Les statistiques Strava 2024 confirment ce que j’avais déjà constaté autour de moi : les cyclistes aiment de plus en plus rouler en groupes affinitaires. Grâce aux réseaux sociaux, il s’est créé un peu partout en France des clubs auto-proclamés, réunis par le vélo autour d’un thème, d’une culture, d’une façon de pratiquer, d’une relation amicale… Plus fun, plus libres, plus inclusives, ces bandes sociales organisées de cyclistes fonctionnent différemment. Elles s’émancipent du cadre traditionnel des clubs cyclistes qui fonctionnent encore comme avant la naissance de Strava et d’Instagram. Elles témoignent de la créativité et de la vivacité d’un monde du vélo en marge de la compétition, qui échappe aux institutions. Les bandes sociales organisées se retrouvent lors de “social rides” joyeux et animés qui se démarquent des sorties “énervées” que l’on retrouve assez souvent dans un cyclisme plus élitiste.
Le traditionnel “social ride” est attendu chaque semaine …
Ces collectifs ou groupe pratiquent une inclusivité bienveillante. Leur fonctionnement repose sur des choix qui leur sont propres. Leurs noms reflètent leurs personnalités : La nuit noire, Paname Gravel Ride, Houblons Sauvages Randonneurs, More Gravel, Le Grew, Salade Tomate Pignon, Pints & Watts United… Ils inventent des sorties vélos originales et décalées. Le traditionnel “social ride” est attendu chaque semaine pour inviter le groupe à un rassemblement tribal et amical. Ils ont leurs rituels, leurs territoires, leurs lieux de rendez-vous. Ils créent leurs tenues vestimentaires, allant jusqu’au maillot ou autres signes identitaires, très éloignés du vestiaire classique et souvent ringard des clubs cyclo traditionnels.
Pour mieux comprendre cette évolution cyclo-socioculturelle, j’ai choisi d’en rencontrer quelques uns via mon podcast. J’en connaissais certains, j’en ai découvert d’autres au hasard de leurs pages Insta, regorgeant de photos. Ce monde est vivant, effervescent et créatif. Ces groupes naissent souvent sur la base de nouvelles pratiques. Certains ont démarré au moment de la mode du fixie, la mode passée, il sont restés ensemble pour rouler sur route ou en gravel. Lorsque le gravel est né, ignoré au début par les clubs conventionnels, des “early” pratiquants ont créé de petites communautés, qui depuis ont bien grossi, aidées par la mode actuelle.
Podcast avec les bandes sociales organisées
Ces échanges avec ces clubs ont inspirés deux épisodes du podcast BlaBla.
Rouler en bandes sociales organisées
L’histoire de ces groupes démarre souvent autour de 2 ou 3 ami-e-s. Après ça peut aller très vite. Sur les réseaux sociaux, il suffit de souffler sur une braise bien rouge, pour que le projet s’enflamme. C’est ce que me dit Louis de PWU. Lorsqu’on est intéressé par une pratique de niche il suffit de trouver 2 ou 3 potes pour rouler ensemble, et puis le succés venant le club grossi : 10, 20, 30… 100 et le club “sauvage” au départ s’organise. Horaire des rendez-vous, calendrier, création d’un maillot et finalement il se réinvente un club institutionnel avec une cotisation, une éventuelle affiliation à une fédération cycliste. C’est ce que me dit Damien de Salade Tomate Pignon… Ces clubs cyclistes finissent par “nourrir” le monde du vélo en entrainant dans leur sillage des gens qui n’auraient pas suivi les filières traditionnelles trop contraignantes. Au départ, ces groupes pouvaient être mal vus par les clubs affiliés aux fédérations qui pouvaient y voir une concurrence. Finalement tout le monde finit par trouver sa place au profit de la pluralité des pratiques et le bonheur de tous.
