec passion qu’il se met à la voile. L’optimiste tout d’abord, terme nautique, mais également adjectif qui colle bien à son caractère entreprenant et discret. Puis il gravit les catégories, pour finir en catégorie 420 en compétition au niveau international. Il se lance dans la course au large avec une participation sur un prototype à la Mini-Transat en solitaire et décroche une belle 8ème place sur cette épreuve transatlantique.
Les racines de Louis sont en Charente, entre Angoulême et Limoges, dans un hameau hors du temps où il fait bon vivre et se perdre : Gamory. C’est dans la maison familiale, construite il y a plus de 500 ans, que Louis a décidé d’installer son atelier de fabrication de vélos artisanaux en bambou.
Après des études dans les matériaux composites à l’IUT de Nantes, puis à l’Ecole Centrale, option hydrodynamisme et génie océanique, il part en Roumanie dans une entreprise qui fabrique des mâts en carbone pour voiliers de course. Il acquiert un savoir-faire et une expérience dans la mise en œuvre de ce matériau, expérience qui va lui servir, comme nous le verrons plus tard, dans la fabrication de ses vélos. Il part ensuite au Chili avec son amie et fabrique un cadre acier avec un artisan cadreur local. Il découvre ainsi les aspects « géométrie » d’un vélo et ses étapes de fabrication.
De retour en France il y a deux ans et demi il est invité à un mariage dans le Pays basque. Il décide, avec son amie, de réaliser un voyage à vélo pour s’y rendre. Parallèlement, il découvre Bike Café et nos articles sur des vélos en bambou, l’inspirent et l’amènent à réfléchir.
Et pourquoi pas fabriquer ses propres vélos, et en bambou tant qu’on y est ? C’est le matériau idéal par rapport à ses aspirations, aux qualités recherchées du matériau et à ses compétences techniques. En effet, les tubes de bambou se trouvent plutôt facilement en France et c’est un matériau naturel, non transformé. Il se travaille plutôt simplement, sans avoir dans un premier temps la nécessité d’investir dans des outillages et des machines complexes et coûteuses. Par ailleurs, Louis maîtrise déjà la mise en œuvre des composites et résines qui servent de liaison entre les tubes et les pièces d’assemblages.
Il fabrique donc ses deux premiers vélos en deux mois de temps seulement et part à l’aventure pour rejoindre le mariage de ses amis. Les vélos rempliront totalement les attentes des deux baroudeurs et aujourd’hui encore ils sont encore parfaitement opérationnels.
Cette première expérience réussie, ainsi que les retours très positifs de la famille et des amis encouragent Louis à poursuivre dans cette voie. Il réalise d’autres vélos, pour ses proches et ses amis. Il aménage petit à petit son atelier installé dans les dépendances de la maison familiale. Tout cela sur son temps libre, c’est-à-dire les week-ends surtout, car Louis travaille à temps plein dans une entreprise à Limoges à une soixantaine de kilomètres de là.
Le confinement sanitaire va lui permettre d’avancer sur son projet. Une dizaine de vélos sont déjà sortis de l’atelier. Particularité : ils sont assez différents les uns des autres et Louis sait s’adapter à la demande et aux spécificités de chaque projet.
Il a tout de même un penchant pour le gravel, qu’il a pu pratiquer intensément ces derniers temps en découvrant ou redécouvrant les chemins de son enfance. Ne renonçant devant aucun défi technique, il fabrique lui-même son outillage et met au point ses procédés de fabrication. Il améliore également petit à petit son atelier.
Louis est prêt à se lancer et faire connaître son travail artisanal. Il demande un temps partiel à son employeur pour consacrer plus de temps à sa production. Il décide de participer au Concours de Machines, initialement planifié en juin prochain, mais qui sera finalement reporté en septembre.
Il sera un cadreur rookie à suivre de près, de très près même, car le travail réalisé et la culture vélo acquise en si peu de temps démontrent un investissement, une curiosité et une passion sans faille.
Voici le travail réalisé par Louis qui illustrera les étapes de fabrication d’un vélo en bambou.
Le bambou
Les « chaumes » (tubes) de bambou se trouvent relativement aisément en France. Louis se fournit dans différentes bambouseraies (Montauban, Anduze) qui proposent chacune des essences de bambous différentes. Une seule essence est importée d’Asie, un bambou plein permettant d’utiliser des diamètres un peu plus petit.
En fonction des vélos et des périphériques à réaliser, Louis sélectionne certains types de bambous qui différent par leur forme, leur diamètre et leur densité. Cette sélection va apporter certaines nuances dans les caractéristiques recherchées en fonction du placement des tubes sur le cadre et de la vocation du vélo à fabriquer.
Les tubes reçus sont les plus droits possibles ou parfois un peu courbés ce qui peut être utile et donner une esthétique particulière.
Les qualités principales du bambou décrites par Louis sont nombreuses : sa résistance, sa capacité de filtration des vibrations, son origine naturelle, sa relative légèreté, son esthétique et sa culture faite en France à proximité. D’ailleurs il ne serait pas impossible que Louis fasse pousser ses bambous dans son jardin dans les années à venir, pour être en circuit court, très court même. Du producteur au fabricant en direct !
Le poids du bambou est à peu près équivalent à un tube acier voire légèrement en dessous. Un cadre gravel pèse par exemple en moyenne 2,2 kg. L’épaisseur est de 5 mm en moyenne.
