Aujourd’hui, j’ai entendu chanter ma première cigale de l’année. Non pas que la saison soit en avance, bien au contraire, ce mois de mai est encore plus pourri que celui de l’année dernière. Mais aujourd’hui, une fois n’est pas coutume, il fait très beau, le soleil brille et la température invite au farniente sur la terrasse.
Ça tombe bien, j’ai eu la bonne surprise de découvrir tout à l’heure dans ma boîte aux lettres le “Hors-Série Gravel Number One” que Cyclist vient de publier. La voilà, ma cigale : 130 pages sur un sujet qui me passionne. Le soleil est au zénith… Affublé de mon chapeau de paille et de mes lunettes de soleil, je m’installe à l’ombre pour parcourir avidement les fraîches pages du magazine.
Martiane de Tholozany, la rédactrice en chef de Cyclist France, prend toutes ses précautions dans l’éditorial qui lance la session. “Bien sûr, on aimera toujours l’asphalte”. Il faut dire que Cyclist est un bimestriel clairement orienté route, et s’il est quelque peu atypique, parfois même iconoclaste par rapport à d’autres journaux de cyclisme souvent trop conventionnels, vous aurez du mal à y trouver une photo de VTT. Chacun son pré-carré, les titres se partagent les disciplines, il en va de la survie des périodiques papier qui subissent ces dernières années une nette décroissance de leur lectorat.
Mais le gravel, malicieux et hybride, vient foutre la pagaille. Ces vélos de tous-les-terrains aux guidons recourbés ne sont-ils pas, finalement, des sortes de vélos de route ? Et si on cause voirie : une route doit-elle forcément être goudronnée ?
Vous savez ce qu’on en pense, à Bike Café ; il y a longtemps qu’on affirme que ces querelles n’ont pas lieu d’être, et qu’il faut de toute façon que la presse “classique” s’empare du sujet, tant il est d’importance aujourd’hui. Le gravel n’est plus un phénomène de niche comme l’affirmaient certains il y a encore quelques années, mais bien un courant majeur du cyclisme d’aujourd’hui, et le fait qu’un magazine de référence comme Cyclist y consacre un hors-série, n’est qu’un témoignage de plus de l’engouement que le gravel suscite.
Comme d’habitude, Cyclist fait la part belle aux images, et les quatre grands reportages qui charpentent cette édition proposent des photos pittoresques et des paysages grandioses, dignes d’un magazine de voyage. On peut lire un sujet sur la “Dirty Kanza”, la course de gravel américaine la plus emblématique, désormais baptisée “Garmin Unbound Gravel”, sponsoring oblige ; deux reportages résolument alpins, l’un sur le Cervin, l’autre sur la “Via Del Sale” (deux traces caillouteuses et fort haut perchées), et enfin un récit de voyage sur la Route de la Soie, une destination vraiment très… exotique.
J’avoue que l’agacement dispute quelque peu à mon plaisir de lecture. Et quoi ? La pratique du gravel serait-elle réservée à quelques anglo-saxons dont la connaissance de la géographie se limite à une zone située entre Nice et Turin ? L’évasion est-elle l’apanage de cyclistes fortunés qui peuvent se payer des vols vers l’Asie ? Le gravel que je revendique et que j’encourage est bien plus prosaïque, sans pour autant manquer de poésie et d’originalité ; il y a fort à parier que bon nombre de pistes Camarguaises ou Gardoises n’ont rien à envier à celles du Kansas. En tant que traceur expérimenté, je sais aussi à quel point le gravel se complaît dans les territoires intermédiaires, zones vallonnées et de moyenne altitude, au contraire de la haute montagne, de sa géologie très instable et de ses forts pourcentages. Quant aux paysages du Kirghizistan, pour des raisons nécessairement éthiques et écologiques, je leur préfère la beauté inégalée et les reflets bleus et verts des montagnes cévenoles.
Non, décidément, ces reportages, aussi intéressants et bien ficelés soient-ils, me conduisent trop loin du gravel que j’affectionne et que surtout je défends : un gravel de proximité, respectueux de l’environnement, qui permet de s’évader dès le coin de la rue et d’explorer le territoire différemment, d’expérimenter le paysage sous un angle nouveau.
