Les montagnes sont de formidables forteresses qui renferment la culture de tout un peuple. En Suisse, dans le Tessin du Nord, se blottit la Valle Maggia, qui a gardé une vie paysanne teintée d’une histoire émouvante. Qui n’a jamais rêvé de venir dans le canton du Tessin, de rouler sur ses chemins le long du lac Majeur et de traverser une montagne luxuriante où se blottissent des villages authentiques ? À Locarno, les palmiers, les rhododendrons et les citronniers embaument un air doux et miraculeux. Jouant à la fois sur cette douceur méditerranéenne et sur la grandeur d’un massif d’altitude où les glaciers font scintiller des sommets de plus de 3000 m d’altitude, le Tessin possède cette ambiance que l’on rencontre rarement ailleurs dans les Alpes. Il était tentant de toucher son âme en parcourant en gravel l’une de ces vallées parmi les plus encaissés et profondes des Alpes, la Valle Maggia.
Texte et photos – Pierre Pauquay



Il souffle ici un parfum méridional unique en Suisse. Avant de partir vers la Valle Maggia, une petite visite s’impose. Dominant la ville, le sanctuaire de la Madonna del Sassoet, ses façades claires répondent aux notes bleues du lac Majeur. Si l’on excepte l’excellent balisage numéroté 31 du réseau suisse, tout respire l’Italie, ici dans le Tessin. En été, les façades des maisons sont fleuries, les femmes et les hommes se baladent à pied ou à vélo dans leur plus bel habit.
Un bout d’Italie… en Suisse


L’itinéraire va quitter la richissime riviera et les stars du Locarno Film Festival pour entrer dans un autre monde, plus austère, mais qui plaît aux cyclistes amoureux des vallées de caractère. Depuis la cité balnéaire, la route sinueuse qui mène dans la Valle Maggia se rétrécit au fur et à mesure de l’avancée, comme si elle voulait protéger son identité et son particularisme. La montagne se montre de plus en plus hostile, de noire vêtue et escarpée à l’extrême. Avegno comme Maggia sont embellis de fleurs et de potagers exubérants. Cette image idyllique de villégiature ne peut se comparer avec celle d’une époque pas si lointaine d’un Tessin besogneux. Dans ces villages reculés, des générations entières ont vécu en totale autarcie, loin du développement que connaissaient alors les rives du lac. On a peine à imaginer les conditions de vie des paysans, à la limite de l’endurance humaine.


Une vie de subsistance




Dans son livre Le fond du sac, Plinio Martini, enfant du pays et émigré aux États-Unis, relate sa jeunesse dans sa vallée natale où « la plupart des gens, un peu comme les mélèzes sur les crêtes, n’arrivaient pas à redresser leur dos ». Les familles les mieux loties possédaient un peu de bétail qu’ils menaient sur les alpages, vidés de leurs pierres une à une. Dans ces montagnes parmi les plus escarpées du monde, les jeunes y laissaient leur peau en allant chercher les chèvres égarées ou en fauchant du foin sur des vires vertigineuses. « Chaque famille portait le deuil d’un enfant disparu trop tôt. Le curé leur apprenait qu’ils étaient devenus des anges, et que chaque famille devait avoir les siens. » Le musée du Valmaggia, dans le palais Franzoni de Cevio, décrit cette vie de survie des habitants de la vallée.

Les jeunes comme Plinio qui portaient le fumier pour le répandre dans les champs se mettaient à rêver d’un pays de cocagne, l’Amérique ! La Valle Maggia, comme toutes les hautes vallées du Tessin, perdit au début du XXe siècle 70 % de sa population. Mais tout changea dans les années 1940. De nouvelles carrières exportèrent le gneiss micacé vers la Suisse et l’Allemagne. Dans les villages, des vélos apparurent, et d’autres biens facilitèrent le quotidien des habitants. Pour la première fois, les Tessinois pouvaient redresser leur dos et respirer. De chevrier, ils devinrent ouvriers ou maçons. Dans les Trente Glorieuses, le tourisme à Locarno vint ouvrir les portes de la Valle Maggia et emporta toute une génération vers un horizon plus heureux.
Vallée perdue
La remontée de la vallée est très belle et nous occasionne peu de difficultés. La piste cyclable, en site propre, traverse Giumaglio, Someo, Bignasco et Cavergno, construits en pierre. Peu après celle de Maggia, en amont, la longue remontée de la Valle Bavona permet de découvrir un riche patrimoine et une histoire écrite dans la pierre. Cette vallée du Tessin est une terre âpre où les hommes ont toujours lutté face à une montagne en perpétuel mouvement.

