Par le plus grand des hasard, je me suis mis à rouler avec des manivelles courtes (165mm), d’où cette formule “rouler petits bras” qui m’amène à partager avec vous quelques réflexions sur l’importance de leur longueur.
Concernant les manivelles de vélo on pourrait, et ça semble logique, appliquer à la lettre le principe du levier. Ce fameux levier rendu célèbre par Archimède en personne, est une barre rigide qui se déplace autour d’un point d’appui (pivot). L’objet à soulever est placé sur la barre. La force judicieusement appliquée sur la barre, fait pivoter l’ensemble autour de son point d’appui. Ce grand mathématicien grec a été le premier à faire cette découverte au IIIe siècle avant JC. Il l’illustre avec une phrase devenue célèbre : “Donnez moi un point d’appui et je soulèverai le monde“. Si on applique la chose au vélo, il suffirait donc d’allonger nos manivelles pour déployer une force plus importante au moment de l’appui. Mais voilà, ce n’est pas si simple et nous voyons aujourd’hui les cyclistes, même professionnels, raccourcir ces fameuses manivelles.
Un peu d’histoire du vélo
Pour les plus anciens qui étaient lecteurs comme moi des écrits de Claude Genzling dans le magazine Le Cycle, l’allongement des manivelles étaient, dans les années 80, la solution ultime au gain de puissance. On ne parlait pas de dopage mécanique, mais c’était pas loin. Chez les coureurs professionnels de l’époque, il y a eu des champions qui ont utilisé des manivelles beaucoup plus longues que « la norme ». Merckx roulait habituellement en 175 mais allongeait ses manivelles pour les étapes de montagne. Marc Madiot a roulé durant toute sa carrière avec des manivelles de 180mm, malgré une mesure d’entrejambe de 86cm qui le destinait plutôt à du 172,5. Pour Laurent Fignon, c’est Guy Leconte, son mécano et ami, qui m’en parle “Il était intransigeant sur le matériel. Il a voulu par exemple utiliser, contre l’avis de Cyril Guimard, des manivelles de 180. Elles l’ont sans doute aidé à gagner deux étapes du Tour notamment à Cran-Montana, mais par la suite cela lui a provoqué un problème au tendon d’Achille qu’il a fallu opérer“, m’a t’il confié lors de cette interview.
Aujourd’hui les pros raccourcissent, certains sont passés de 172,5 ou à 170mm et d’autres de 175mm à 170mm. Tiens, tiens, …
En vélo il faut savoir se débarrasser des vieux principes, qui nous collent aux doigts comme le sparadrap du capitaine Haddock. Pour cela je connais un spécialiste qui vous démontera la chose, bien plus vite qu’un pneu sur le bord de la route : Jean-Yves Couput. Il est revenu récemment, dans un de ses posts parfois “subversifs” sur facebook, sur son passé cycliste, pas si lointain que ça pour établir un constat.
Dans ce post Jean-Yves analyse l’évolution du vélo entre 2012 et maintenant, en même pas 10 ans.
Pas si lointain, mais que d’évolutions :
– Le vélo en acier est désormais en carbone
– Les freins sont aujourd’hui à disques
– La transmission s’est électrifiée
– Mon dernier groupe de route Campa (sur la photo ci-dessus)
– Les manivelles de 172.5 ont rétréci. Elles mesurent maintenant 165mm … Tiens, tiens, …
– Les boyaux, de 21mm de large sont devenus pneus de 32mm
– La montre multifonctions Suunto, s’est transformée en compteur Garmin
– Le maillot en taille M américaine est maintenant un S Italien
– Les lunettes « œil d’insecte » ont muté en écran de jet pilot
– Le sprinter est un lointain souvenir qui a laissé place à une tortue …
C’est sa remarque sur les manivelles qui m’a fait réagir : mais moi aussi je roule avec des 165, et je trouve ça plutôt bien. Mais pourquoi donc ?
Il y aurait de quoi se perdre en conjonctures
Si on consulte les études disponibles sur le sujet (pas toujours récentes) il y de quoi s’y perdre. Archimède s’arracherait les cheveux aujourd’hui car finalement ce problème de levier est complexe.
