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Alexendera, une indienne sur le sentier du gravel

Texte rédigé par Fabian Tilquin pour le Comptoir du gravel et publié avec son accord sur Bike Café.

J’ai découvert Alexendera cette année sur la Dirty Kanza XL, bien que déjà en 2018, elle s’était distinguée en remportant le Tour Divide. Ce qui a attiré mon œil cette année, est le fait qu’elle ait décidé de rouler en singlespeed. À l’heure de la sophistication, de l’électronique et de l’avènement des vélos électriques, la simplicité d’un vélo à deux pignons (un devant, un derrière) m’émeut de plus en plus. D’autant plus lorsque ces vélos permettent des performances, qui sont très loin d’être à des années-lumière des vélos équipés avec les évolutions les plus à la pointe.

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Un personnage hors norme

Ce qui frappe en premier chez Alexendera est son physique ; bien loin des athlètes affutées au moindre gramme près, elle a des formes un peu partout. À 18 ans (elle en a aujourd’hui 29), elle pesait près de 140 kilos. Aujourd’hui encore, son docteur la trouve obèse, lui enjoignant de perdre une bonne dizaine de kilos (elle en déjà perdu près de 60). Elle refuse de se soumettre à ces chiffres ; elle ne se laissera pas réduire, même si avec ses 178cm et ses plus de 80 kilos, elle en impose.

Alexendera
Alexendera roule avec ses incroyables chaussures montantes

Ce ne sont ni ses mensurations, ni même le sang indien qui coule dans ces veines, qui vont la définir, la circonscrire. Alexendera est une punk, qui n’accepte pour seule limite la liberté que dame Nature met à sa disposition. Il faut voir ce qu’elle emmène dans ses bagages pour comprendre que ce ne sont pas que de jolis mots. Pas de tente, pas de bivy, pas de matelas, mais un simple sac de couchage d’été (18°). Elle ne s’inquiète pas trop des intempéries (pluie ou neige qu’importe) ; elle se fait confiance, se disant qu’elle trouvera toujours bien quelque chose (un pont, une cabane…) sur son chemin. Et puis, quand on a roulé 20 heures, on s’endort n’importe où, dit-elle avec son énorme sourire. Dame Nature est son amie ; il n’y a pas lieu de s’inquiéter.

Malgré des performances remarquables, elle peine à trouver des sponsors ; son physique ne l’aide pas ; certains ont peur des réactions du type « Si c’est pour faire autant de sport et toujours ressembler à ça, non merci ». Elle ne ressemble pas assez à un cycliste. Bienvenue dans le monde fabuleux du paraître et des apparences. Et puis Alexendera, elle n’est pas trop « Réseaux Sociaux ». Facebook, Instagram, Twitter, très peu pour elle. Son vieux téléphone à clapet lui convient à merveille. Elle tient malgré tout un petit blog, où elle couche ses réflexions et ses expériences ; c’est beau à en pleurer, et si vous maîtrisez suffisamment la langue de Shakespeare, je vous invite chaleureusement à vous y attarder.

Elle arrive à dégotter 2 sponsors : Chumba, une petite société qui fabrique artisanalement des cadres en acier et titane, et Broken Spoke Bike Studio, un vélociste très actif. Deux acteurs très modestes du monde du vélo donc, mais qui ont l’avantage de ne rien lui imposer. Avec Alexendera, la liberté ne se monnaye pas.

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Son histoire

Elle commence le vélo pour vélotafer ; un jour, son vieux Schwinn qu’elle a repeint en violet lui est volé. Alexendera est fauchée (la vie est rarement facile quand vous êtes issue d’un tribu d’indiens d’Amérique) ; elle achète le vélo le moins onéreux du premier magasin venu pour pouvoir rentrer. Il se fait que c’est un pignon fixe sans freins. Elle s’en aperçoit après coup ; le mal est fait ; elle devra se débrouiller avec pour effectuer les 2 fois 15 kilomètres de son trajet quotidien. Un ami cycliste est vite impressionné par ses prouesses ; elle quitte son job à l’hôpital universitaire pour un job de coursier à vélo, qui sied plus à son besoin de liberté. Elle enchaîne ensuite les petits boulots, le plus souvent en lien avec le vélo. Son premier amour de vélo s’appelle Kathleen, un Surly Krampus. Grâce à lui, elle renoue avec son corps, si longtemps objet de sa haine et du dégout des autres. Elle retrouve l’amour de soi.

