Il m’arrive de venir traîner parfois dans le garage atelier de mon ami Gabriel Refait, qui est devenu en quelques années un artiste de la restauration des vélos anciens. Son local, rempli de vieux vélos, possède une âme et j’y vois passer, au gré de ses acquisitions ou des commandes de ses clients, des vélos les plus divers. Attention, ce ne sont pas de banals vélos, ils ont tous un certain pédigrée. Pour qu’un vélo soit digne de franchir la porte de Dynamo Cycle Repairs, il faut qu’il ait un certain cachet, ou qu’il possède un truc qui va plaire à Gabriel.
Sous une épaisse couche de poussière et parfois une belle croute de rouille, se cachent des petits trésors. Ce jour là je découvre dans l’atelier de Gabriel, un vrai tas de rouille. Je n’avais jamais vu ça chez lui : aucune pièce me semblait avoir échappé à cette gangrène d’oxyde.
Mesurant l’énormité du chantier, je m’en étonne : « Dis Gab, tu crois que ça vaut le coup ? » Il me répond : « C’est une commande faite par les petits enfants d’un homme qui va avoir 100 ans. Il roulait avec dans les années 30 et ils veulent lui faire la surprise pour son anniversaire … »
J’ai trouvé l’idée très belle, même si ce vélo me semblait alors bien ordinaire et je dois dire que j’étais un peu septique du résultat, vu l’état du biclou. Devant un tel chantier on ne doit pas s’arrêter à la valeur réelle de l’objet, mais plutôt mesurer la dimension sentimentale et émotionnelle qu’il représente.
Les jours ont passé et parfois je demandais des nouvelles à Gabriel … « Alors ton tas de rouille ça avance ? » … « J’ai réussi à tout démonter ! » , me dit-il un jour … « Un seul boulon m’a résisté et j’ai dû le couper ». Très récemment, lors d’une de mes visites j’ai vu le vélo installé sur le pied d’atelier, il était presque fini.
Le cadre avait été briqué et la rouille avait été figée par un traitement de la surface, la selle en cuir posée sur son rail en alu avait retrouvé une certaine patine, l’acier du pédalier avait retrouvé la couleur du métal, les roues étaient équipées de pneus neufs, … La plaque de cadre sublime de cette marque complètement oubliée : Roselys avait retrouvé ses couleurs. Le vélo était dans un état total “patina look”, sans faute de goût.
Gabriel était en train de dévoiler les roues avec des gestes d’horloger, manoeuvrant délicatement sa clé pour ne pas briser net un rayon de ces roues bien abîmées par l’ostéoporose du métal.
Une belle histoire
Gabriel, qui vient de livrer aux petits enfants d’André Chandernagor le vélo qu’ils lui avaient demandé de restaurer, a raconté l’histoire de cette bicyclette sur son blog. Elle nous ramène à l’époque du certificat d’études du jeune André, qui avait reçu en cadeau pour sa réussite à l’examen ce vélo. On était en 1933, il avait 12 ans et il était loin d’imaginer la brillante carrière politique qui serait la sienne. Il était loin aussi de prédire la destinée du vélo que ses parents, venaient de lui offrir.
Ce vélo, qu’il utilisait pour aller pêcher dans la Charente à Civray (dans la Vienne) ou pour se déplacer entre son domicile et l’atelier de son père qui était coutelier, allait être l’instrument de sa liberté. C’est avec ce vélo qu’au début des années 40 il peut aller retrouver Eliane qui sera sa femme. Entre le Cher et la Creuse il faisait alors 100km pour la retrouver. Ils se sont mariés en 1944 et le vélo a été mis dans un grenier depuis cette époque. C’est là que les petits enfants l’ont retrouvé et qu’ils ont eu l’idée de le faire restaurer pour faire cette surprise à leur aïeul.
Cette bicyclette est donc le début d’une longue histoire familiale. Enfants, petits-enfants et arrières petits-enfants, aujourd’hui encore regroupés autour du patriarche de 99 ans.
André Chandernagor témoigne dans son livre La Liberté en Héritage (Editions Pygmalion, paru en mai 2004), de l’importance de cette bicyclette pendant son adolescence et sa vie de jeune adulte.
« En récompense de mon succès scolaire, mes parents m’ont offert une bicyclette. Le « vélo » était, pour notre génération, le cadeau de circonstance du certificat d’études, comme la montre pour la communion solennelle. Cet instrument de mes loisirs et de mes jeux devait m’être d’une grande utilité quelques années plus tard, pendant la guerre. Pour l’heure, il allait me permettre d’agrémenter mes vacances … » (chapitre 2)
« À la fin de l’année 1943, on avait consenti à nos fiançailles. C’est donc en qualité de fiancé qu’enfourchant ma bicyclette, je couvris la centaine de kilomètres qui, par la Châtre, joignent Mareuil-sur-Arnon à Mortroux dans la Creuse. Un sérieux réconfort m’attendait à l’arrivée. L’isolement paraissait nous faire vivre hors du temps ». (chapitre 5)
On a tous des souvenirs avec le vélo
Gabriel qui récupère souvent des vélos dont les anciens propriétaires n’ont plus l’usage, ramène dans son atelier bien plus qu’un morceau de métal. Les rencontres qu’il fait alors parfois se prolongent « Ça m’arrive souvent qu’un Papy, qui me vend son vélo, me raconte son histoire : j’ai monté le Tourmalet avec et j’ai fait aussi la Lombarde. Il me montre des photos et la transaction se transforme en moment d’échanges à propos de ce bout de métal bien plus important qu’une simple marchandise », explique Gabriel qui est conscient qu’on lui confie avec un pincement au cœur, ces anciennes machines porteuses de tant de souvenirs.
Espérons que l’anniversaire des 100 ans d’André Chandernagor sera heureux, entouré de sa famille avec devant ses yeux ce vélo, qui lui fera remonter en mémoire de beaux moments de sa longue vie.
Belle histoire 🙂
Ce serait bien de connaitre sa réaction à la vue de son vélo “retrouvé” 🙂
Idem, j’aimerais avoir la suite …
beau vélo, belle histoire, très très bel âge