Strava nous le confirme : le sport ne rime plus avec épuisement. Bonne nouvelle, qui va sans doute rassurer bon nombre d’entre-nous. Dans son décryptage annuel des nouvelles tendances 2024(*), Strava indique que les données enregistrées sur son site, montrent une forte augmentation du nombre de clubs et des activités en groupe. La recherche de liens sociaux semble devenir le principal moteur qui nous pousse à pratiquer une activité sportive. Cette évolution des comportements se concrétise par la participation à des activités en club (au sens Strava du terme) au niveau mondial, qui a augmenté de 59%.
Photo de bandeau, le comptoir de Pista Café – Patrick VDB.
Le sport, site de rencontres
La recherche de la forme physique se mêle à l’amitié. C’est ce qui est exprimé par 58 % des répondants. Ils ont déclaré avoir élargi leur cercle d’amis via des groupes sportifs. Près d’un sportif(tive) sur cinq de la génération Z (les personnes digital native, nées à la fin des années 1990), est même sorti(e) avec une personne rencontrée par le biais du sport. Ces “Gen Z” sont quatre fois plus enclins à vouloir rencontrer des gens ainsi, plutôt qu’au bar ou en boite de nuit. On m’avait dit que le vélo était devenu le nouveau golf, mais j’apprends qu’il est aussi le lieu potentiel d’autres types de rencontres. Ces activités en groupe ont comporté trois fois plus de pauses que les activités en solo. Elles ont augmenté de 13 %, reflétant une tendance à privilégier les conversations ou les pauses café durant les sorties.
Ces statistiques sont décidément très intéressantes, car elles révèlent également une augmentation moyenne de 40 % de la durée des activités (course, vélo, randonnée), enregistrées dans un groupe de plus de 10 personnes, comparativement aux activités en solo. Pour le vélo, ce constat confirme l’engouement pour des distances plus longues qui, quand on roule à plusieurs, passent plus vite.
Strava, un réseau social sportif
Dénoncé par des “repentis” tricheurs, ce réseau social de la performance pourrait devenir le terrain de jeu de ceux qui manipulent leurs données pour gonfler leurs performances. Cette tendance 2024, qui met l’accent sur la quête de convivialité, démontre le contraire. C’est devenu “has been” de bomber le torse. Certains gros bras, qui utilisaient ce réseau comme la vitrine de leurs performances, ont vieilli et du coup, la disgrâce de la contre-performance les fait disparaitre de Strava. Parfois, certaines perfs outrageuses, sont simplement le fait du hasard d’un GPS, qui n’a pas été éteint lors du retour en voiture d’un entrainement. C’est flagrant et on en rigole tous. Pareil pour les vélos électriques, chacun analysera comme il l’entend la valeur de sa performance sportive.
C’est curieux, et presque paradoxal, que la technologie participe à augmenter la dimension sociale du cyclisme. Les applications de suivi GPS et les réseaux spécialisés, ont dans ce domaine plus d’intérêt que les réseaux sociaux généralistes. Ces outils donnent envie de sortir, de rouler, de rejoindre les groupes à un point de départ, de regarder les parcours réalisés par les copains. Les échanges sont ici plus cordiaux, basés sur une passion commune. On échange les photos et les souvenirs qui vont avec. Les KOM (King Of Mountain) ont perdu de l’intérêt, mais il faut avouer qu’il n’est pas désagréable d’obtenir une “médaille” sur un segment, ce qui montre que vous avez battu votre record personnel sur cette portion.
Avec tous ces parcours, les traces communautaires se partagent, certaines pouvant néanmoins poser des problèmes de sécurité militaire (voir l’article du Monde). Il redonne au mot social une sincérité, qui est tellement factice par ailleurs. Ces clubs, ces événements, ces liens échangés en temps réel, chamboulent le monde du vélo. Certains me disent à quoi bon prendre une licence, s’habiller tous pareils, se voir sans se connaître, rouler pour rouler et ne pas s’attendre lors d’une sortie. Le succès des sorties en groupe sur Strava, c’est peut-être d’offrir un espace de rencontre pour partager une passion : pas de contrainte, c’est libre et gratuit.
Puisque le café et la pause qui l’accompagne sont évoqués par Strava, on notera également que dans cette évolution sociologique du monde du vélo, il y a la multiplication des Cafés Vélo, qui proposent des “social ride”. Et si vous voulez faire une pause café virtuelle pour passer un moment avec nous, n’hésitez pas à vous inscrire à notre club Strava de Bike Café et à notre newsletter hebdo : gardons le contact.
(*) Strava a analysé les milliards de données uniques générées par sa communauté mondiale de plus de 135 millions de personnes réparties dans plus de 190 pays, en les combinant avec des informations issues d’un sondage global aléatoire mené auprès de plus de 5 000 sportifs, utilisateurs ou non de la plateforme.
Voir tous les chiffres du dossier 2024
Strava, j’ai arrêté depuis une douzaine d’années. J’avais l’impression d’être embarqué dans un cyclisme de statistiques. Ca ne manque absolument pas.
