Durant les quatre longues années de la Première Guerre mondiale, la région de l’Yser en Belgique fut le théâtre de combats atroces. Rouler sur cette terre de mémoire ne laisse personne indifférent. Il nous paraissait important de parcourir à vélo cette terre balafrée, non sans passer par le littoral belge, augurant de belles lumières.

En hiver, la côte belge dégage une atmosphère unique avec cette lumière diffuse et ce froid porté par le vent du nord, à vous transpercer les os. Elle ne se résume pas à cette ligne de buildings en béton longeant son littoral. Dès que l’on entre vers l’intérieur des terres, on découvre un paisible paysage de polders. Pour ce premier jour, nous avons décidé de partir depuis la petite ville de Dixmude, située à quelques kilomètres à peine de la mer. La haute tour de l’Yser, commémorant la résistance belge en 1914-1918 est notre lieu de départ. Elle est également le symbole politique de l’identité flamande.
Texte et photographies : Pierre Pauquay.
Rouler sous le niveau de la mer
En route vers une terre située à -4 m sous le niveau de la mer. La région, asséchée au XVIIe siècle, est un vrai paradis pour cyclistes fainéants ! Les routes choisies et l’absence de dénivelé nous donnent des ailes, sauf si le dieu Éole joue les trouble-fêtes. Les points-nœuds nous mènent à travers les polders. Cette région basse se caractérise par un sous-sol argileux et presque imperméable, sillonnée de canaux qui jouent un rôle important dans son drainage. Les fermes blanches et les vieux moulins à vent succèdent aux églises des villages de caractère. Au fil des kilomètres, le charme perdure.
Face à nous, peu après avoir traversé les villages de Oostkerke et de Steenkerke, la seule pointe qui se détache à l’horizon est le beffroi de Furnes. À vélo, nous flânons dans les ruelles de la ville où chaque pierre respire l’histoire. La grand-place est dominée par la flèche du flamboyant hôtel de ville de style Renaissance flamande, couronnée en arrière-plan par le beffroi figurant au patrimoine mondial de l’UNESCO.
La cité historique est aussi au cœur d’une région naturelle. Dès que nous la quittons, nous allons parcourir une campagne bucolique.
Gare au vent
Doucement, nous nous rapprochons de La Panne et de ses plages en traversant la région des polders.
Le bonheur de rouler à vélo prend ici toute son ampleur. Les routes, étroites, sillonnent la campagne au gré des chenaux et des fermes isolées.
Enfin la mer ! À Coxyde, on y revient toujours… Tel serait l’adage de nombreux Belges qui, enfants, étaient séduits par cette station balnéaire familiale. Elle n’a rien perdu de son charme. Les maisons de pêcheurs côtoient les cottages, parfois séparées de ces dunes qui font toute la richesse naturelle de la côte.
Nous les traversons à vélo depuis le centre du village balnéaire. C’est ici que l’on trouve la plus haute dune du littoral qui s’élève à 33 m.
Au gré des points-nœuds qui nous permettent de longer la côte via une magnifique digue, nous arrivons dans le plus grand port de plaisance d’Europe du Nord : à Nieuport, la promenade le long du chenal est un vrai plaisir où s’égrènent bars et brasseries.
Terre inondée
La suite de l’itinéraire nous invite à rejoindre Dixmude en retrouvant les traces de la Première Guerre mondiale. Lorsque l’armée allemande arriva dans les environs de Dixmude en octobre 1914, l’armée belge inonda la région en ouvrant les écluses de l’Yser. À l’approche de Dixmude, nous longeons Oude-Stuivekenskerke où a été érigée en 1925 la chapelle Notre-Dame de la Victoire.
Le clocher de l’église, maintenant en ruine, servait de poste d’observation à l’armée belge. Quelques centaines de mètres plus loin, nous voici devant le musée, le Boyau de la Mort. Dans d’épouvantables conditions, les soldats creusèrent des tranchées dans la digue le long de l’Yser, dont une est parvenue jusqu’à nous.
Nouvelle ville
Le lendemain, nous rejoignons Ypres, une ville médiévale prospère et tranquille de la Flandre occidentale qui fut propulsée malgré elle dans l’histoire en 1914. Pendant les quatre années de guerre, la ville, qui se trouvait au milieu du Saillant, fut complètement rasée et s’éleva au rang d’un des plus hauts lieux de mémoire de la Première Guerre mondiale. La dernière grande ville belge aux mains des Alliés assurait une position stratégique en protégeant les ports français de la Manche : il fallait à tout prix la conserver ! Les Allemands se sont acharnés sur la ville mais n’ont jamais pu s’en emparer.
