L’histoire de Curtis Odom est singulière. Lorsqu’il était gamin et qu’il se baladait à l’âge de 12 – 13 ans dans les rues de sa ville de Pacific Beach, il ne connaissait pas grand chose au monde du vélo en dehors des vélos Schwinn des livreurs de journaux qu’il croisait. Un jour en marchant dans une de ces rues, il repère une roue tordue posée sur le dessus d’une poubelle. En examinant cette roue abandonnée, il remarque que le moyeu est différent de ceux qu’il avait l’habitude de voir. Celui-ci était fabriqué en aluminium. L’absence de rouille a intrigué Curtis. En regardant de plus près il a remarqué que sur le centre du moyeu, il y avait une gravure, il l’a alors nettoyée et le nom “Campagnolo” est alors apparu. Sans comparer cette image à celle de la lampe d’Aladin, une sorte de magie s’est alors opérée pour orienter de façon incroyable son destin.
Désormais, Curtis a bien grandi et il garde ce moyeu fétiche qui est toujours posé sur son bureau en face de lui et qui lui donne toujours son inspiration pour créer ses fabuleux “bijoux” de moyeux.
Curtis roulait à l’époque sur un Raleigh aux roues de 20 pouces pour aller surfer à la plage. Sur le retour avec sa planche de surf sous le bras et sa combinaison dégoulinante d’eau salée, il a vite pourri de rouille son vélo. Curtis va alors se pencher sérieusement sur des pièces de vélo qui résistent aux effets de Mère Nature et s’intéresser aux équipements de compétition en alliage léger…
Ce destin singulier a éveillé notre curiosité et nous avons contacté Curtis pour lui poser quelques questions.
Bonjour Curtis, quel à été le déclencheur de ton projet de créer des moyeux pour les roues de vélos ?
Cette partie de l’histoire est amusante. Passionné par les images emblématiques de pièces de vélos et porté par ma maîtrise de la CAO (Conception Assistée par Ordinateur) et de la modélisation en 3D, je m’étais lancé dans la création d’images artistiques. Et puis, progressivement, ces images virtuelles sont devenues des plans de fabrication permettant la réalisation de pièces réelles me faisant oublier le projet originel.
Comment es-tu arrivé à des conceptions aussi épurées ?
C’est une question à laquelle il est difficile de répondre que ce soit pour des pièces de vélos ou d’autres objets. En tant que concepteur, je dirais que ma meilleure création est toujours la prochaine, elle est d’ailleurs déjà en cours de réalisation. J’en ai bien quelques unes que je préfère : comme par exemple mon moyeu avant avec cette mince partie centrale en acier inox poli au milieu de ses deux flasques petites ou grandes. C’est un parfait classique.
Au moment ou j’ai conçu ces moyeux j’ai eu de nombreux échanges avec des “gurus” de l’industrie, Rick Hjartberg (Wheel smith, Wheel Fanatyk, Mad Fiber), Bryant Bainbridge (Specialized bicycles, Nike), un artiste photographe Michael Graves (Black & Decker) et d’autres. Ces personnes ont compris mes inspirations et les ont enrichies de leurs propres idées. Nous sommes tous des vétérans des revues de projets réalisées sans compter notre temps ce qui laisse le temps d’échanger sans risque d’offenser les égos.
C’est la première fois, en me lançant dans la conception par ordinateur, que la forme est passée avant la fonction. Après avoir défini la plus belle forme, la préoccupation a été ensuite de concevoir un produit de la meilleure qualité possible. Mais dans ma démarche, c’est toujours le style qui s’est imposé. Par exemple, je reprends le diamètre traditionnel des axes de 9 et 10 mm en acier ainsi que cela se fait depuis de nombreuses années avec pour conséquence de ne pas obtenir un moyeu plus léger ou plus résistant. Il serait difficile de comparer mes moyeux à ceux d’une conception moderne qui utilise un axe de 15 mm en aluminium. Mais avec un axe plus gros, je n’aurais pas obtenu le même “look”. J’ai actuellement plusieurs projets : un moyeu qui sera à mi-chemin entre le classique et le moderne, et également un moyeu riveté parfaitement classique.
Au delà des moyeux …
Pour mes autres créations, l’inspiration est venue de pièces de vélos. Le tasseur à café est un bon exemple. Cela a démarré avec quelques corps de vieux moyeux trouvés dans un coin de l’atelier. Ricky m’a demandé de les mettre à la ferraille. Ne pouvant pas me résoudre à le faire, j’ai cherché comment les recycler. Je savais que les idées viendraient et cela a abouti à la réalisation du plus beau tasseur à café qui plus est très ergonomique. Un autre exemple est le présentoir de moyeux qui est considéré comme une œuvre d’art tout comme la station de filtrage à café pour Barista directement inspirée du vélo.
Quelles ont été tes sources d’inspiration ?
Ma première et plus forte source d’inspiration pour les roues de piste provient d’un coureur du bon vieux temps, Bob Bergen. J’ai vu les vieux vélos que Bob avait apportés au vélodrome de San Diego. Ses roues étaient équipées de moyeux Airlite et Schwinn Paramount. Les moyeux Airlite m’ont inspiré ce premier projet “artistique” sur ordinateur.
