Le pignon fixe est une pratique qui s’exprime, « à la marge » du monde du vélo. Il n’apparait même pas dans les chiffres du marché du vélo, révélés par l’Observatoire du cycle. Du fait de son équipement minimalisme, peu de marques s’intéressent au sujet. Son image a longtemps été associée au phénomène « fixie », né au début des années 2000. Une fois la mode passée, que reste t-il de cette façon de rouler en prise directe avec sa roue arrière ? Cette marginalité m’intéresse ; ce n’est pas parce qu’on en parle peu ou que la pratique du pignon fixe n’est pas intéressante. Pour moi, c’est le vélo originel, qui s’exprime joyeusement dans l’ombre des nouvelles tendances, bien plus commerciales, du gravel et de l’ultra. On le retrouve principalement dans 3 familles consanguines : les groupes urbains héritiers du fixie, les “crits” (critériums) des fondus des circuits sur asphalte et du virage sans frein et l’ultra des stakhanovistes du coup de pédale. Photo de couve Nicolas U.
Pour démarrez cette série de sujets, je vous propose de “débrancher le cerveau” et de vous lancer sur le tourniquet du crit.
C’est l’actualité de la saison des crits qui m’amène à évoquer cette discipline qui a souffert, comme d’autres organisations, de la pandémie du Covid. En voyant la vidéo de la célèbre Fixed42 Rad Race qui s’est déroulée 4 août à Berlin, j’ai fait un parallèle avec l’émergence aux J.O. des disciplines sportives venant de la culture urbaine. J’ai tout de suite pensé : pourquoi n’aurait-on pas une épreuve de crit aux J.O. ? Je ne suis pas à une utopie près, mais ces sports moins institutionnels me font rêver.
Dans l’ombre des J.O.
Lors de Paris 2024, nous avons pu voir 43 disciplines, dont certaines sont nées spontanément, propulsées sur cette scène sportive mondiale par une jeunesse urbaine. Nous avons pris plaisir à voir du Skateboard, du BMX Free Style, du breakdance (en démo cette année), du basket 3×3, du beach Volley… Le vélo était présent dans sa forme classique, dans ce décor grandiose du circuit final, avec des coureurs un peu perdus sans leurs oreillettes. Le spectacle était beau, mais c’était un peu long. Je me disais que ce serait génial de voir ici dans Paris un crit en pignon fixe, où l’on verrait tourner devant nous des champions du coup de pédale.
Le crit
Quand on parle de crit, on pense bien sûr au Red Hook Crit, né à Broklyn en 2008 dans l’euphorie de la mode du fixie. Déjà fan de ces crits endiablés, j’avais évoqué la victoire de Thibaud L’henry lors de l’édition 2014. La dernière édition a eu lieu en 2018. On pense aussi bien sûr au National Moutarde Crit de Dijon qui s’est arrêté également en 2018. Ces crits ont posé les bases de ce type d’épreuves qui peuvent se dérouler sur un parking, une piste d’aérodrome ou encore, comme pour la RAD Race, sur une autoroute. L’aventure du crit continue en Allemagne, aux Pays-Bas, en Suisse, en Italie… La France, écrasée par la réglementation, a jeté l’éponge. “Cette année 2018 était importante, nous étions prêts entre organisateurs des CRIT internationaux à créer un challenge mondial, qui aurait pu devenir un championnat du monde UCI. Malheureusement, la crise sanitaire et le manque d’intérêt des instances mondiales du vélo en ont décidé autrement“, me dit Maxime Poisson, organisateur du CRIT Moutarde qui a malheureusement disparu.
La Rad Race Fixed42 World Championship
Ils l’ont faite à nouveau, avec près de 500 inscrits. Les coureurs ont parcouru, sur une route trempée par la pluie, la quarantaine de kilomètres du Championnat du monde non officiel de pignon fixe RAD RACE 2024 à Berlin. Cette course en pignon fixe se déroule sur des routes fermées. Le départ se fait dans la banlieue sud et l’arrivée est en cœur de ville, sur l’avenue du 17 juin. Un spectacle endiablé pour les participants et les spectateurs. Cette formule de course en ligne est atypique, car en général les crits se déroule sur un circuit court, en plusieurs manches éliminatoires : un régal pour les spectateurs.