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C’est intéressant, mais je pense qu’il faut quand même avertir les lecteurs que la vraie sociologie s’appuie (ou devrait s’appuyer) sur une méthodologie rigoureuse.
Les articles publiés par les entreprises commerciales sont rédigés par des “marketeurs” dont le job est de publier des contenus qui seront repris pour augmenter la visibilité des marques et au final, leurs ventes.
Les marketeurs n’ont généralement pas la formation en analyse statistique, en sociologie pour interpréter correctement des données, donc méfiance !
J’ai pris le temps de lire le document complet et en l’occurrence, les résultats semblent souffrir d’un énorme biais : par essence, les statistiques utilisées étant issues des données Strava + d’un ensemble de répondants sélectionnés “on ne sait pas comment”, elles ne concernent pas l’ensemble des pratiquants. Les conclusions du dossier laissent penser que les échantillons “utilisateurs de Strava” et autres (les 5000 répondants) ont été analysés séparément mais sans préciser dans quels cas. De plus, aucun des “filtre”s” qui sont probablement utilisés ne sont communiqués. Exemple : sur les équipements. Il semble désormais possible aux utilisateurs Strava de renseigner leur équipement. Combien le font ? Est-ce que toutes les catégories d’utilisateurs (des plus occasionnels aux plus réguliers) renseignent leur équipement de la même manière ? J’en doute, mais rien ne permet de lever mon doute puisqu’on ne sait rien.
Bref, je trouve dommage que le sujet vraiment intéressant ne soit pas confié à de vrais sociologues et statisticiens qui pourraient faire de vraies études, ce qui donnerait du crédit aux enseignements tirés de la masse considérable de données fournies par la plate-forme.
J’ai aussi un problème avec la presse qui reprend ce genre de communiqués sans précautions car cela contribue à banaliser des enquêtes d’entreprises privées souvent très peu rigoureuses et à flouter la frontière entre information sérieuse et information de remplissage, voire, dans certains cas, avec des “vérités alternatives” diffusées sans autre but que de gagner de l’argent.
PS : j’enseigne le marketing après l’avoir pratiqué en entreprise et je constate le manque de rigueur scientifique dans l’analyse de la plupart des données quantitatives servant à des pseudo “études de marché”. Le but premier de la plupart des études semble être de juste exister pour crédibiliser un propos qui convient à ceux qui les tiennent.
Merci pour ces précisions utiles qui vont bien au delà de la sphère qui nous concerne.
Merci mon cher Vince pour tes remarques pertinentes, comme d’habitude. Effectivement ces statistiques ne présentent pas une fiabilité absolue pour les raisons que tu évoques. Mes connaissances en marketing se limitent à un “bout” de Master passé sur le tard à HEC, avec néanmoins beaucoup d’intérêt malgré les démolitions régulières de nos études de cas par notre prof Jean-Noël Kapferer 😉 J’ai fait cet article car personnellement je constate sur le terrain ce phénomène grégaire et la tendance plus prononcée à marquer la pause. Disons que ce bilan m’a fourni un prétexte pour parler d’une tendance qui me plait bien. La stratégie de Strava était plutôt la performance, ça peut démonter, si manipulation il y a, qu’ils ont évolué à ce sujet.
Patrick, ta réponse, comme d’habitude pleine de sincérité corrobore ce que les lecteurs réguliers que nous sommes connaissons de toi : tu aimes parler de ce qui te plait, et je ne doute pas que ça soit aussi probablement ce qui plait aux lecteurs.
Je suis donc ambivalent : le côté pile de moi (lecteur loisir, passionné) apprécie. Le côté face (citoyen éveillé) regrette le glissement qui se fait dans la société en général vers une sur-simplification de plein de choses mais qui, comme par hasard, pousse toujours dans une direction : la consommation, l’argent, etc. La science est remplacée par de la pseudo-science dans le but de changer les comportements des citoyens à son avantage. Et quand la vraie science conclut dans une direction qui ne plait pas, on en vient désormais à la museler (cf disparition de données sur le climat par l’équipe de cowboys de Musk aux E-U début février). Alors, évidemment, il y a un monde entre l’importance de ces sujets. Certes, mais j’espère juste, à mon échelle, contribuer (avec mes élèves en 1er lieu, mais aussi dans mon entourage) à éveiller sur la différence entre science et pseudo science.
Concernant la stratégie de Strava, il est bien naturel qu’une jeune entreprise comme Strava évolue dans son positionnement au fil du temps et de son développement. Jean-Noël Capferrer (que je n’ai pas eu comme prof, malheureusement ; je n’ai pas fait mon MBA à l’INSEAD) te l’as probablement enseigné : quand on se lance dans le business, il faut segmenter le marché et choisir. Impossible de satisfaire correctement l’ensemble du marché. Ça n’est qu’après une (ou plusieurs) phase(s) réussie(s) qu’il faut élargir pour conserver (ou accélérer) sa croissance. En l’occurrence, les compétiteurs ont été visés comme “early adopters”. Il leur faut désormais viser l’ensemble des pratiquants réguliers pour que leur base de clients s’élargisse (ceux qui paient leur abonnement). Et le côté communautaire a un avantage : les clients existants deviennent prescripteurs. Le CAC (Coût d’Acquisition Client) baisse alors que la viralité permet une accélération exponentielle (dans cette phase de développement). Bref, concernant les tendances observées, il faut prendre garde à ne pas confondre effets et causes. Pour moi, Strava a une stratégie active d’ouverture de son marché au-delà des compétiteurs et cette enquête est l’un des outils pour y parvenir. Un thermomètre n’est ni un pathogène, ni un médicament. Leur étude est aussi un moyen de montrer que leurs efforts portent leurs fruits (attention ! je ne dis pas que l’évolution décrite est fausse ! Juste que le thermomètre utilisé n’est pas l’outil permettant de le prouver).
