Je vous avais présenté l’an dernier ce fabricant de vélo en bois de frêne, basé à Montréal au Québec qui s’appelait alors Picolo. L’entreprise a depuis évolué, changé de nom et se nomme désormais Sila Cycles. J’avais été totalement séduit par ce vélo magnifique et hors du commun, mais il fallait le voir en vrai, le toucher et surtout le chevaucher pour avoir un avis sur ce matériau et ce vélo novateur. Ici et là commencent à fleurir depuis quelques mois dans les magazines ou sur les réseaux sociaux des informations ou présentations de vélos en bois. Serait-ce le début d’une nouvelle aventure pour ce matériau aux nombreuses qualités ? Ou serait-ce le signe d’un renouveau des premiers vélos en bois que l’on appelait draisiennes et qui étaient réalisés dans cette veine, à partir de 1817.
Je vous conseille d’ailleurs de parcourir ce lien très intéressant, qui retrace par grandes époques, l’histoire de la bicyclette et ses évolutions : document tiré des Archives du Cnam (Conservatoire National des Arts et Métiers)
De nombreuses questions me venaient à l’esprit et sont revenues systématiquement dans les discussions et échanges avec les personnes que j’ai croisées et qui ont vu ce gravel. Comment se comporte-t-il par rapport à des gravels plus classiques ? N’est-il pas lourd ? Craint-il l’humidité ? Quelles seront les émotions à le rouler en pleine forêt dans son milieu naturel et originel ? Nous allons essayer de répondre à toutes ces interrogations. Attendez-vous à avoir quelques surprises !…
Une remarque unanime : ce vélo est d’une beauté exceptionnelle.
L’esprit du gravel Sila Cycles
Loïc Dehoux, le boss de Sila Cyles, me l’annonce d’entrée : Le gravel Sila Cycles n’est pas un « concept bike » exclusif ou autre exercice de style. D’ailleurs le développement de la marque date déjà de 2015, suivi d’une première commercialisation du modèle route en 2018. C’est un vélo fait pour rouler comme tout autre gravel. Le matériau est certes peu usuel, mais il est au service de la performance globale du vélo. Nous y reviendrons.
Un mot sur l’évolution de l’entreprise créée par trois ébénistes. Loïc Dehoux, un des trois fondateurs, a repris les parts de Picolo à ses deux autres associés, et a renommé la marque Sila Cycles. Sila est un terme philosophique Inuktituk, langue autochtone de l’Amérique du Nord, parlée dans l’Arctique canadien. Sila est l’élément qui donne la vie, qui enveloppe tout le monde et investit tous les organismes vivants, et sans lesquels il ne peut y avoir de vie. C’est également un prénom d’origine arabe et latine, qui est un dérivé du mot « silva » signifiant forêt mais aussi « soleil ». Ce nom colle parfaitement à l’esprit du vélo.
Loïc travaille désormais à plein temps sur le développement de Sila Cycles pour le Canada et l’Amérique du Nord. Il espère prochainement l’implanter en France, d’où il est originaire.
Bien que ce vélo soit digne des plus beaux vélos artisanaux réalisés dans d’autres matériaux, et que le bois soit atypique, Sila désire positionner son gravel comme un vélo « traditionnel », performant et confortable, et disponible rapidement pour le client, en moyenne 6 semaines. Pas de délai de plusieurs mois, comme c’est de coutume chez les artisans du cycle. Il faudra cependant pondérer cet aspect, par les délais de disponibilité actuelle des pièces et composants, ainsi que par le succès rencontré pour fournir l’éventuelle forte demande ! Dans un premier temps, Sila sort une série de 50 gravel, disponibles assez rapidement donc.
La marque répond d’ailleurs, comme tout constructeur « de série » à la norme ISO 4210 pour laquelle le cadre a passé toutes les épreuves de tests et crash tests.
L’émotion Sila Cycles
Volontairement, je ne présenterais pas d’emblée les caractéristiques techniques, mais plutôt l’émotion ressentie aux premiers regards. Nous sommes saisis par la beauté du bois de frêne, de ses veines apparentes, de ses courbes et de ses assemblages.
Quelle émotion d’arpenter la forêt et sillonner les singles entre les arbres dont il est issu.
Un retour aux sources en somme pour ce gravel. Le poser le contre un arbre, est un moment presque mystique.
Les avis ont été unanimes, lors des nombreux échanges sur ce gravel, le travail réalisé est d’exception.
Le bois de frêne est adapté à la fabrication de vélos. Il est résistant et rigide mais assez léger et filtre les vibrations. Il est utilisé depuis des décennies dans l’univers du sport, par exemple pour fabriquer les battes de base-ball ou encore les anciennes raquettes de tennis. Retrouvez les étapes de sa fabrication et les caractéristiques du bois dans l’article de l’an dernier cité en introduction.
Une question est revenue à plusieurs reprises : “Mais il roule ce vélo ?” Fin du suspense. Passées les émotions – fortes – voici mon avis sur ce gravel que j’ai pu malmener mais aussi cajoler pendant 3 mois d’hiver environ.