Les phases de la fabrication
Tout d’abord, comme pour tout cadreur, Louis échange avec son client afin de déterminer et valider la géométrie du vélo. Il réalise ensuite le plan qui servira de base à la fabrication. Ils choisissent ensemble les composants, car Louis réalise dans la plupart des projets à la demande du client le vélo de A à Z jusqu’au montage final.
La préparation des tubes :
Louis sélectionne les tubes en fonction du projet et les préparent avant assemblage.
Il règle son mannequin (marbre), positionne les pièces d’assemblage en aluminium usinées à Limoges ou en Angleterre pour le tube de direction et le boitier de pédalier, puis il coupe, évide les tubes et les gruge.
Il réalise alors un premier ponçage.
Pour les tubes à cintrer il réalise un étuvage afin de pouvoir ensuite leur donner la forme recherchée.
Louis a développé son savoir-faire et son outillage qui vont lui permettre de réaliser des cintrages ou des angles ou formes spécifiques à donner en fonction des tubes ou périphériques, car Louis fabrique également des fourches, des porte-bagage et bientôt des cintres en bambou !
Il peut également fabriquer des accessoires en carbone comme ces garde-boues.
Louis travaille également la section des tubes. Par exemple le top tube, peut être transformé pour lui donner une section elliptique et non ronde. Le tube est coupé en deux dans sa longueur, et divisé en deux parties chacune délignée grâce à un outil « maison ». Puis les deux demi-tubes elliptiques obtenus sont ensuite recollés à la résine époxy.
Avant assemblage, Louis va positionner et coller les inserts pour les portes-bidons ou autres accessoires.
Il perce les trous pour le passage interne des câbles et gaines et intégre un tube plastique collé aux extrémités afin de servir de guide interne dans le but de maintenir la gaine en interne, éviter les bruits parasites et faciliter la maintenance ultérieure.
Louis positionne et colle également les pontets de passage des gaines aux endroits requis, sous les bases par exemple.
Assemblage et collage
Les tubes sont prêts à être assemblés avec les pièces de liaison. Louis va les positionner sur le marbre avec les pièces de liaisons : douille de direction, boitier de pédalier et pattes arrière.
L’ensemble est ensuite collés à l’aide d’une résine Epoxy. Voici le résultat brut après collage.
Vient la phase de ponçage de la colle (il y aura beaucoup d’autres phases de ponçage intermédiaire ensuite) avant drapage.
Le drapage
Place à l’étape du drapage. Les liaisons des tubes sont drapées de plusieurs couches de tissus de carbone ou fibre de lin enduites au fur et à mesure par de la résine Epoxy qui va leur donner leur solidité.
Louis utilise le tissu de lin également pour certains vélos. Le principe est le même que le carbone. La résine durcit et solidifie le tissu au contact de la résine pour atteindre leur solidité mécanique maximale après 3 h de séchage environ.
Une fois cette étape réalisée, une nouvelle étape de ponçage de finition est réalisée avant vernis.
Puis les derniers petits trous sont enduits puis reponcés.
Les finitions
Avant vernis Louis marque à l’encre de Chine le numéro, nom et numéro de sa production.
Le cadre est ensuite recouvert de trois couches de vernis.
La touche finale est l’apposition de la plaque Gamory sur la douille de direction.
Louis a eu l’excellente idée de ne pas avoir une seule plaque représentant sa marque mais plusieurs plaques en fonction du type de vélo fabriqué. Chaque plaque représente une partie d’un animal en lien avec l’environnement ou les caractéristiques du vélo. Petit jeu : essayer de deviner les types de vélos représentés par ses plaques ci-dessous avant de voir la réponse !
Les bois de cerf représentent le gravel, les sabots les vélos électriques, ville et randonnée, le sanglier le VTT et les oreilles de lièvre la route.
Au total, la fabrication d’un cadre s’étale sur environ 50 h de travail.
Le montage du vélo
Louis aime ce moment où tout s’assemble et où le vélo naît. Il apprécie également la remise au client, l’échange, les derniers réglages et les premiers tours de roue.
Présentation des vélos Gamory
Lors de notre venue Louis a pu récupérer quelques vélos clients et nous avons pu aller rouler avec un modèle gravel et faire quelques tours de roue.
Nous devions rouler les gravels tout le week-end sur un évènement local mais celui-ci a été reporté. Nous avons donc juste réalisé une petite sortie découverte avec un mix de chemins, de single un peu technique et de petites routes.
Les premières impressions marquantes sont le confort du vélo et son degré de filtration des vibrations. Et ce ne sont évidemment pas que les roues et pneus qui sont à l’origine de cette sensation. Les relances sont également franches.
Difficile de se faire une idée très précise sur un de temps si court mais les premières sensations m’ont semblé excellentes. Nous espérons pouvoir rouler et tester les vélos sur une plus longue période cet été peut-être.
Vous pourrez retrouver Louis aux Concours de Machines en tant que Rookie. Il présentera son vélo avec quelques nouveautés et particularités intéressantes et ingénieuses. Il réalise également sa bagagerie de bikepacking sur mesure lui-même et sera pilote de sa machine. Un sacré programme !
Toutes les informations sur son site : https://gamory-cycles.fr/
C’est chouette les vélos en bambou 🙂
Y’a un cadreur “bambou” à Brest à coté de chez moi 🙂