Le Dr Haushalter conseille lui de prendre en compte la longueur du fémur plus que celle de l’entre-jambe pour choisir des manivelles idéales. Le professeur italien Dal Monte (institut des sports de Rome) pense lui que la longueur des manivelles doit s’adapter aux caractéristiques des fibres musculaires. Si le muscle possède une capacité de contraction et de relâchement rapide, avec perte minimum par frottements internes, il est possible d’adopter une manivelle plus longue. En revanche, un sujet de plus grande taille mais disposant de muscles plus durs, plus endurants à la distance, mais travaillant plus difficilement avec rapidité, aura intérêt à recourir à une longueur de manivelle plus courte (et ce même si la longueur de ses membres inférieurs laisse à penser le contraire).
Le vélo c’est une machine simple et très complexe. À mon époque (années 80) on m’avait conseillé, à l’instar de ce que faisait Fignon, d’allonger mes manivelles … J’étais passé de 170 à 175, sans constater de véritable changement, mais les champions le faisaient : donc ça devait être bien ! Les vieux poncifs ont la peau dure dans le vélo il y a les pneus, les braquets, … et le manivelles. Aujourd’hui, rouler en 28 à 5 bars n’est plus hérétique … je roulais sur des boyaux de 18 gonflés à 8bars. Essayons de comprendre ce que les nouveaux matériaux apportent au vélo.
Les études réalisées sur la longueur des manivelles n’ont pas vraiment démontré que la puissance variait significativement. Je vous invite à consulter cette très bonne vidéo qui fait un synthèse très intéressante du sujet … J’y ai trouvé de nombreuse réponses, notament en ce qui concerne l’évolution de ma position sur le vélo.
Calcul théorique …
Me concernant si j’applique la règle 41% sur ma longueur de tibia de 408 : ça fait 167 mm … Finalement je ne serais pas loin de la vérité théorique.
Maintenant que je sais tout ça je comprends pourquoi j’enroule plus facilement mon braquet unique de 46×19. Que ma vitesse de rotation (non mesurée) me permet de friser le 40km/h sur le plat (pas longtemps : ma moyenne étant plutôt à 30/32 km/h). Que je grimpe des pentes jusqu’à 12% (si ça ne dure pas longtemps) et que des sorties autour de 100 km avec jusqu’à 1000 m de D+ ne me posent aucun problème. Le point mort haut a partiellement disparu de mon pédalage.
Ma position sur le vélo est devenue plus aéro, mes mains sont plus facilement en bas dans le fond des drops. Aurais-je gagné en souplesse : à mon âge ce serait étonnant. Mes genoux montent moins haut et j’attaque plus tôt la descente du mouvement de rotation. Un peu comme les triathlètes, je m’avance sur l’avant de la selle pour appuyer sur le levier, sans avoir l’impression de marquer à chaque tour de manivelle un temps d’arrêt. Ça me fait penser à une autre sujet que je vous proposerais concernant la longueur des selles.
J’avais un peu intuité tous ces éléments pendant le confinement en roulant sur mon home trainer en 42 x 17, avec ces manivelles du pédalier Gipemme Pista, dont j’ignorais totalement la longueur de 165.
Du coup, et pour conclure cette réflexion sur les petits bras (comme disent les québécois ), je vais adopter sur mon prochaine single des manivelles de 165, car je suis désormais convaincu de l’efficacité de la formule.
Attention pour l’instant cela est sans conclusion hâtive concernant d’autres pratiques, je restreins ce choix à un usage en single speed ou fixie. Pour ma randonneuse 70’s équipée d’un ancien plateau TA d’époque, je reste en 170. Pour mon gravel WishOne et son pédalier Praxis je reste en 172,5 …
J’attends et j’espère vos réactions à cet article … Est-ce une question que vous vous êtes posée ? … Dans ce contexte visant à raccourcir, quelles seront les options des marques de vélos qui pré-équipent leurs vélos catalogue de manivelles en fonction des tailles de cadre ? …
Article très intéressant Pat. Un témoignage venant appuyer un des aspects santé évoqué : problème à un genou réglé en grande partie je pense avec un changement de manivelles pour des plus courtes. Je pense qu’il vaut mieux des manivelles plus ou trop courtes que trop longues effectivement.
Intéressant comme réflexion. 1m75, des jambes plus grandes que la moyenne, obligé de prendre mon nouvel Addict RC en taille 52, ce qui fait que je me retrouve avec un pédalier en 170 au lieu de l’habituel 172.5.
Je n’ai pas constaté de différence au niveau de la puissance, rien de significatif. Par contre, après des milliers de km en 172.5, le passage sur des manivelles plus courtes c’est fait avec la sensation d’être bridée dans le pédalage. La sensation de tourner trop court. (Je n’ai remarqué que par la suite la longueur de 170).