Un gravel très performant et incisif
Oui il roule ce gravel. Et même plutôt très bien. Reçu avec des pneus de 33 mm, montés en chambre à air, car précédemment utilisé par un compétiteur pour ses entraînements hivernaux, je décide de le prendre en main sur une petite sortie de nuit de 15 km sur route. Juste pour voir, pour l’apprivoiser. Et là, la claque. Le vélo est hyper réactif et performant. Chaque coup de pédale est retranscrit directement et intégralement. Le vélo se met en mouvement très rapidement et garde sa vitesse de croisière sans être hyper exigeant. Une sensation de facilité, rarement ressentie lors de mes tests sur d’autres vélos et ce, quelque soit le matériau utilisé. Sur route et revêtement bien lisse, cette performance se déroule dans un confort pullman. Le vélo filtre les vibrations de façon étonnante. C’est annoncé par Sila et ressenti sur le terrain : un de ses atouts est d’absorber très efficacement les vibrations. A confirmer sur des terrains plus engagés et typés gravel.
L’avant est très incisif. C’est un peu déroutant. L’angle de 71° pour cette taille M est pourtant plutôt standard, mais au final c’est en phase avec le caractère performant voulu et donné par Sila. D’ailleurs, hormis le cadre, l’équipement global du vélo est de haut niveau et les roues Shamal Campagnolo participent à ce niveau de performance.
Place aux chemins et singles forestiers. Exit les pneus de 33 mm. Je monte des Conti Terra Trail de 40 mm en tubeless. De bons pneus, un peu cramponnés adaptés à la saison humide. Comme toujours, il convient de trouver la bonne pression.
Les impressions sont les mêmes que sur la route. Le gravel s’emmène très facilement, est très réactif et garde sa vitesse de croisière aisément. Il faut dire que le boîtier de pédalier a été très travaillé et dimensionné afin de garder une excellente rigidité. D’ailleurs Sila l’annonce sur son site, et au vu de la conception et de la masse à ce niveau, ce n’est pas une surprise.
L’avant reste très incisif ce qui est très utile dans les singles tortueux. Mais cette réactivité nécessitera de rester vigilant dans les changements de direction et d’être très précis sur le pilotage.
Un bon confort de filtration
Au niveau confort, trouver la bonne pression des pneus sera primordial. Comme dit plus haut, les petites filtrations sont très bien atténuées. Par contre, sur les gros chocs, l’absorption ne m’a pas semblé être du même niveau. Que ce soit sur le triangle arrière mais aussi sur l’avant, je trouve que le vélo absorbe assez peu les impacts des trous, racines ou nids de poule. Le triangle arrière est rigide, tout comme la fourche carbone. Les roues carbones contribuent également à cette rigidité d’ensemble. Pour gagner en confort, une paire de pneus en 45 mm tubeless gonflés à la bonne pression, permettront de gagner en confort à coup sûr sur les plus gros chocs, je pense.
Le retour d’un utilisateur averti
Il est toujours intéressant de confronter et d’échanger avec d’autres utilisateurs, car nous ne venons pas tous des mêmes univers vélos. Dans la présentation de la marque l’an dernier, Michel Gauvin nous avait livré ses premières impressions très positives sur ce gravel. Séduit, il en avait commandé un dans la foulée et le roule depuis août 2021, pour le plaisir, mais aussi sur de belles épreuves gravel qui, comme en France, se multiplient au Canada. Compétiteur averti sur route, entraîneur, passionné de gravel depuis quelques temps déjà, voici son retour d’expérience.
“Le gravel Sila Cycles est sans nul doute un vélo à l’esthétique unique. Dès les premiers instants, les regards sont éblouis et empreints de curiosité. La géométrie se rapproche de celle d’un cyclocross avec un boitier de pédalier assez haut offrant ainsi un dégagement important. Un excellent point pour celui qui voyage sur diverses configurations de parcours : terre battue, routes non pavées, singletracks… La position plus relevée est confortable. Après les ajustements des périphériques, les sensations lors de la première sortie sont étonnantes. Le vélo met tout de suite en confiance. La stabilité est étonnante. Moi qui ne suit pas descendeur et vient de la route, je me laisse aller à lâcher les freins. Sur le plat je multiplie les changements de rythmes et de braquets. Le vélo répond immédiatement à toutes les sollicitations. Nerveux et rigide, le transfert de l’effort est immédiat. Première épreuve, la Big Red Gravel avec 75 km et 1200 m de D+. Beaucoup de questions des participants au départ sur ce vélo atypique. Les premiers kilomètres plutôt plats sont négociés à des vitesses moyennes dignes des sorties routes à plus de 40 km/h. La suite sera plus des successions de bosses et descentes dont certaines typées VTT. Au final, je suis impressionné par le comportement du vélo et suis plutôt frais à l’arrivée grâce à un confort étonnant.”
Suivront bien d’autres épreuves pour Michel – depuis août dernier – qui confirme un niveau de performance élevé allié à un excellent confort. Il va pouvoir compter sur son gravel Sila pour courir la Rift Gravel Race en Islande en juillet prochain avec 200 km et 3400 m de D+ en terrain volcanique.