Chaque tournant est une invitation à la contemplation. À l’époque, la voie unissait les villages les uns aux autres et allait de sources en fontaines. Les archives locales font état de corvées auxquelles les communes devaient se soumettre en entretenant les nombreux sentiers de muletiers, parfois emportés par les crues du printemps. Ils sont l’héritage, le patrimoine d’une vie de labeur de paysannerie.


Sur les hauteurs de ces villages, les habitants avaient tracé des sentiers dans des endroits impossibles, élevé des kilomètres de murs en terrasse pour établir une agriculture de subsistance et monté des digues contre les inondations dévastatrices des torrents. Des efforts de titan rendus inutiles quand un pan de la montagne s’écroulait ou qu’une crue rompait les digues, balayant tout sur son passage. Un cataclysme qu’a vécu dernièrement le village de Fontana, en partie enseveli sous des torrents de pierres et de gravats durant la nuit du 29 au 30 juin 2024.

Au fur et à mesure des kilomètres, la montagne se montre de plus en plus hostile, de noire vêtue et escarpée à l’extrême. Dans les 12 hameaux de la vallée, des générations entières ont vécu en totale autarcie. La moindre parcelle était cultivée, que ce soit sur une corniche inaccessible ou au-dessus de surplombs.
Des blocs cyclopéens
La Valle di Bavona représente une vallée glaciaire étroite, en forme de U. Sa profondeur et son escarpement provoquent des éboulements impressionnants. Des monolithes de gneiss antédiluviens échouent dans le lit de la rivière et encombrent les rares terres cultivables. La traversée des prés autour des villages de Sonlerto et de San Carlo est, à ce titre, éloquente.




Les habitants se sont servis de ces gros blocs de gneiss tombés de la montagne pour créer des lieux de stockages, des étables ou des fours. Le toit naturel était parfois complété d’un mur en façade. Le village de Foroglio mérite qu’on s’y arrête et par chance, un joli restaurant nous accueille. Le cadre est idyllique, avec la cascade en arrière-plan qui se jette depuis 100 m de hauteur.
L’itinéraire emprunte la toute petite route qui se poursuit vers San-Carlo. Il pousse à se perdre dans les ruelles de ces villages tessinois et à observer les maisons serrées les unes contre les autres, ce qui permettait aux paysans de se tenir compagnie en hiver et de s’entraider.
La Presa, un village abandonné




Au retour, une escapade s’impose. À quelques centaines de mètres au-dessus de San Carlo, sur la route qui mène vers le téléphérique, un sentier se perd dans la montagne. Il rejoint en quelques enjambées les ruines du village de La Presa que les habitants ont fui suite aux trop nombreuses chutes de pierre et d’avalanches. Seules deux maisons et l’église ont été restaurées, devenant un vibrant témoignage d’une vie villageoise disparue. Une architecture peut raconter l’histoire de tout un pays, et celle du Tessin est émouvante. Ce lieu à l’écart des plaisirs du lac Majeur a su maintenir une tradition paysanne d’abnégation et de modestie.
Infos pratiques
Vélo route Percorso Valle Maggia (31)
Elle est magnifique et évolue d’années en années. Cet automne, nous avons vu des travaux qui devraient à terme la consacrer en site propre jusqu’à Cavergno.
Départ : Locarno, le long du lac à hauteur de l’embarcadère, en contrebas de la gare, route Viale Verbano
46 km l’aller et 900 m de D+, le retour sera plus facile.
À voir sur Suisse Mobile : https://schweizmobil.ch/fr/suisse-a-velo/itineraire-31
Variante
Au-delà de Cavergno, la petite route en cul-de-sac vers San-Carlo vous occasionnera peu de désagréments : la circulation est plutôt réduite. Nous vous conseillons d’aller rejoindre cette fin de vallée du bout du monde. Comptez 14 km aller pour rejoindre San-Carlo et 900 m de D+. Le retour s’effectuera sur la même route.
Manger

Vous pourrez vous restaurer à Maggia, Cavergno, Foroglio ou à San Carlo, en fin d’étape.
Dormir

Deux possibilités. Soit, vous logez à San Carlo à l’auberge Basodino, avec cette ambiance italienne à nulle autre pareil ou alors, prenez le téléphérique de Robièi pour rejoindre la Capanna Basòdino (refuge de montagne). Une soirée dans un village typique de la Valle Bavona ou une nuitée en altitude, à vous de choisir ! Depuis l’arrivée du téléphérique de Robièi, vous pourrez rejoindre en gravel le lac éponyme pour poursuivre ensuite sur la piste carrossable menant au lac supérieur dei Cavagnöö : l’occasion de côtoyer la haute montagne…
Voir plus d’infos : https://www.ticino.ch/fr




