Histoire de vélo… Voici une nouvelle série d’articles – que nous voulons vous proposer mensuellement – pour vous présenter un vélo charismatique de la grande période : 1950 à 1980. Nous évoquerons son constructeur et surtout la destinée particulière de ce vélo, qui a suivi un chemin et créé une histoire, qui lui a permis d’aboutir chez son propriétaire actuel. Les vélos dont nous parlerons ne seront pas des vélos de décoration mais des vélos qui roulent : “not a wall hanger” comme disent les anglo-saxons. Comment la rencontre s’est faite ? Quel lien les a réuni ? (photo de couve Roland Cogotti avec l’accord de Cyclist France)
Dans les oubliettes de l’histoire
Le monde du “Tout voiture” des années 80-90 a fortement détruit l’industrie du cycle, mais il ce bouleversement n’a pas fait disparaitre totalement les marques qui existaient à l’époque. Certaines ont survécu et beaucoup sont italiennes : Colnago, Pinarello, Cinelli, Gios, De Rosa… En France, il existe aussi quelques rares rescapées : Bertin, Peugeot, Gitane… même si certaines, ont perdu l’ADN sportive qui les caractérisait. D’autres, qui étaient “mortes”, comme Méral et Dilecta, renaissent faisant remonter, sous une forme moderne, l’histoire d’un patrimoine oublié. Des ateliers artisanaux renaissent et s’organisent en association, pour présenter chaque année, dans le cadre d’un concours de machines, une vitrine de leur savoir-faire.
Dans cette tourmente industrielle, l’artisanat du cycle a été particulièrement malmené. Des petites structures ou de simples ateliers, reposant sur le travail d’un seul artisan sont tombés dans les oubliettes de l’histoire. Seuls quelques passionnés connaissent encore leurs noms et la réputation de leurs ouvrages. Essayons modestement sur Bike Café de faire revivre ces artistes, qui ont créé dans leurs ateliers de magnifiques vélos, que quelques collectionneurs passionnés possèdent encore.
Un petit tour en Suisse avec Mercet
Pour ce premier volet, concernant ces constructeurs de talent, je vous propose d’évoquer le suisse Jacques Mercet (1920- 2001) et d’illustrer son travail, par un vélo que possède un ami collectionneur. Mercet a été un coureur amateur en Suisse, dans les années 60. Ses résultats sportifs ont été très modestes car il y a eu la seconde guerre mondiale. Il a néanmoins remporté quelques victoires locales en vétéran. On retiendra surtout de lui, la passion qu’il a exprimée comme cadreur de vélos de course, dès le début des années 60. Il a été un pionnier de la recherche aérodynamique sur le vélo, en étant par exemple le premier à faire passer les câbles à l’intérieur des tubes de ses vélos. Il utilisait, en plus du Columbus, des tubes Ishiwata 017 ce qui n’était pas courant. C’est dans le sous-sol de son immeuble qu’il avait installé son atelier, réunissant plusieurs caves pour disposer d’une surface suffisante à la construction de ses cadres, et au montage de ses créations.
Sa trajectoire professionnelle est singulière, car il était employé auprès de la Direction d’arrondissement des télécommunications de la région de Lausanne. C’est sur son temps libre qu’il fabriquait des cadres de vélos de course dans l’atelier installé dans son immeuble. Sa production était forcément modeste, mais néanmoins significative dans ces conditions. Le nombre de cadres construits par an était variable, de 10 à 30 dans les années 60 et 70. La dernière de ses créations date du début des années 1990.
Sur le Forum Tonton Vélo, un passionné de l’histoire de Mercet s’exprime ainsi concernant ce cadreur atypique : “ Le temps passant, et au vu de la remarquable qualité de sa production (on parle de moins de 350 cadres uniquement sur mesure durant sa vie), la renommée arrive sans faire aucune publicité. Les amateurs et connaisseurs éclairés sachant reconnaitre et apprécier les mains de l’artisan, ou plutôt de l’artiste, faisaient la cour pour avoir un cadre sur mesure, mais cela ne suffisait pas, car Monsieur Mercet avait un caractère bien trempé pour ne pas dire autre chose et peu arrivaient à passer le seuil de son atelier.
Mercet était un artiste qui fabriquait des œuvres d’art, les vendant presque à regret et son atelier abritait même des cadres dont il ne voulait pas se séparer… Chez lui, quand on faisait partie du “club Mercet”, c’était comme aller chez un grand tailleur. Il prenait le poids et les mensurations exactes de tout le corps. Ensuite ces mesures étaient reproduites sur une planche à dessin avant la commande du matériel (acier Columbus, groupe Campagnolo, etc.) ; il n’était pas question de mesurer tubes et câbles au centimètre : c’était le millimètre qui était à l’honneur chez lui.
Tout était fait à la main, tout était ajusté dans une parfaite harmonie.”
Le Mercet de Jean-Pascal
Voilà encore une belle histoire de transmission, que nous raconte Jean-Pascal, le propriétaire actuel du Mercet, que nous vous présentons dans cet article.
Laissons la parole à Jean-Pascal qui nous raconte l’histoire de ce vélo.
