Le panorama de la pratique gravel s’élargit, réunissant sur la photo de famille la balade, le voyage et maintenant la compétition. L’humain est un compétiteur né, c’était fatal qu’il vienne ajouter à cette pratique une dimension chrono. Nous arrivons aujourd’hui dans la phase de mise en place de calendriers, de series, de challenges, … un peu partout en Europe et dans le monde. Nous sommes encore dans le “clair-obscur” d’un nouvel univers dédié à la compétition : le gravel race. Le soleil commence à percer les nuages et l’annonce d’un prochain championnat de France est le premier rayon annonciateur d’une plus grande clarté.
Le gravel est arrivé dans le monde du vélo comme un “cheveu sur la soupe”, diront certains. En fait, il est tout simplement né d’une d’une quête profonde de liberté et d’une grosse envie de nature. On peut comparer son émergence disruptive à celles du VTT et du BMX dans le vélo et du Trail running dans la course à pied. Après avoir usés des modèles favorisant le cloisonnement et la spécialisation, ce vélo offre une bouffée d’oxygène aux cyclistes confirmés et accueille sans contrainte tous ceux qui s’y mettent, sans passer par les filières vélos classiques.
Un phénomène qui inspire l’humour …
“C’est une info qui devait rester secrète jusqu’au passage de la flamme olympique à Millau le 13 mai 2024 mais il nous est impossible de garder ça pour nous plus longtemps ! … Le gravel sera sport de démonstration à Paris cet été et la course Wish One Millau Grands Causses sera la seule course UCI de l’année où vous pourrez aller chercher la qualification !
Programmée le lendemain de l’épreuve de cyclisme sur route (samedi 3 août 2024), la course est limitée à 400 participants et c’est le parc de Saint-Cloud qui a été choisi pour être site de départ et d’arrivée. Le parcours officiel sera dévoilé le 13 mai à Millau place du Mandarous.
Restez connecté(e)s, ça va être incroyable ! …“
Vous l’avez compris c’est un blague du 1er avril … émanant en plus de Maxime Poisson, co-créateur de WishOne et fervent promoteur du gravel race en France, avec François-Xavier Blanc, son associé. Et si cette plaisanterie pouvait être prémonitoire ? Sait-on jamais : on peut rêver ! Le BMX l’a fait, alors pourquoi pas le gravel ?
Le peloton du Gravel race
En voyant naître le championnat gravel UCI à l’échelle mondiale, je me suis demandé pourquoi la charrue avait été placée avant les boeufs ? En gros, pourquoi ne sommes nous pas partis de championnats nationaux, pour envoyer dans une finale mondiale nos meilleurs représentants ? … La réponse est que l’UCI savait que pour aller vite, il fallait s’appuyer sur le secteur privé. C’est Golazo qui a sélectionné dans tous les pays, des épreuves qualificatives pour aboutir aux premiers mondiaux en Italie. Vous pouvez retrouver mon interview d’Erwin Vervecken, Responsable Gran Fondo et Gravel Wold Series, qui explique dans un podcast cette démarche.
Le succès rapide du gravel a pris de vitesse le monde du vélo : les marques, les organisateurs, les clubs, .. et les fédérations qui n’avaient pas non plus anticipé cette vague. Ceux qui s’étaient installés dans le peloton d’un cyclisme qui roulait tranquille, ont été “largués” par le démarrage fulgurant du gravel. Ils produisent maintenant l’effort pour recoller à l’échappée et prendre la roue de ceux qui ont senti le bon coup. La baisse des prises de licences dans les fédérations, la mévente des vélos classiques (VTT, route) non électriques donne à réfléchir. Le trou est fait : alors comment le boucher ?
Certaines fédérations nationales ont réagi : aux États-Unis, pays où le gravel est né, c’est “Cycling USA” l’organisme officiel reconnu par le Comité olympique et paralympique des États-Unis et l’Union Cycliste Internationale, qui organise le calendrier officiel des championnats nationaux. Il regroupe toutes les disciplines du cyclisme de compétition aux USA, notamment le BMX, le cyclocross, le VTT, la route, la piste et le gravel.
En Europe, c’est l’Espagne qui est en pointe car le gravel est représenté dans les activités de la Fédération Royale de Cyclisme. En 2024 la première “Copa d’Espana Gravel” propose un calendrier d’épreuves. En Italie et en Allemagne, pas de trace du gravel sur les sites fédéraux. Par contre, en Belgique, le gravel apparait dans le menu du site fédéral, avec la mention “en construction”…
En France, ça avait pourtant bien commencé en 2016 avec l’épreuve du Roc Gravel. En participant aux 2 premières éditions, je sentais alors qu’on essuyait les plâtres, ou plutôt la poussière des chemins d’une nouvelle pratique sportive. WishOne s’est résolument orientée sur des épreuves race et puisqu’elles n’existaient pas beaucoup en France, ils en ont inventées. C’est ainsi qu’en 2021, lorsque Golazo – mandaté par l’UCI pour bâtir un calendrier international d’épreuves 2022 – les a choisis sur la base de leur expérience. Les Grands Causses ont été le support de l’unique manche française des Gravel World Series. En 2024 ce sera la 3ème édition de cette épreuve à Millau les 15 & 16 juin prochains.