Elle découvre naturellement les courses ultra. Et après quelques années de vélo, elle a une idée très précise de ce qu’elle veut ! Devenir une athlète, elle, la fille obèse, elle sera un jour une athlète. Elle le dit, le revendique. Cela prendra du temps mais elle y arrivera. Lorsqu’elle doute, lorsqu’elle a l’impression de stagner ou pire de reculer, elle se rappelle d’où elle vient, elle repense à sa tribu du « Fond Du Lac Band of Lake Superior Chippewa », qui a résisté à travers les siècles par sa faculté à ne jamais abandonner. Il reste très peu de tribus, mais celles qui ont survécu ont toutes un point commun : dans les pires adversités, elles ne se sont jamais permises de lâcher prise, d’abandonner. Après un premier échec sur le Tour Divide, elle en vient finalement à bout après 45 jours avec Kathleen, son Krampus.

Enfiler les « miles », seule avec elle-même, puisant toujours plus loin dans ses ressources, la réconcilie non seulement avec son corps, mais également avec sa tête. Elle avoue avoir rater un nombre incalculable d’examens lorsqu’elle était à l’école. Le raisonnement est simple ; si malgré avoir un jour pesé 140 kilos, elle peut maintenant enchaîner les kilomètres à vélo et même à pied (elle a terminé un marathon), il n’y a aucune raison pour qu’elle ne réussisse pas l’école.

Alexendera
Les cheveux sont également libres la plupart du temps ; le casque est souvent en option !

Aujourd’hui, Alexendera vient de gagner pour la deuxième année consécutive le Tour Divide dans sa catégorie, ce qui est une première.

Avant de parler des chiffres qui sont très impressionnants, il me faut d’abord vous parler de son vélo et de son équipement. Comme déjà évoqué, il s’agit d’un Chumba monté en Singlespeed ; plus précisément, c’est un cadre titane, fourche carbone avec un pédalier de 36 dents monté avec une cassette de 19 dents. Alexendera roule en pédales plates, chaussée de grosses « boots », qui ne sont absolument pas destinées au vélo, et encore moins à de l’ultra.

Alexendera
Le vélo d’Alexendera

La liberté est un leitmotiv ; hors de question pour elle d’être attachée, fut-ce par les pieds. Les cheveux sont également libres la plupart du temps ; le casque est souvent en option ! Alexendera ne veut pas être un exemple, un modèle. Alexendera n’est pas une icône, mais un personnage naturel, au sens premier du terme. Elle ne veut pas se « déguiser » pour monter sur un vélo. Pas de cuissard, pas de textile technique, pas de mérinos.

« Je ne veux pas me changer à chaque fois que je monte sur un vélo ; je préfère dépenser mon argent pour acheter de la nourriture. Je suis une étudiante fauchée … »

Les chiffres à présent : 4340 kilomètres pour plus de 45,000 m de D+ avec un passage à plus de 3,600m d’altitude (

Les chiffres à présent : 4340 kilomètres pour plus de 45,000 m de D+ avec un passage à plus de 3,600m d’altitude (bikepacking.com), le tout en moins de 19 jours (18 jours, 20 heures et 26 minutes pour être précis). Cette année, elle a établi le record de l’épreuve dans la catégorie « Woman Singlespeed », se classant 2ème dans la catégorie « Singlespeed » et 16ème au général.

 ), le tout en moins de 19 jours (18 jours, 20 heures et 26 minutes pour être précis). Cette année, elle a établi le record de l’épreuve dans la catégorie « Woman Singlespeed », se classant 2ème dans la catégorie « Singlespeed » et 16ème au général.

Alexendera a réussi, elle qui a passé la majeure partie de sa vie à échouer (école, boulot, amour), elle a réussi ; elle est enfin douée dans quelque chose.

Mais ce n’est qu’un début, et son prochain défi est plus beau encore ; aller à l’université pour devenir dentiste. Dans les réserves indiennes, les dentistes sont une denrée rare.

Bonne chance Alexendera !

Et merci pour l’inspiration ; je crois que je vais rebaptiser mon Dad et ses belles pédales plates rouges 😊

Quelques mots volés sur son blog pour terminer :

« Je ne garde rien pour plus tard. Quand plus tard arrive, j’ai toujours quelque chose à lui donner. Je ne planifie rien ! Je me dis que je trouverai bien quelque chose quand j’y serai. Où que ce soit ! »

Fabian Tilquin

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Rédaction Bike Café
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2 COMMENTAIRES

  1. Merci pour ce billet où on sent le vrai coup de cœur 🙂
    J’ai découvert cette jeune femme en suivant la Tour Divide de cette année. Comme beaucoup de cyclistes amateurs, j’ai été sidéré. Et au-delà de la performance physique, il y a la découverte d’une personnalité hors du commun, libre et rayonnante.
    Il y a aussi notre Zoé Chauderlot, arrivée trois jours je crois après Alexandera, qui peut aussi en remontrer à beaucoup en matière de force de caractère et de folie douce !

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