Le Bikingman X est une épreuve particulière dans le calendrier du Championnat. Le X signifie que le parcours est dévoilé au dernier moment : c’est la surprise annuelle que Axel Carion réserve aux participants de son championnat. Cette année, l’épreuve se déroulait au Maroc où le Bikingman commence à avoir ses habitudes. Il faut dire que le pays est attirant, particulièrement à cette époque de l’année. C’est un véritable paradis pour les cyclistes grâce à ses routes spectaculaires, ses paysages à couper le souffle et son climat idéal pour pratiquer la longue distance. C’est ce qui a tenté Benjamin Bodot vainqueur de cette épreuve route et gravel de 1000 km en 59h24′.
Bike Café vous propose le récit que Benjamin nous a livré de sa course.
Samedi matin, après un vol (trop) matinal au départ de Nice, nous débarquons à Marrakech, mes deux amis du club Ultracyclisme Côte d’Azur et moi, tout penaud avec nos caisses à vélo. Le cadeau de Noël offert par mon épouse se concrétisait : c’est le Bikingman X au Maroc. J’ai déjà participé à deux Bikingman sur route, le France 2024 et le Corse cette année, mais là c’est différent ; c’est ma première épreuve en Gravel, à l’étranger, et sans avoir la trace à l’avance, l’aventure ! À l’hôtel nous retrouvons des visages connus et l’atmosphère du Bikingman, ça y est, on y est ! Un Bikingman, c’est particulier, c’est une ambiance que je n’ai jamais connue sur une autre course, c’est une famille et un accompagnement au top, une organisation professionnelle et chaleureuse que j’ai vraiment plaisir à retrouver.
Je remonte mon vélo, un Paula de Massacan, un cadre en alu sportif et réactif, au guidon duquel je retrouve un peu les sensations de mon vélo de route. Ce n’est peut-être pas le vélo le plus confortable, mais j’adore son comportement et je le sais très efficace sur la route. Tout reprend sa place, l’éclairage, la bagagerie et je retrouve peu à peu les réflexes acquis sur les précédentes épreuves. Aux vérifications techniques le verdict tombe : 18.80 kg sans eau. Je fais clairement parti des vélos les plus lourds au départ. Le poids de mon pessimisme : une sacoche pleine de nourriture, 3 chambres à air, trop d’outils, 3 powerbanks pour alimenter mes feux, mon GPS et mon téléphone et assurément trop de vêtements contre le froid…
Lors du briefing, nous écoutons avec attention les dernières indications et conseils de sécurité d’Axel Carion qui finit par enfin nous dévoiler la trace. Un beau parcours d’un peu plus de 960 km, 15 500 m de dénivelé total avec près de 30% de Gravel, dont plusieurs portions très longues. Je note soigneusement les points d’eau à ne pas rater avant les zones désertiques et j’en resterai là de ma préparation du parcours. Je n’ai jamais vraiment préparé mes traces, j’ai toujours privilégié la découverte et ne veux pas me rajouter de contrainte, je suis là pour en profiter, sans réel objectif et surtout je ne sais pas si je peux réellement anticiper ma vitesse sur une telle épreuve.
Le premier jour
Je suis seul, sans savoir combien sont devant ou derrière moi…
Huit heures du matin, l’heure du départ, je suis fébrile comme à chaque fois. Je pense être capable de finir, et même de jouer devant, après ma 4ème place en France l’année passée et ma 5ème place en Corse en mai, mais ça reste toujours une grosse montée d’adrénaline. Le paramètre Gravel est tout nouveau pour moi, il va falloir rouler intelligemment pour économiser la machine, rouler vite en route va puiser dans le corps ; en Gravel l’erreur est plus facile et la mécanique souffre énormément si l’on est trop demandeur.
Après 20 km neutralisés en peloton, encadrés par la gendarmerie royale, la course commence vraiment. Le leader du championnat, André Fróes, s’échappe très rapidement, suivi par Marc Hamelin. Un petit groupe auquel je me joins se détache ensuite et j’y retrouve Mathieu Plessis avec qui j’avais roulé en Corse. Nous roulons ainsi pendant quelques dizaines de kilomètres jusqu’aux premières ascensions vers le col de Tischka qui viendra étirer le groupe petit à petit. Je suis seul, sans savoir combien sont devant ou derrière moi, je profite du paysage et m’autorise même quelques photos. Le dépaysement est total.