Pas facile de s’imposer pour les nouvelles disciplines
Le sport est régit par des structures conservatrices et les nouvelles disciplines font peur. Les fédérations, par nature, mettent du temps à comprendre et à intégrer les nouveautés. Le BMX apparu en 1968 a dû attendre 2008 pour devenir une discipline olypique. Malgré son appartenance à la FFC, cette discipline a su conserver sa personnalité et une certaine indépendance. Les organisateurs privés sont plus agiles pour s’adapter aux nouveaux sports. Ils ont vite compris l’engouement pour le gravel et en France c’est ASO qui a ouvert le bal avec l’épreuve chrono pionnière du Roc d’Azur. L’organisateur LVO (Ludovic Valentin), organise depuis 2021 un Gravel Tour Challenge parrainé par Cannondale. WishOne, une marque française de vélo, a été moteur dans ce domaine. Bikingman, avec son championnat mondial, a ouvert un domaine all-road qui intégre le gravel. Les Race Across Series, qui ont démarré sur route, arrivent également sur le gravier.
La Fédération Française de Cyclisme, qui au départ ne voyait dans le gravel que les aspects “rando”, a pris conscience de cette déferlante qui vient concurrencer les pratiques sportives conventionnelles. Cette année, elle a créé une structure qui fera le lien entre le “fédéral” et le “privé”. Pour cela, elle s’appuie sur sa filiale France Evénement Vélo, émanant du groupe d’influence Hopscotch.
Grâce à des financements publics importants, l’événement Gravel Fever à Chatellerault a pu naître en 2023 sous le couvert de cette organisation. Le dispositif mis en place par la FFC ne se limitera pas au gravel, comme l’indique Michel Callot, président de la FFC, “Après le lancement de Gravel Fever à la fin du mois d’octobre 2023, qui a réuni plus de 800 pratiquants de Gravel, nous sommes impatients de travailler sur les événements prestigieux de Haute Route. C’est un nouveau challenge qui s’intègre parfaitement à la stratégie de FVE. »
La perpective des mondiaux 2027 en France
“Pour le trail running, on a mis 10 ans pour qu’on puisse voir s’installer une véritable organisation des mondiaux de trail“, témoigne Fred Bousseau, journaliste spécialisé dans ce domaine. Dans ces mondiaux de trail, certains champions, qui remportaient tout au long de l’année des épreuves internationales ne s’alignaient pas aux championnats du Monde, faute d’accord avec leurs sponsors. Allons nous voir les mêmes comportements dans le gravel ? … Sans doute pas, car au travers des équipements vélo, casques, … la visibilité des marques reste forte en vélo. Ainsi on a vu dans les 2 championnats UCI de sacré pointures du World Tour, venir se confronter à la régulière sur ces courses “open”, sans voiture suiveuse, sans oreillette … Même si j’ai lu un célèbre journaliste, spécialiste du vélo, qui qualifiant ces mondiaux UCI de “course de fête foraine”, la réalité est là : les coureurs professionnels sont aussi des cyclistes passionnés et ils aiment le gravel.
Les mondiaux seront organisés en 2027 en France, dans le cadre plus large des Championnats du monde de cyclisme UCI qui rassemblent tous les quatre ans, treize championnats du monde de cyclisme dans les différentes disciplines (route, piste, VTT…) … avec désormais le gravel. Cette perspective devient une motivation pour la FFC qui va devoir acquérir de nouvelles compétences, pour accélérer la mise en place des structures dans le pays organisateur.
Réglementations, volonté fédérale, commercialisation, … quels pourraient être les ingrédients du développement de cette nouvelle pratique sportive ? La réglementation naitra de l’expérience UCI. Cette année nous allons vivre la 3ème édition de ces mondiaux UCI. Pour l’instant elle est peu contraignante. La volonté fédérale suivra peut-être avec la commercialisation, comme l’espère la FFC en se rapprochant d’un groupe privé et de sponsors. Il semble que les choses ont largement évolué au sein de la FFC avec l’annonce à confirmer de ce championnat national de gravel. De l’eau coulera encore sous les ponts avant de voir apparaître un sélectionneur pour une équipe de France de gravel, des stages de préparation, des écoles de formation pour les jeunes, … Les recettes télévisuelles et le sponsoring ne sont pas encore suffisants pour financer de grandes ambitions. Profitons de l’émotion que nous procure ce défrichage de terrain et saluons ce prochain championnat de France où il faudra aller pour dire plus tard : j’y étais !…