L’historique du vélo
“Ce vélo appartenait à Albert Beaume, un camarade de club de mon père, que tout le monde surnommait “Titi”. Dans les années 70-80 mon père roulait en FSGT au club des chantiers navals de La Seyne-sur-Mer. On était l’époque, où l’on fabriquait en France de nombreux paquebots, dans ces chantiers qui étaient de vraies ruches industrielles… Le week-end, les cyclos des chantiers revêtaient un autre bleu, celui en laine de leur maillot de vélo.
Ils participaient aux challenges de toute la région, et j’ai souvent suivi mon père sur des Marseille – Nice, le Tour de la Sainte Baume, la grimpée du Ventoux ou lors de l’organisation de son club : La Seyne-sur-Mer – Allos. D’ailleurs des années après j’ai pu réaliser cette belle sortie, en plus de ma saison en FFC. Mon père n’était pas peu fier de me présenter à ses anciens copains de club, dont le fameux Albert. Celui-ci était connu pour son goût très pointilleux sur la mécanique et ses vélos “tournaient ” comme des horloges. C’est peut être ça qui l’a conduit à commander ce vélo à cet “obscur” cadreur suisse… Allez savoir ! Au décès d’Albert, la troupe connaissant mon goût pour les vieux vélos et ma petite collection balbutiante, me proposa de récupérer l’un de ses vélos : ce Mercet.
Il était quasi complet, mais les roues, la selle et les freins avaient été troqués contre des composants nippons plus récents… J’ai alors commencé à chercher des informations sur ce cadreur. J’ai découvert qu’il était suisse. J’ai contacté l’administrateur d’un superbe site de collection suisse : vintage speed bicycles, qui m’a expliqué que ce cadreur était très peu connu, très élitiste et que même ses compatriotes en savaient peu sur lui. J’ai découvert quelques photos de cadres similaires sur internet, sans plus.
Le ressenti de Jean-Pascal
“Ce vélo est aussi beau à voir qu’à rouler. C’est le genre de vélo qui te fait regarder très souvent ton ombre sur l’asphalte ! Narcisse ne m’en voudra pas, mais une telle mécanique, sur laquelle on se sent bien posé, c’est rare. La patte de l’artisan se fait ressentir, dès les premiers coups de pédales.
L’arrière très court, le rend réactif aux relances, et malgré son âge, il est encore difficile de le prendre en défaut au niveau de la rigidité. J’ai roulé par le passé sur des cadres soudo-brasés beaucoup plus souples, et certains même dangereux, tant la souplesse pouvait s’accompagner de vibrations dans la direction. Ici on sent une rigidité certaine, mais juste comme il faut, la motricité est bien présente. Malgré la mode à l’époque du tout en arrière, privilégiant le pédalage en force, ce cadre me permet de grimper très correctement, moi qui ne suis pas très puissant de nature.
Difficile de connaître la nature réelle des tubes, mais l’alchimie est là et le vélo est fait pour aller vite, restant utilisable pour bon nombre de cyclistes. Je le rapprocherais de mon Colnago Mexico niveau rendement, avec un petit moins au niveau facilité dans les courbes ou les descentes.
La restauration
Je me suis efforcé de rester dans une certaine cohérence d’époque avec cette touche vélo de chrono, inspirée par les gaines internes et les manettes de vitesses. Pour cela j’ai puisé dans mon stock où j’ai trouvé ces leviers profils CLB ultra lights et “period correct”, Campagnolo n’ayant à l’époque fait que quelques protos pour certains coureurs pros. J’ai eu la chance de dégotter une roue libre alu de la marque, ainsi qu’un bidon profil en parfait état. Les mâchoires modifiées pour un axe borgne sont restées présentes ainsi que les dérailleurs Campa Super Record toujours aussi diaboliquement beaux et précis. Les manettes courbées par Mercet et positionnées à l’abri des tubes demandent tout de même un peu de doigte et d’habitude pour les manoeuvrer.
La potence et le cintre sont d’origine avec cette ligne pantographée à l’intérieur de la potence. La selle était morte, j’ai opté pour une Concor qui renforce le côté Aero, je ne désespère pas de trouver un modèle profil. Les jantes évolueront sans doute vers des Wolber profil. La sortie de gaine arrière a nécessité l’utilisation de gaine ultrafine comme celle qu’utilisait Mercet.
Ses cotes
- Longueur axes : 55,5 cm
- Hauteur axes : 54 cm
- Angle avant : 72,5°
- Angle Tube de selle : 72,7°
- Bases arrières : 400 mm
- Axe boitier/axe roue avant : 59 cm
- Bec de selle jusqu’au cintre : 52 cm
Depuis j’ai retrouvé d’autres vélos et des renseignements également par le biais de collectionneurs Suisses ou sur sur le forum “tonton vélo”. Merci à A .Bertusi Instagram @cycles_mercet pour les informations et les photos.
D’ailleurs, un de ces afficionados a participé au dernier concours de vélo en Suisse, je suis en rapport avec lui, il possède beaucoup d’archives Jacques Mercet qu’il publie sur Instagram. C’est un Mercet qui a s’est classé second derrière un Sablière à ce concours dans la catégorie prix du public, mais pas un des siens, preuve de l’engouement pour cet artiste cadreur.“