Après 5000 km, effectivement une position avec drop plus important n’est pas difficile à tenir. Impossible de chiffrer un impact sur la performance, mais cela ne va pas dans le mauvais sens.
Lumineux article ! J’observais depuis longtemps une nette différence de ressenti au pédalage entre mes deux vélos route ! La position de danseuse me paraissait notamment beaucoup plus efficace sur mon vieux décathlon, et j’y recourais fréquemment dès que la route s’élevait . Je suis allé de ce pas mesurer mes longueurs de manivelles, et bingo ! 170mm pour l’un, 180mm pour le décathlon!! N’étant ni très grand ni très puissant, le bras de levier m’imposait quasiment la danseuse sur les gros pourcentages ! Même si d’autres paramètres interviennent, cet aspect technique devrait être pris en compte par le cycliste, selon qu’il pédale plus en puissance ou plus en fréquence.
Sujet très intéressant et bien traité.
Il ne faut jamais omettre les raisons psychologiques ou effet placebo dans le vélo (et dans d’autres sports, dans une moindre mesure). Les passionnés de vélo sont aussi très souvent des passionnés de technique. Ils parlent entre eux, l’émulation est permanente et les marques jouent à fond là-dessus. On a envie d’être en avance d’un coup sur les autres donc on recherche la nouveauté en se justifiant par la recherche de l’amélioration de la performance mais en fait, même si elle est sincère, elle est aussi mélangée à d’autres motivations tournant autour de la satisfaction d’être différent, d’être l’innovateur.
Comme la plupart des idées sur l’optimisation d’un vélo ont déjà été sorties (ça dure depuis 150 ans ; au début du 20 ème siècle, plus de la moitié des brevets déposés aux E-U concernaient le vélo), il est normal que des sujets vont et viennent. Ils sont revisités, quelques fois grâce à des nouvelles connaissances, quelques fois des nouveaux matériaux mais souvent rien de tout cela. Juste de nouvelles argumentations, très souvent mises au point par des gens du marketing qui maîtrisent parfaitement l’exercice. En fait, il y a une constante : on confond “percevoir une différence” et “prouver un gain”. Les tests de vélo regorgent de cela. Tel vélo avec telle géométrie est plus “nerveux”, plus “ludique”. On est dans le registre du perçu et le mental, conditionné par les lectures, les avis des autres, fait le pont entre “oui, je perçois un changement” et “je gagne en performance” (ou en confort).
En vrai, pour les cyclistes que nous sommes (je mets les pros à part pour qui un centième de seconde compte : la différence entre être champion du monde ou second) les changements qui apportent un avantage mesurable, répétable, universel (à tous) et significatif sont très rares de nos jours.
Il est étonnant qu’on continue de négliger l’essentiel : chaque cycliste est différent. Et aussi : chaque cycliste est adaptable (il suffit de se donner un peu de temps). Donc pour en revenir à la longueur des manivelles, je pense que ce qu’on peut retenir est que des différences significatives de longueur peuvent se ressentir et donc qu’on peut préférer, en fonction de plein de paramètres, raccourcir ou rallonger ses manivelles. Pas la peine de chercher à le justifier scientifiquement, de quantifier l’avantage. Si on aime mieux, c’est mieux. Autre cas de figure, qui ressort des commentaires : en cas de problème, notamment au genoux, c’est une très bonne idée de rechercher si un changement de longueur améliore les choses car ce qui est certain, c’est que dans les articulations, des différences qui apparaissent minimes peuvent avoir de réelles conséquences, en bien comme en mal. Et ceci d’autant plus qu’on utilise des pédales automatiques qui bloquent le pied dan une position fixe.
Donc ce que j’en pense : laissez les théoriciens théoriser et fiez-vous à votre bon sens. En matière de position, de mesures des cadres en vélo, les “théories” et autres formules sont selon moi uniquement valables pour donner un point de départ. Le point d’arrivée est à déterminer par chacun en se mettant en mode “écoute de son corps” et en procédant par petites touches. Je sais que je vais à l’encontre d’une tendance lourde, la scientisation de la société qui vise à faire croire que seulement ce qui est mesuré, quantifiable et théorisé scientifiquement vaut. Je pense que c’est la cause de nombre de dérives et générateur de beaucoup de dépenses inutiles dans le monde du cyclisme.