Un équipement de haut niveau
Le modèle essayé est le haut de gamme équipé en Campagnolo Ekar. Compte-tenu des objectifs et des caractéristiques du vélo, ce groupe convient très bien à ce gravel performant fait pour envoyer du kilomètre en roulant fort sur de grandes pistes. Tous les éléments sont qualitatifs, très design et légers. L’usinage de la cassette est de toute beauté, tout comme le design du pédalier carbone ou encore le dérailleur arrière et les disques.
Le nombre de vitesses est impressionnant. Parfait pour envoyer sur la route à des vitesses importantes. Par contre, même si la cassette est assez imposante avec un dernier pignon de 42 sur le modèle testé, compte-tenu de la denture du pédalier en 42, j’ai eu parfois du mal à l’emmener dans les grosses cotes des coteaux du Loir. C’est très personnel et vous pourrez choisir des dentures de plateaux adaptés à vos besoins avec un 38 minimum et aussi choisir vos dentures de cassettes jusqu’à 44 dents.
En ce qui concerne les leviers, leur fonctionnement est très sec et mécanique, mais efficace. C’est la touche Campa. Totalement à l’inverse d’un groupe Shimano beaucoup plus souple et moelleux. Question de goût. Je n’ai pas particulièrement apprécié l’ergonomie des leviers. Ayant des petites mains, j’ai eu des difficultés à aller chercher les leviers pour le freinage. Ce dernier est par ailleurs d’excellente qualité grâce à un combo étriers/disques efficace.
Les passages de gaines se font en semi-interne avec une entrée par le tube diagonal et une sortie sous le boitier de pédalier pour longer sous les bases arrières jusqu’à l’étrier et au dérailleur.
À l’avant, le passage se réalise dans la fourche carbone qui est percée de trois inserts sur chaque bras. Pas de percement prévu pour la lumière.
Les périphériques sont issus de la série Deda Zero 100, une valeur sûre. Vous pourrez choisir votre longueur de potence et la largeur de votre cintre. Et si besoin voir avec Loïc s’il y a besoin d’adaptation spécifique. Dans cette configuration le vélo pèse 9,2 kg.
Un autre niveau d’équipement est proposé avec un montage GRX, des roues et périphériques Easton afin d’avoir une proposition avec un autre groupe de transmission et un tarif moins élevé. Mais compte tenu de la pénurie sur ces groupes, il risque d’y avoir du délai. L’entretien se réalise exactement comme pour un autre vélo. Vous pouvez le passer au jet d’eau, mettre des produits nettoyants puis le rincer, le sécher et lubrifier la transmission.
Tailles et géométrie
Pour couvrir la majorité des morphologies, Sila Cycles propose pas moins de 5 tailles du XS au XL pour des cyclistes de 1,53 m à 1,90 m environ. Voici le tableau des tailles et géométries. A noter que les bases font 430 mm quelque soit la taille.
Equipé en Campagnolo Ekar et roues Shamal, le gravel Sila Cycles s’affiche à 8250 US $.
Equipé en Shimano GRX810, il s’affiche à 6670 US $.
Ces tarifs sont en rapport avec ce vélo d’exception et comparables à des tarifs de vélos artisanaux ou même parfois de série en carbone haut de gamme. Le cadre est garanti 15 ans ! Pour les détails de fabrication référez-vous à l’article cité en introduction.
Conclusion
J’avais hâte de voir et d’essayer ce vélo exceptionnel. Ce fut une très belle découverte et surtout une révélation. Ce matériau a un véritable intérêt pour réaliser des cadres de vélos. Il ne ressemble à aucun autre matériau dans son comportement mais rassemble le meilleur de chacun pourrais-je dire. La réactivité et la performance sont au rendez-vous, c’en est même bluffant. Et le confort de filtration sur route ou chemin est très appréciable. Ce gravel Sila Cycles est fait pour rouler vite et longtemps en ménageant son pilote tant que l’on reste sur des portions roulantes et peu défoncées. En terrain technique ou très défoncé, j’ai trouvé qu’il était assez rigide, que ce soit au niveau du triangle arrière ou de l’avant. Mais il est vrai que je suis un VTTiste à la base et roule gravel en cadre acier avec tout le confort associé à cette pratique et ces vélos. Les purs routiers comme Michel Gauvin qui nous a donné son retour averti ne seront pas tout à fait de cet avis.
Le gravel est de toute beauté et vous hésiterez peut-être à le salir ou le malmener. Mais aucune hésitation, il est à traiter exactement comme un vélo traditionnel. Autre intérêt, le bilan carbone, que Sila a fait calculer par le laboratoire d’Ingénierie du Développement Durable de Montréal. La fabrication émettrait quinze fois moins de gaz à effet de serre qu’un cadre carbone. Et la matière est renouvelable à l’infini en théorie. Un bel avenir semble donc promis à ce matériau qui demande à être connu et testé. Car le tester, c’est l’approuver !
Toutes les infos sur le site de Sila Cycles