Peu après le col, la première grosse section Gravel se profile, un gros chantier de 40 km avec de la piste très cassante et du gros pourcentage, ça ne rigole pas, il faut pousser le vélo, les descentes sont techniques et cassantes et je crève très vite de l’avant sur un excès d’optimisme. Le trou est trop gros pour le préventif et je pose ma première mèche. Dix kilomètres après, rebelotte avec une seconde crevaison, la mèche ne tient pas et je suis obligé de mettre une chambre. Sur les conseils de ma fille, je suis parti en sécurité avec trois chambres, détail qui aura son importance pour la suite de la course…
Nouvelle section Gravel de 40 km avant le CP1, je rejoins Frederic Duffet en manque d’eau et lui donne le contenu de l’un de mes bidons que j’ai réussi à remplir dans un ruisseau un peu plus tôt. La nuit commence à tomber et nous attaquons confiants cette section en projetant d’arriver au premier CP dans 3 h. Il nous en faudra 5 ! Nous alternons les parties techniques et les séquences de portage dans le fesh fesh profond ou à travers des lits de rivières asséchées, c’est dur, très dur. Arrivés à Toundoute, épuisés, nous retrouvons Eddy Guichard et Mathieu Denegre, nous sommes 3ème et 4ème. Nous apprenons que Mathieu Plessis a dû abandonner après avoir déchiré son pneu et qu’André Fróes, longtemps en tête de course, est en train de pousser son vélo pour les mêmes raisons.
Après des litres d’eau et le réconfort d’un tajine bien chaud, je prends le temps de nettoyer ma transmission, fixe une bouteille d’eau additionnelle entre mes prolongateurs et je reprends la route en plein cœur de la nuit, peu après Eddy.
En route vers le 2ème CP
La suite est moins difficile et plus roulante, les kilomètres s’enchainent. Je rejoins Eddy et nous roulons ensemble jusqu’à ce que je décide de m’arrêter dormir 30 minutes, caché dans les palmiers. Je ne veux pas jouer avec le sommeil de peur que la fatigue me saute au visage plus loin dans l’épreuve. Quand j’ai sommeil, je m’arrête quel que soit le moment de la journée, je ne suis pas là pour la gagne à tout prix. Peu m’importe réellement ma place, tant que je donne le maximum sans non plus me mettre en danger, le risque n’en vaut pas la peine.
Le jour se lève et la route défile pendant plus d’une centaine de kilomètres sans grosses difficultés jusqu’à la dernière section Gravel avant le CP2. Trente kilomètres de piste en descente très rapide, c’est fun et je me régale, le vélo file, le plaisir est là et le paysage est incroyable, mais les mains commencent à souffrir des vibrations. C’est la délivrance quand la route apparait. Un bruit de quincaillerie inquiétant provient de mon disque avant, je soupçonne une prise de jeu du disque à cause d’un mauvais serrage lors du remontage et je préfère réduire ma vitesse.
J’arrive au CP2 de N’kob en début d’après-midi, j’y retrouve Eddy qui semble en super forme, on mange ensemble tranquillement, je le sens physiquement très fort et me dis qu’une deuxième place serait déjà inespérée même si, à ce stade de la course, ça reste très hypothétique.
Je nettoie ma transmission à nouveau, remplis mes bidons et ajoute encore deux bouteilles d’eau dans mes poches de maillot pour filer chez un réparateur de vélo et resserrer mon disque avant. Après 5 minutes de fouille dans la caisse du réparateur, je me rends à l’évidence, pas d’outil. Je repars avec mon disque baladeur en croisant les doigts.
La bascule
Ce sera long, ne m’attends pas…
Me dit Eddy
Un long faux plat montant déroule devant moi, la route est droite et la température de 47 degrés tape fort, le moral commence à souffrir. Par bonheur, je croise un groupe de touristes sortant des vélos de location d’un camion et leur emprunte de quoi resserrer mon disque pour repartir sereinement. Un peu plus loin, je retrouve Eddy, occupé à monter une chambre à air sur sa roue avant, nous repartons ensemble pour attaquer un col routier de plus de 1000 m avec des sections à plus de 12%. Pas d’ombre, c’est rude, mon sentiment se confirme quant à la forme d’Eddy que je sens un bon cran au-dessus de moi, il monte bien et semble à l’aise.
Après un ravitaillement et une douche a l’eau minérale au sommet du col, nous repartons tous les deux sous le soleil, c’est là qu’Eddy m’annonce devoir s’arrêter, « Ce sera long, ne m’attends pas… ». Je suis en tête… J‘essaie de ne pas trop me projeter, il reste plus de 400 km et tout peut arriver, surtout dans les pistes et le retour d’Eddy est plus que probable.
Arrive alors une section de piste de 50 km, je consulte le tracking et vois qu’Eddy n’est toujours pas reparti, c’est là que je peux faire l’écart, la piste n’est pas technique en soit mais pleine de croisements et de pistes parallèles. Il faut absolument que je sorte avant la nuit pour gagner du temps. J’enchaine la trace le plus rapidement possible, c’est long et physiquement éprouvant, je ne regarde plus rien d’autre que la piste devant mes roues et pousse le plus possible pour réussir à sortir en tout début de nuit.
Je suis seul devant !
Je m’arrête et regarde le tracker pour découvrir qu’Eddy a abandonné, il a crevé encore une fois et ne peut pas réparer, je me retrouve seul en tête avec plus de 50 km d’avance sur mon poursuivant, André Fróes, qui a réussi à repartir et remonter tout le monde.