Mais ça donne du boulot à pas mal de gens et les victimes sont la plupart du temps largement consentantes…
Merci pour ces belles analyses ; Perso je teste le 165 (venant de 172.5 depuis 30 ans, 1.72m entre-jambe 81) depuis 3 semaines avec des courses, car je ne suis pas souple et n ‘ai jamais pu me plier “le nez sur la potence” sans me couper la jambe sur le point haut !
Résultat radical : j’ai pu baisser le cintre de 3cm et rallonger de 2cm (sans gène sur le point haut), je mange moins le vent frontalement, et pédalage plus rond. Par contre moins de “patate” sur les accélérations, relances. Et je ne mouline pas plus, même cadence qu’en 172.5 (pour l’instant, à voir si ça vient).
Je vais finir la saison avec et voir s’il y a progression avec l’habitude, par contre je coure aussi en VTT je garde les 175 pour éviter des achats (je n’ai jamais été gêné sur le pédalage VTT), et en cyclo-cross (ma discipline favorite) je vais tester le 165 cet été pour “pas mourir idiot” mais avec les relances sèches et butes raides je pense que ça me plaira moins.
Oui c’est intéressant, pour moi en single c’est presque évident maintenant. En gravel je suis encore en 172.5, c’est un peu la même logique qu’en VTT sur les pentes raides au sol instable.
Merci Patrick pour cet article interressant, étant en quete d’un nouveau pédalier, j’ai pris mes mesures pour vérifier et le tibia m’indique 164 mm et la jambe 176 mm !!!! que faire ? 😀
Salut Patrick … Te connaissant je pense que c’est pour faire du gravel ? … Je dirais 170 … Sur un fixie ou en mono speed je reste convaincu que 165 est le bon choix pour faciliter la vélocité. Après c’est plutôt la longueur du fémur (l’os le plus long du corps humain) qui va influencer le choix. Perso mes chois ont été : 165 sur mes 2 single – 170 sur ma randonneuse vintage – 172,5 sur mon gravel que j’aimerais bien passer en 170 si ça ne coutait pas si cher pour une si petite différence 😉
Témoignages intéressants. Je pourrais en apporter un de plus : très longtemps une connaissance a roulé avec des manivelles de longueurs différentes, une erreur de montage à son insu, il s’en est aperçu sur le tard en démontant ou nettoyant le matériel. Le fait est que la différence de longueur jamais perçue ne l’a non plus jamais gêné.
Point important : le réglage des cales permet de jouer artificiellement sur la longueur des manivelles. Plus on règle la cale vers le talon, plus le diamètre du cercle décrit lors du pédalage diminue. A tester également, permet de gagner sur la fatigue et le rendement (faire une recherche sur “mid-foot cleat”).
Bonjour,
les manivelles en 165mm ça me rappelle les plateaux ovoides utilisés par froome…..et l’emballement qui suivi pendant plusieurs années,malgré toutes les etudes qui n’ont jamais rien demontré ,finalement tout le monde est revenu aux plateaux ronds….Pour les anciens dont je fais parti,ce genre de phenomene a toujours existé,il suffit qu’un champion gagne avec telle ou telle particularité et hop tout le monde veut faire pareil.
La largeur des guidons retrecie soit disant pour des raisons aerodynamiques …..Tout çà doit amuser les ergotherapeutes et specialistes de biomecanique!!!!!!!!
En tout cas je vais rester à mes manivelles de 170mm et guidon de 400mm qui correspondent à ma morphologie et diverses etudes posturales realisés par les meilleurs specialistes !
Bonjour,
Pour avoir étudié un peu le sujet aussi, il y a 2 grandes raisons d’utiliser des manivelles plus courtes :
– Ça permet une position plus aéro, avec une selle plus haute par rapport au guidon (en gardant la distance selle – pédale au point bas). C’est la raison principale pour les pros ou les triathlétes.
– Flexion moins importante au genou et à la hanche au point haut, qui évite douleurs chroniques et problèmes de pédalage (déhanchement, genou écarté…) en particulier pour les vieux plus très flexibles comme moi… Dans ce cas de figure, une bonne règle semble être “le plus long qui permet un pédalage fluide et sans douleurs”. Plus long parce que restreindre l’amplitude du mouvement inutilement n’est pas idéal d’un point de vue santé…
– Au rang des inconvénients : une stabilité plus faible notamment en danseuse ou pour des manoeuvres à basse vitesse comme en VTT.
Toute les études ont montré que la puissance développée est la même pour une gamme de longueur très grande, il y a juste un peu plus de fréquence avec des manivelles courtes pour compenser le bras de levier plus court. Donc on met la même force, mais un peu moins longtemps et un peu plus souvent.