Je laisse bien volontiers à l’équipe éditoriale de Cyclist le bénéfice de la nouveauté, en me disant que, pour un premier numéro, il s’agissait d’offrir au lecteur de quoi rêver et s’évader, mais j’espère que les prochaines éditions donneront la parole aux forces vives qui “font” le gravel au quotidien dans nos riches et variés territoires : organisateurs d’événements en France et en Europe, traceurs et pilotes chevronnés, aventuriers, compétiteurs et voyageurs de tout poil, techniciens hors pairs spécialistes de mécanique vélo, de bikepacking, de nutrition, de navigation… le “petit peuple” du gravel français et européen, qui peut témoigner de son originalité, de sa créativité et de son dynamisme. Sans dénigrer les américains et leurs paysages des plus cinématographiques, nous avons chez nous, sur place, de quoi rêver, créer, s’évader… et façonner de A à Z, s’il le fallait, un magazine consacré au gravel.
Surtout qu’entre les grands reportages de ce hors-série gravel #01, Cyclist a su glisser de petits sujets dignes du plus grand intérêt : des tests de vélo par exemple, d’autant plus indispensables que l’offre devient pléthorique et qu’il est bien difficile, pour les potentiels acheteurs et les néophytes, de choisir un monture en connaissance de cause. Une très complète fiche thématique “savoir-faire” sur les pneumatiques aborde avec justesse la problématique de la pression, les réparations tubeless et les types de profils, rappelant que, sur chemin ou sur route, le cyclisme est avant tout un sport mécanique dans lequel on ne peut pas négliger la technique.
On retrouve aussi avec grand plaisir le portrait de la très charismatique Fiona Kolbinger qui a remporté la dernière édition de la Transcontinental Race au nez et à la barbe des favoris masculins, et les conseils avisés de Lachlan Morton qui nous explique comment mieux piloter dans la boue. On notera également une info très instructive sur les cyclistes pro qui se mettent au gravel, comme quoi il n’y a vraiment plus personne qui ne s’y intéresse pas…
Tous ces sujets courts montrent en tout cas le potentiel que “notre” gravel porte en lui intrinsèquement, ce qui pourrait, je l’espère, donner à la rédaction de Cyclist France l’idée d’explorer plus avant ces pistes prometteuses dans leurs prochains hors-séries consacrés au gravel.
Je dirais que cette première édition, faute d’être un coup de maître, est un coup d’essai prometteur, frais et volontaire, un signe fort en direction d’un lectorat de “routiers” en passe d’être définitivement conquis, une belle promotion pour le gravel, une ouverture sur ses pratiquants, leurs préoccupations, leurs questionnements, leurs désirs. Le “#01” imprimé en rouge en bas à gauche de la première de couverture laisse présager d’une suite, dont je me délecte d’avance.
Portraits de gravelistes français et Européens, destinations locales, conseils de pros… notre environnement proche fourmille de matière, dont les rédacteurs de Cyclist n’ont plus qu’à s’emparer, pour notre plus grand plaisir et pour, dans l’avenir, construire avec leurs lecteurs une relation directe et passionnée. Comme l’annonce de façon prémonitoire Martiane de Tholozany à la fin de son édito : “C’est certain, pas loin de chez vous, le rêve est aussi à portée de gravel”…
Ce magazine est disponible en kiosques et sur turbulencespresse.fr
Bonjour ! Je l’ai acheté (et lu sous le tarp). J’adhère pleinement à tout le commentaire. J’en rajoute juste un peu pour souligner l’excellence de la photographie dans ce magazine. 😉
Salut ! Plutôt déçu : contenu pas vraiment original et différent de Cyclist au final. Et qualité d’impression médiocre ! Dommage.
Après le HS de vélo vert sur le Gravel excellent, celui-ci a le mérite de nous faire voyager, même si je suis d’accord que l’on s’identifie moins et qu’il manque un peu nos riches paysages et chemins français. Mais c’est parfait pour le dépaysement durant les vacances d’été. Du tout bon, et bien traduit
Merci Jérémie … Effectivement cela rend les 2 publications complémentaires. Nous travaillons actuellement avec Matthieu sur le #2 du HS de Cyclist espérant l’enrichir d’un peu plus de sujets “français” … Bonne lecture d’été.
Je viens d’acheter le #2 (sans avoir lu le #1) et … la rédaction semble avoir entendu et pris en compte vos critiques.
Peut-être le fait que plusieurs auteurs de votre site aient contribué à ce second opus !
Des reportages dans de magnifiques endroits en France (Aveyron, Pays Basque, Auvergne,…), agrémentés de superbes photos. Également des rencontres avec des boîtes (WishOne et autres) et des acteurs français du gravel.
En tous cas, je me suis régalé à le lire. Et à noter, très peu de pub à l’intérieur. C’est toujours hyper agréable (quand les éditeurs peuvent se le permettre évidemment).
J’attends le #3 avec impatience !