Cinquante kilomètres c’est large, mon avance est confortable et la forme est encore là, je décide de réduire mon allure pour économiser le corps et la mécanique le long des 80 km qui me séparent de Tizi n Touggouk, sommet de l’aventure qui se traversera par la piste.
C’est à ce moment que je vois arriver Bastien et Didier dans la voiture média, ils m’accompagneront jusqu’aux portes de Marrakech et me permettront de briser ma solitude.
Le début de l’ascension se fait en début de nuit, à mi-parcours je décide de profiter d’un abribus pour dormir une heure. Vingt kilomètres plus loin, je m’arrête à nouveau et m’allonge par terre à côté du vélo pour 30 minutes de sommeil supplémentaires. Le sommet est enfin atteint et j’attaque la descente dans la nuit noire pour retrouver la route au lever du soleil, la vue est magnifique, la température est bonne, c’est le bonheur et je roule ainsi jusqu’au CP3 du village d’Iguidi où j’arrive en fin de matinée. C’est un petit village pittoresque perdu dans la montagne, les enfants me tapent dans les mains, c’est magique, la forme est bonne et Marrakech se rapproche.
L’arrivée
J’avale très vite une omelette et lave une dernière fois ma transmission, 15 minutes plus tard je suis à nouveau sur le vélo et j’attaque le dernier col de l’aventure. Un sacré morceau ! Des portions à plus de 14% que je vais passer en marchant, je prends mon temps et profite de mon avance pour ne pas trop m’épuiser, je préfère en garder un peu pour enchainer les parties roulantes de la fin. Deux heures seront nécessaires pour franchir ce col, à l’abri des nuages et sous une température plus clémente de 37 degrés, je suis bien, la fin approche.
Au sommet, je prends un peu de temps pour discuter avec Didier et Bastien qui me confirment mon avance. Devant moi, s’annoncent plus de 3000 m de dénivelé à descendre dans lesquels je profite à fond, le paysage est grandiose et la route est propre, c’est le bonheur. La route se dégradera ensuite avec beaucoup de poussière et des travaux où je resterai bloqué pendant plus d’une heure ; pas de stress, mon avance est suffisante. La route redevient propre et Marrakech n’est plus qu’à 100 km, je passe la dernière petite bosse en puisant dans mes dernières réserves et l’euphorie arrive, c’est la fin.
Crevaison… de l’avant encore, un bout de verre s’est logé exactement là où j’avais percé mon pneu la deuxième fois, je change ma chambre en vitesse et regonfle mon pneu. Rien ne se passe, la valve est cassée. Je démonte une nouvelle fois et je monte ma dernière chambre en croisant les doigts. Ça gonfle, c’est bon ! Je peux repartir et remercier ma fille de m’avoir conseillé de prendre une 3ème chambre à air de secours.
Je fais désormais très attention où je mets mes roues, un vent latéral commence à se lever. Sur le groupe WhatsApp de l’organisation, je vois un message annonçant une tempête et ça commence à se lever franchement. Les mains en bas du cintre, pour tenir dans les bourrasques, je pousse le plus possible pour enfin virer à gauche et filer vent dans le dos. C’est à plus de 40 km/h que j’avale les 30 derniers kilomètres qui me séparent de Marrakech.
J’y suis, ça y est, j’arrive à Marrakech au milieu de la circulation et je passe sous l’arche d’arrivée sans vraiment réaliser ce qu’il se passe, j’ai fini, j’ai gagné…
Alors, heureux ?
Voyager à vélo et parler de vélo, que demander de plus ?
C’est peu de le dire ! Au-delà de la victoire, que je n’étais sincèrement pas venu chercher et à laquelle je n’aurais jamais cru, je pense que j’ai vécu ici ma meilleure expérience de vélo, exacerbée par le fait d’avoir gagné, sans doute. Passionné de vélo, de sa pratique comme de l’objet mécanique, je viens de vivre ici une semaine complète de passion. J’ai voyagé à travers le Maroc, découvert des nouveaux paysages et un nouvel univers, un véritable moment hors du temps en complète déconnexion du monde extérieur. Mais j’ai aussi partagé durant toute une semaine avec de véritables passionnés, du simple amateur à l’ancien professionnel, tous venus pour vivre une aventure plus qu’une course.
Le podcast avec Benjamin Bodot
Je pense sincèrement que, comme moi, la majorité des cyclistes viennent sur ces Bikingman pour vivre une aventure, peu importe le classement, que l’on finisse 1er, 20ème ou dernier, l’expérience est la même et elle est accessible à tous. Bien sûr que l’adrénaline de la course vient tous nous pousser plus loin dans nos limites, mais elle nous permet aussi de ressentir encore plus fort la magie de ce voyage immersif au plus proche du terrain traversé.
Rendez-vous l’année prochaine !
Lien vers le site : https://bikingman.com/fr/
Benjamin Bodot