Les moyeux New Departure moyeux à frein tambour, fabriqués aux USA, m’ont également inspiré. Ils n’étaient pas dans l’esprit course, mais réalisés avec un souci du détail et d’une qualité étonnante pour quelqu’un comme moi habitué à rouler sur des vélos de jeunes. J’ai découvert les remarquables moyeux français bien plus tard.
J’ai toujours été ce que les américains appellent un “mécano”, quelqu’un qui est à l’aise avec les choses mécaniques. C’est un univers que j’aime beaucoup et mon premier amour a été la bicyclette, mais je me suis intéressé également aux vieilles voitures comme les voitures de sport anglaises … Sans oublier aussi les Land Rover, Hot rods, les vieux avions, bateaux, trains, …
Cet intérêt pour la mécanique m’a conduit à bricoler des moyeux rivetés comme ceux de René Herse ou les moyeux Prior. Jusqu’ici, j’avais riveté des flasques de ma fabrication sur des moyeux frein tambour d’origine et j’aurais continué de le faire sur des moyeux multi-vitesses si je ne m’étais pas lancé alors dans la réalisation de mon propre modèle riveté de route et de piste.
Quel est la partie de ton travail dans le processus industriel ?
Mon travail est de conceptualiser les idées et les modéliser en 3 dimensions. L’étape fabrication est réalisée par l’un de mes plus vieux amis Ricky Cruz. J’ai rencontré Ricky pour la première fois dans le magasin de vélo où je travaillais. Ricky, son père et ses deux frères couraient en BMX et ils venaient du Mexique à San Diego pour acheter des pièces de vélo. Quelques temps après, nous nous sommes à nouveau rencontrés lors d’une course sur route en Baja California au Mexique. Ensuite, ils sont tous passés à la course sur route au point que nous formions ensemble comme une famille. Ils ont tous évolué dans ce domaine et cela continue maintenant avec leurs fils. C’est aussi à cette époque et dans ce contexte vélo que j’ai rencontré ma femme qui avait alors 25 ans lors d’une sortie d’entraînement.
Cet atelier réalise maintenant des pièces de vélos, principalement des moyeux pour plusieurs sociétés différentes. J’ai passé suffisamment de temps moi-même aux manettes de ces machines pour que la conception tienne compte de leur capacité de réalisation. La relation avec cet atelier est si proche que, s’il y a des problèmes, je ne cherche pas ailleurs et les laisse trouver la meilleure façon de faire.
Comment naissent tes nouvelles créations ?
Cela se produit généralement sous forme d’inspiration à la vue d’une pièce de vélo ou même d’une œuvre d’art ou d’un élément d’architecture. Mes créations ne se limitent pas au vélo. Lorsque l’inspiration survient, j’entre dans ce que je pourrais appeler un mode maniaque de création et je dois rapidement capturer l’image que j’ai dans la tête. Il m’arrive de me lever en pleine nuit pour travailler sans interruption jusqu’à l’aube. Beaucoup de mes meilleures idées viennent en faisant du vélo ou tôt le matin en faisant du surf. La solitude pourrait en être la clé de la création. Par exemple, lorsque j’ai eu à concevoir un moyeu avec sa roue, j’ai été complètement bloqué sans qu’aucune idée me vienne. Une fois, avec mon fils, nous étions à une épreuve de surf en Australie. Nous nous promenions comme de simples touristes dans le port de Sydney. Je regardais le pont de la baie de Sydney et j’ai été immédiatement inspiré par sa structure métallique victorienne. Mon idée a alors été de simplifier cette forme afin de pouvoir la réaliser en aluminium pour ensuite la couvrir de peinture poudre noire lui donnant l’aspect de l’acier. Cela a tellement bien marché que quelques réalisations ont ainsi été présentées dans des galeries d’art et des musées.
Qui sont tes clients ?
Ma clientèle est très large. Certains sont fortunés et d’autres travaillent dur pour épargner afin d’acheter quelque chose qui sort de l’ordinaire. Tous apprécient l’objet final. Bien sûr, la plupart roulent avec mes pièces, mais certains les apprécient d’abord comme des “œuvres d’art”. Mes moyeux ont été montés sur des vélos classiques allant des années 20 aux années 30 mais aussi sur des vélos plus modernes. Certaines personnes veulent du look vintage avec des produits qui brillent et qui se démarquent.
Souhaites-tu vendre au delà des USA ?
Vendre à l’export est difficile en raison des coûts de transport et des taxes douanières des différents pays. Si je veux conserver une marge, cette situation rend impossible la distribution dans d’autres pays. Sinon, je vends en direct à des particuliers et je propose un tarif grossiste pour les magasins de vélos et les fabricants de vélos et de roues. J’ai également un site de vente en ligne mais la meilleure façon est de me contacter directement car mon stock reste réduit. Au moins 50% de mes ventes se font en fonction du besoin des particuliers.
Merci Curtis d’avoir pris le temps de nous répondre et de nous avoir fourni ces magnifiques photos réalisées pour la plupart par ton complice Michael (Michael Graves Photopraphy)
Très bonne conaissance du sujet, merci