Certains trouveront les vélos en bambou intéressants, attirés par le côté naturel du matériau, d’autres les jugeront farfelus car ils ne croient qu’aux solutions éprouvées. Dans tous les cas le matériau bambou ne laisse pas les cyclistes indifférents. Il représente une part homéopathique de la production de l’industrie du cycle. Son origine végétale, m’a rendu curieux de voir les “cannes” de cette graminée, retourner dans un milieu naturel, après avoir été transformées en cadre de vélo. Voyons lors de ce test comment se passe ce retour…
La fabrication des vélos en bambou est forcément artisanale. Plusieurs cadreurs en France, attirés par ce matériau naturel, se sont lancés dans la production de vélos à la carte ou sur-mesure. Par ailleurs, pour situer les qualités du produit, il faut se souvenir du succès de Thibaud L’henry, qui en 2014 avait remporté le Red Hook Crit. Il avait réussi l’exploit d’être le meilleur de ce championnat sur un vélo en bambou fabriqué par In’Bô, démontrant ainsi que ce matériau pouvait être performant.
Gamory Cycles
Louis Segré est un cadreur de 31 ans que l’on peut qualifier de « rookie ». Il a créé sa jeune marque Gamory Cycles lors du premier confinement. Ses études d’ingénieur dans les matériaux composites, puis dans l’hydrodynamisme et le génie océanique, l’entraînent en Roumanie dans une entreprise qui fabrique des mâts en carbone pour voiliers de course. Il acquiert un savoir-faire et une expérience dans la mise en œuvre de ce matériau, expérience qui va lui servir dans la fabrication de ses vélos. Il part ensuite au Chili, où il fabrique un cadre acier avec un artisan cadreur local. Il découvre les aspects « géométrie » et les étapes de fabrication du vélo. Ce grand voyageur s’est installé du côté de la Rochelle et il fait partie de l’association des artisans du cycle et à ce titre il sera présent au prochain concours de machines pour présenter une réalisation en bambou, face aux vélos généralement en acier qui y prennent part.
Si vous êtes un de nos fidèles lecteurs, Gamory Cycles ne vous est pas inconnu, car notre ami Hugues avait rendu visite à Louis dans son atelier cette année. Vous saurez tout sur le process de fabrication des vélos Gamory en lisant son reportage ici.
Un gravel en bambou, une première pour moi
J’avais découvert à l’occasion d’un article que j’avais réalisé pour Cyclist France la fabrication particulière d’un vélo en bambou et je rêvais de rouler un jour sur un de ces vélos. Dans ma culture vélo je connais l’acier, le carbone, le titane, l’alu… il me manquait le bambou.
Les « chaumes » (tubes) de bambou, que l’on appelle également cannes, se trouvent relativement aisément en France. Louis se fournit dans différentes bambouseraies (Montauban, Anduze) qui proposent chacune des essences de bambous différentes. Une seule essence est importée d’Asie, un bambou plein permettant d’utiliser des diamètres plus petits.
Le vélo sur lequel je vais rouler est un vélo « client » qui porte le #5 dans le rang de la jeune production actuelle qui compte 12 vélos produits par Gamory Cycles. Merci à Julien, qui a eu la gentillesse de me prêter son vélo le temps de cet essai. En effet il n’y a pas de vélo « catalogue » chez Gamory, car Louis fabrique ses cadres et monte ses vélos à l’unité, en fonction de la demande et selon les mensurations de son utilisateur. Donc pas de taille standard type S, M, L, XL…
En ouvrant le carton je découvre le vélo précieusement emballé. Je suis immédiatement séduit par le contraste de la nature brute du matériau et la technicité de la réalisation. L’harmonie visuelle entre ces cannes, qui ont été prélevées en pleine nature, les éléments mécaniques industrialisés et les assemblages en tissu carbone est agréable à l’œil. C’est pile dans la tendance “écolo-chic”, qui est dans l’air du temps. Le petit détail qui illustre cette beauté brute et artisanale est l’écusson de cadre. Apposé sur la tête de fourche, je remarque cette plaque qui représente des bois de Cerf. C’est le symbole qui identifie les vélos de gravel de la marque. Autre détail sympathique : il est dessiné à la main par Louis avec de l’encre de Chine. « Pour un modèle urbain, randonnée ou électrique ce sera des sabots, le sanglier symbolisera le VTT et les oreilles de lièvre la route », me dit Louis.
Géométrie
La géométrie semble assez classique à la lecture des cotes. On remarque un empattement relativement long de 1047 mm. Le stack de 598 va me changer de mon vélo perso (566,4) … Je vais être haut perché. Par contre en Reach, je ne suis pas mal.