Le parcours …
La vidéo “On board”
En découvrant cette vidéo, j’ai contacté Nicolas U, en voyant sur Facebook qu’il avait participé à la course.
Nicolas raconte sa course …
“Couché trop tard, mon premier geste en me levant est d’ouvrir la fenêtre, il pleut ! Le prof de géographie et son blog ultra précis meteociel.fr avait malheureusement raison. Je grignote un peu, je me douche et je m’équipe pour rouler sous la pluie. En sortant de l’hôtel, par chance, la pluie s’estompe peu à peu et en quelques minutes nous arrivons à la gare. J’aurais dû prendre un café et une viennoiserie, mais de peur de rater le train, j’ai fait l’impasse. On file directement sur le quai avec les vélos. Un trajet de 45 min dans le wagon à vélo, rien à dire, c’est autorisé et voyager en Allemagne avec son vélo peut être agréable.
Arrivé à la gare de Ludwigsfelde, nous sommes près d’une cinquantaine de cyclistes à sortir du train avec nos numéros accrochés sur le tube de selle et notre dossard. Tout le monde part rapidement, quelques gouttes nous souhaitent la bienvenue à 40 km au Sud de Berlin. Le départ est sur le parking de cette petite gare, proche de l’autobahn. On se pose à l’abri d’un stand et les bénévoles arrivent et proposent bananes, oranges, boissons énergétiques… L’attente est longue, j’aurais dû commencer à rouler pour me chauffer les jambes.
Dans le 3ème sas, il y a pas mal de monde. On recolle le groupe de devant et on patiente. Petite montée pour sortir du parking et après avoir pris à gauche, une longue ligne droite. Tout le monde part comme s’il avait vu le diable : 42km/h j’ai du mal à revenir sur mes amis et je les laisse filer. J’essaie de prendre des roues pour m’accrocher aux groupes devant. Je prends de la flotte sur le visage et je me cale derrière les plus costauds afin de me protéger du vent. Après deux longues lignes droites de plusieurs kilomètres, voilà l’embranchement de l’autobahn, je suis un groupe qui roule bien, un peu trop : ils prennent à droite et descendent une bretelle qui n’est pas la bonne direction. Je m’arrête au bout de 100 m et je fais demi-tour.
Jusqu’à la sortie de l’autoroute, je me retrouve souvent seul face aux éléments. Dans ma tête je me motive en me rappelant des trajets sur les quais, sous la pluie entre Boulogne et le fond du 13ème. Sur la route, je croise quelques participants sur le bord, mais pas le temps de regarder, je reste focus sur la route devant moi, trop d’eau et de risque de chute. Une fois l’autoroute passée, j’accélère et je double d’autres participants. Avoir quelqu’un en ligne de mire est motivant. J’en rattrape en coupant les virages au plus court tout en contrôlant l’éventuelle présence d’une plaque d’égout qui pourrait être fatale. Un petit groupe me remonte et je pensais à tort qu’il restait encore un bon kilomètre, je me fais surprendre par leur départ en sprint, l’arrivée était à 500 m…. J’arrive avant la voiture balai qui neutralise les retardataires. 34,5 km/h de moyenne, sous la pluie : une meilleure moyenne qu’en 2018 sous le soleil. 271 ème sur 450 participants. J’aurais préféré être dans la première moitié mais bon, en tant que doyen de la course, cela me laisse une marge de progression pour 2025 pour améliorer mon résultat.”
Ces quelques images montrent que le fixe, trop vite enterré, est toujours vivant. Il restera sans doute éternellement en marge, car c’est un vélo de décroissance : peu de marques s’y intéressent, surtout pas celles qui produisent des transmissions 😉 Les médias, de la même manière, préfèrent le thème du gravel, où désormais il y a foule. Pour ma part, j’adore ces vélos minimalistes, épurés, simples en apparence, qui demandent aux cyclistes un engagement sportif total. Je vous proposerai une suite à cette article, avec d’autres sujets sur le fixe, dont, au Bike Café, on n’a pas encore fini de parler.