PS : je ne tire pas sur Strava uniquement. Les politiques sont spécialistes de l’utilisation partisane de données, et de nombreuses ONG militantes également.
Merci Vince pour cet échange épistolaire sympathique. Ça donne à réfléchir. Mon écriture motivée par ce que je ressens. Je ne suis pas dupe de ce système et malheureusement sur le même constat de cette perte d’éveil de nos sociétés. Tout s’est amplifié au moment où les fondateurs de Google, qui préparaient en 2004 leur introduction en bourse, déclaraient que leur objectif était “vous donner exactement ce que vous voulez, même si vous n’êtes pas sûrs de savoir ce dont vous avez besoin“. L’inverse d’un bon marketting qui devrait partir du besoin et de l’évolution sociale. J’avais commis cet article sur ce sujet qui avait provoqué de nombreux commentaires 😉 https://bike-cafe.fr/2021/09/etes-vous-techno-dependants/
Je précise que mon commentaire ne vise pas à contester le décryptage que Strava fait des tendances observées parmi ses utilisateurs. Ils sont d’ailleurs (assez) clairs sur la source de leurs données.
C’est à la presse, qui réutilise ces données, de prendre le recul et de ne pas généraliser. C’est son rôle d’informer le lecteur que, même si Strava est une application à forte audience, on ne peut pas passer des “l’utilisateurs Strava” à “nous” – sous-entendu l’ensemble des pratiquants – sans précautions (comme l’exemple de Pascal le montre, on peut être lecteur de BC et non-utilisateur de Strava). Citation copiée plus haut : “La recherche de liens sociaux semble devenir le principal moteur qui nous pousse à pratiquer une activité sportive.”
Un travail journalistique intéressant serait de compléter cette étude quantitative à grande échelle (ce qui la rend intéressante) avec une approche qualitative plus spécifique au domaine (le vélo, éventuellement même focalisé sur le gravel), qui viserait à “calibrer” les résultats globaux sur un domaine mieux défini et plus précis. Par exemple en reposant certaines des questions de l’enquête Strava aux visiteurs du site Bike Café, puis en testant l’hypothèse de la représentativité des lecteurs de BC par rapport aux pratiquants au sens large.
Pour rendre mon propos plus concret, voici un exemple issu du document synthétisant l’étude Strava 2024 : “Ce n’est pas le fruit de votre imagination : le nombre de clubs de course à pied a bel et bien augmenté, tout comme le nombre de couples dans ces clubs. Mais vous n’y allez pas que pour le running et les histoires d’amour. Les activités correspondantes et le très grand nombre de clubs Strava le prouvent bien.”
Le narratif marketing de Strava apparait clairement :
– de plus en plus de gens font du sport pour sociabiliser
– Strava est le meilleur moyen de sociabiliser (voire de faire des rencontres) car il est facile de rejoindre un des clubs de plus en plus nombreux
– Il faut donc faire comme la plupart des autres sportifs engagés, s’inscrire sur Strava (et enregistrer toutes ses activités dessus)
L’étude est donc un moyen de “prouver” l’utilité de l’application pour rencontrer des personnes, pour faire du sport, en renseignant le maximum d’information sur soi, son équipement, etc. (monétisation des infos par Strava).
Mesurer l’augmentation des clubs et en déduire que les gens, en général, pratiquent plus en groupe, c’est peu rigoureux. C’est normal ! Un peu comme si DKT se lançait demain dans la location de matériel de sport au lieu de la simple vente et faisait ensuite des statistiques parmi ses clients sur le nombre de gens pratiquant la location. Forcément, les chiffres augmenteraient !
Il serait plus intéressant de comparer les chiffres issus de Strava à l’ensemble des pratiquants. Est-ce que DANS l’ENSEMBLE, (utilisateurs et non-utilisateurs de l’appli) les gens recherchent plus aujourd’hui qu’hier la pratique collective d’un sport a priori individuel ? Puis, pour ceux qui sont dans ce cas, quels clubs rejoignent-ils ? Club affilés (qui peuvent aussi être présents sur Strava); clubs informels (sur Strava ou autres réseaux sociaux); en groupe mais sans aucune affiliation, ni formelle ni informelle.
On aurait là une vraie étude sociologique intéressante sur les évolutions des motivations menant à la pratique sportive, les formes de pratiques collectives actuelles, le taux de présence sur les réseaux sociaux selon le type de pratique (occasionnel, régulier, compétiteur).
Sujet de mémoire pour des étudiants STAPS ou socio ?