Départ de la ville martyre. Si l’on ignore son histoire, les Halles aux draps, la Grand-Place ou la cathédrale paraissent millénaires. Et pourtant, tout fut reconstruit, pierre par pierre, après 1918 : un chantier gigantesque qui se clôtura seulement à la fin des années 1960. Nous roulons ainsi dans une ville nouvelle…
Une terre balafrée
Au gré des routes et des chemins, nous sillonnons une terre qui fut balafrée et où toute vie disparut lors de cette guerre. Un siècle plus tard, les champs ont reverdi, et rien ne rappelle les atrocités des quatre années de tranchées. Seule la mémoire subsiste, comme ces petits cimetières qui s’égrènent tout au long de la randonnée. Les détours mènent, ici, au bout d’un chemin, à des tombes alignées d’Anglais, là, à côté d’une ferme, à une belle et jolie sépulture.
Nous approchons de Passchendaele où s’est déroulée la bataille d’Ypres qui constitua le premier grand engagement des Canadiens. Au printemps 1915, les Allemands ripostaient face à la pression des Russes à l’est : un rapatriement des troupes de l’ouest leur était nécessaire. Afin de couvrir ce grand déplacement de leurs soldats vers le front oriental, ils optèrent pour une offensive contre le Saillant d’Ypres. Et pour la première fois dans l’humanité, une arme de destruction massive fut testée, le chlore gazeux.
Le 22 avril, à 17 heures, les ALLEMANDS lancèrent ces gaz contre les alliés français et canadiens qui tenaient la ligne de front. Mais ils tinrent bon.
Au fil des kilomètres, ces récits sont lourds de sens et nous pénètrent : impossible de rester insensible à ces images qui hantent l’esprit. À hauteur de la ferme de Oude Kaasmakerij, un panneau témoigne d’une autre bataille, si proche de la précédente : l’absurdité de la guerre ne connaît pas de limite de distance… Lancée le 31 juillet 1917, l’offensive britannique dans les Flandres devait chasser les Allemands de leurs bases de sous-marins sur la côte belge, notamment à Zeebruges. Mais la pluie et les tirs d’obus incessants transformèrent le champ de bataille en un immense bourbier. L’attaque se retrouva vite paralysée et engluée. Après des mois de combat, les troupes allemandes tenaient toujours avec opiniâtreté la crête de Passchendaele.
Quand nous roulons dans le village de Passchendaele, l’architecture ne peut se comparer à celle des villages typiques des Flandres. Rayé de la carte, le village a été reconstruit, vite. Et il a un peu perdu de son âme par ce bâti en béton et en briques jaunes.
Devoir de mémoire
Après les champs, une belle partie du tracé nous fait passer dans les bois du Palingbeek, un lieu devenu paisible et, de nos jours, si agréable à sillonner à vélo. Il y a plus d’un siècle, les Britanniques et les Allemands se sont affrontés avec acharnement dans la boue, face à face dans les tranchées ou même sous terre quand ils creusaient des galeries souterraines pour y placer des mines.
Nous entrons dans Ypres, cette ancienne ville fortifiée par Vauban, via l’une des portes d’accès qui fut reconstruite à l’identique. Une décision à l’époque du gouvernement belge qui se rallia à la demande de la population qui voulait revoir leur ville d’antan au lieu d’un ersatz architectural alors en vogue dans les années 1920. À l’approche des Halles aux Draps, où se situe le magnifique musée In Flanders Fields préservant ce passé douloureux, ce voyage de mémoire se termine. Porteur d’un message de paix universel, il était important à nos yeux de l’effectuer.
Rouler sur la côté belge – carnet pratique
La balade du saillant à Ypres, 60 km
Balisage : on suivra le système de points-nœuds 89, 39, 35, 24, 64, 26, 96, 67, 77, 58, 78, 99, 29, 35, 5, 36, 84, 81, 80, 18, 72, 42, 85, 65, 33, 47, 46, 59, 53, 48, 98, 17, 66, 69, 38, 93 et 89.
La balade vers la mer du Nord, 62 km
Balisage : on suivra le système de points-nœuds 49, 48, 52, 3, 53, 40, 70, 93, 33, 32, 16, 15, 72, 14, 4, 83, 9, 84, 1, 50, 76, 74, 65, 62, 58, 88, 96, 64, 82, 67, 8, 7, 57, 89, 35, 38, 39, 5, 85, 88, 82, 74, 49, 48 et 52.
En sélectionnant tous ces numéros, une liste s’affiche où vous pourrez par la suite télécharger la trace. Simple et pratique. La carte des points-nœuds est accessible ici.
A noter que principe des points nœuds commence à s’implanter en France. Jean-Louis en avait fait l’expérience durant sa découverte du Doubs en gravel.
Rouler en gravel sur la côte de la Mer du Nord
Pour préparer votre séjour, nous vous convions à compulser le site Visit Flanders. Vous y retrouverez également le parcours de 45 km, “Route de la Paix“, un peu plus courte que celle que nous vous suggérons depuis Ypres et elle balisée sur le terrain.
Infos générales
Pour préparer votre séjour, nous vous convions à compulser le site Visit Flanders. Vous y retrouverez également les traces GPX.
https://www.visitflanders.com/fr