L’édito de Bike Café
Il y a quelques années, on pouvait entendre cette expression dans le chahut potache des pelotons. Elle a quitté le verbiage cycliste contemporain, comme bon nombre de ces formules imagées. « Descendre du vélo pour se regarder pédaler » était une façon de caricaturer les cyclistes d’opérette qui privilégiaient le paraitre à l’efficacité. Cette image surannée a été largement remplacée par l’usage abusif du miroir narcissique des réseaux sociaux sur les smartphones. J’ai repensé à ça en voyant le reflet de mon image renvoyée par une vitrine de magasin. Cette apparition furtive sur ma vieille randonneuse, me disait que c’était quand même moins casse-gueule de me voir ainsi reflété, que d’essayer de descendre en marche, pour me regarder pédaler. J’admets que ce rappel du langage fleuri et imagé des pelotons cyclistes des années 70 évoque chez moi une certaine nostalgie. À l’époque, on avait la socquette en titane pour s’envoler dans les cols, l’homme au marteau nous assénait des coups sur la tête en montagne (même si Jean-Yves Couput l’a fait revivre), le coup de fusil marquait un démarrage irrésistible, voir la sorcière aux dents vertes était la mauvaise rencontre qui annonçait de sacrés coups de malchance… Difficile de dire qui sont les auteurs de ces formules désormais disparues de notre culture orale de cyclistes. (Photo de couv : Gabriel Refait, un jour où j’allais à Aix faire quelques courses)

Mais revenons à cette expression : descendre du vélo pour se regarder pédaler. Faudrait-il descendre de vélo pour regarder comment on pédale en France ? C’est un commentaire sur l’article présentant l’ouvrage Sociologie du vélo de David Sayagh qui m’a fait repenser à cette expression désuète. “Nous vivons une époque formidable. Beaucoup se plaignent des temps devenus difficiles, et pourtant notre pays peut se permettre de payer des personnes à faire de telles études, à les publier pour entretenir notre compréhension de notre univers et, on l’espère, à faire que demain soit plus agréable à vivre.“, disait Vince en réaction à la publication de cet ouvrage. On sent dans l’agacement de notre lecteur sa préoccupation pragmatique consistant justement à ne pas descendre du vélo pour avancer dans “un monde extraordinaire, mais qui ne pourra pas perdurer sans une sérieuse prise de conscience sur ce qu’il y aura à faire pour que nous puissions conserver notre système si généreux“, je cite encore Vince. Ce système généreux — entretenu à coup de “chèques” qui sont généralement, avec les comités “théodule”, la réponse à nos problèmes de société — nous met dans une situation de dépendance. Entre la complainte de ceux qui ne peuvent plus avancer faute d’aides de l’État providence et notre pouvoir politique qui s’est spécialisé dans le rétropédalage, le contexte ne donne pas envie de remonter sur le vélo et fournir un bon coup de rein pour avaler la bosse.

Aujourd’hui, on parle de 3% (source FUB) de nos déplacements qui sont réalisés à vélo, alors que la moyenne européenne est de 8% et que le champion dans cette catégorie sont les Pays-Bas avec le score impressionnant de 41%. En lisant le livre Sociologie du vélo, je suis sorti de mon petit périmètre du vélo provincial pour découvrir le nombre impressionnant d’organismes qui militent pour le développement du vélo. Malgré toutes ces “bonnes volontés”, qui pâtissent des atermoiements politiques, on fait du sur-place. Avons-nous besoin de budget pour foncer sur la route du développement du vélo ? Le manque de financement public est souvent évoqué comme la cause de cet immobilisme. Il est vrai que c’est un frein et à vélo, si on veut aller vite, il ne faut pas freiner. L’argent n’est pas forcément la bonne raison. Nous sommes nombreux à penser que cette lenteur est due au peu de volontarisme politique et social lié à notre façon de vivre, consommer, nous déplacer. À quoi servirait le déblocage de budgets, si on ne change pas notre façon de penser le vélo ? …
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