Premiers tours de roues
Après 2 ou 3 ronds autour de chez moi, direction les pistes de la Sainte Victoire. Prévoyant l’interdiction d’aller rouler là bas à cause des risques d’incendies, je me dépêche d’en profiter. Le pilotage est un peu surprenant pour moi. Me voilà embarqué sur un “baroudeur”, qui d’emblée se montre plus pataud que les gravel sportifs sur lesquels j’ai plus l’habitude de rouler. J’y vais calmos, car j’ai compris très vite que ce vélo n’est pas fait pour aller décrocher des kom sur les petites montées bien raides.
Par contre, je ressens véritablement un excellent confort de l’arrière qui contraste d’ailleurs avec l’avant équipé d’une fourche carbone. Les bases arrière de 440 relativement longues sont fabriquées dans un bambou plein que Louis fend en deux. Cela donne un aspect ovale plus esthétique que des canes rondes. Au niveau du cockpit je retrouve le guidon Venture Max avec son petit bossage qui détend les paumes de main et avec son faible drop qui fait qu’on roule presque tout le temps mains en bas. C’est d’ailleurs la position que je vais adopter presque tout le temps vu la hauteur de l’avant. Je ne veux pas changer les réglages du “client” qui m’a prêté le vélo. J’ai juste reculé la selle Brooks Cambium de près de 2 cm. Pareil pour les freins, je ne touche à rien, mais je n’apprécie pas le montage très couché des cocottes et la mollesse des leviers.
En très peu de temps je trouve mes marques, retrouve les pneus Hutchinson Overide que j’ai eu longtemps sur mon ancien Caminade et qui sont parfaits pour les terrains secs par ici. Sur la route ils filent en silence et j’apprécie. La selle Brooks Cambium C15 curved, qui avec son mélange caoutchouc naturel et fibre, s’associe au look du vélo offre un réel confort.
Le test
Me voilà ailleurs, presque en dehors du monde cycliste dans lequel j’évolue habituellement. J’ai roulé sur tous les matériaux classiquement utilisés pour construire des vélos. Là je suis ailleurs… Après plusieurs années passées à tester des vélos j’ai acquis définitivement une préférence pour l’acier de mes débuts à vélo. C’est un peu ma référence. Le carbone a fait énormément de progrès et il permet de fabriquer d’excellents vélos, le titane que tout le monde vénère ne m’a pas laissé de souvenirs inoubliables, l’alu ne me convient pas en gravel… Est-ce que le bambou pourrait remettre en cause mes certitudes ?
Dans un premier temps, une fois passée l’adaptation du pilotage de ce vélo, l’impression de confort initiale de l’arrière se confirme. Bon flex vertical et bonne rigidité latérale. On pourrait craindre, avec ce type de fabrication, d’avoir un arrière qui godille un peu peu à cause des ligatures qui réunissent entre-eux les éléments du cadre. Je ne constate rien de la sorte. Peut-être que le renfort que Louis a jugé bon de mettre côté frein amène un plus à ce niveau. La bête est lourde, c’est un gravel de voyage et il assume ce rôle parfaitement. Les relances seront moins vives mais l’inertie du vélo est intéressante. Lancé sur route et pistes roulantes, le vélo marche bien et son confort se confirme à l’usage malgré les pneus d’une section relativement petite, en 38. Là encore c’est un choix client, le vélo roule dans la région de la Rochelle. Pour ici, sur nos chemins DFCI un peu caillouteux, j’aurais fait le choix de roues de 650 chaussées de pneus de 47.
Bilan
Cet essai a été une très belle surprise pour moi. Le bambou est un matériau intéressant qui apporte du confort et du flex vertical. La fabrication de Gamory est soignée et son esthétique “écolo-chic” aura un réel succès. La géométrie de ce vélo avec des haubans attachés plus bas offre une bonne rigidité latérale. Je pense que l’option des ligatures carbone est intéressante, même si du coup c’est moins écolo que la fibre de lin. Ce vélo fera un excellent compagnon de voyage. Il a toutes les qualités d’un vélo qui ne craindra pas une journée de voyage sur des terrains très variés. Il sera parfait pour un cycliste baroudeur, amoureux de la nature qui en chevauchant une telle machine vivra une belle expérience sur un vélo qui sort totalement de l’ordinaire.
La vidéo
Galerie de photos
Équipements
Le vélo testé est un vélo client. Il a choisi :
- Cadre en bambou gravel sur-mesure – ligature fibre de carbone
- Fourche Carbone CEC de 400mm
- Transmission SRAM Rival plateau 42 dents
- Cassette 11 – 46
- Guidon Venture Max
- Potence Ritchey
- Roues Hunt – Av avec moyeu dynamo SON
- Pneus Hutchinson Overide 700×38
- Éclairage Sinewave
- Selle Brooks C15 Curved
- Poids : 10;9 kg avec les pédales
Prix : 2 510 € le cadre et il faut compter 5350 € dans la version essayée équipé avec la lampe Sinewave et le moyeux dynamo SON