Paname Gravel Ride
Thomas s’est mis au Gravel pour changer de la route. “J’ai essayé alors de rouver des copains pour rouler avec moi. J’ai partagé les expériences nocturnes dans lesquelles je me lançais après le boulot, et ça a pris …“Depuis le club a grossi et s’est structuré. “Au début, on cherchait juste des copains et puis rapidement nous étions, 10, 20, 30…50. Tout est basé sur un club Strava qui approche les 3000 membres et une communauté WhatsApp“, c’est la base du PGR me dit Thomas. Nul besoin de cooptation pour venir rouler avec eux, le club est ouvert. La sortie est annoncée le mardi sur Strava et sur la communauté WhatsApp. Les participants y trouvent les horaires de train en fonction du niveau des groupes. “On a globalement 10 à 15% de nouveaux chaque semaine“, précise Thomas.
J’imagine très bien les cyclistes de ce club parisien fredonner la chanson interprétée par Serge Reggiani :
Les loups ouh-ouh, ouh-ouuh
Les loups sont sortis de Paris
Soit par Issy, soit par Ivry
Les loups sont sortis de Paris
Effectivement les membres du PGR sortent de Paris, mais ils y reviennent à la nuit “Entre chiens et loups” lorsque la pénombre ne permet pas de voir clairement et que les choses se confondent.
Contacts
Strava : https://www.strava.com/clubs/PanameGravelRide
Instagram : https://www.instagram.com/paname.gravel.ride/
Le site : https://www.paname-gravel-ride.cc/
La nuit noire, Montpellier
J’appelle Jules pour qu’il me parle de “La nuit noire”. “On a commencé en 2015, par le pignon fixe, on était un groupe de 5 amis. On se retrouvait le soir à Montpellier pour faire des rides“. Ils prennent goût à cette façon de rouler et s’inscrivent à des CRIT comme le Redhook. La bascule du groupe informel du départ vers un groupe structuré s’opère au moment du déclin du pignon fixe. Les critériums disparaissent et la route et le gravel les attirent plus. Le club est créé officiellement en 2018, avec une dizaine de personnes ; aujourd’hui ils sont 70 adhérents.
Dans ce collectif montpelliérain on aime le look. Il y a même eu une marque de fringues vélo qui a été créée “On a arrêté cette activité, ça faisait trop de boulot ey c’était un peu compliqué”, me confie Jules. Il n’empêche que la Nuit Noire est devenue une marque et que les adhérents mettent un point d’honneur à porter le maillot au design assumé par le groupe. L’an passé le maillot a été réalisé en collaboration avec un artiste de Montpellier…” me dit Jules.
Contacts
Facebook : https://www.facebook.com/lanuitnoire.cc/
Instagram : https://www.instagram.com/lanuitnoire.cc/
Houblons Sauvages Randonneurs Club, Aix-en-Provence
Le Houblons Sauvages Randonneur Club à été créé afin de promouvoir une pratique différente du cyclisme. Le HSR organise des balades à vélo au départ du centre d’Aix-en-Provence le mercredi soir à partir de 19h. Il y a également des week-ends cyclotouristes, des participations à des brevets de randonneurs ou à des courses au long cours. J’appelle mon copain Gabriel Refait, qui sous sa marque Dynamo Cycles Repairs restaure de beaux vélos anciens à Aix-en-Provence et qui est l’initiateur du HSR.
Je roule avec ce groupe de temps en temps, notamment sur certains rides et des événements comme la “Bonne Mère” ou la “Cézanne”, des randos “cyclo classic”, qui font la part belle aux vélos en acier. “Ce nom Houblons Sauvages émane de notre culture qui est : des troquets jusqu’aux sommets“, explique Gabriel. C’est vrai qu’au HSR on aime bien boire une petite bière ou plusieurs après l’effort. Par contre les challenges sont parfois costauds, le club organise chaque année un 200 et tous ceux qui le réalisent reçoivent le patch du club qu’ils pourront coudre ou coller sur leur sacoche. Cyclo-camping, bikepacking, sortie route ou gravel, ride le soir… le HSR c’est une grande diversité, à l’image des “personnages” qui le constituent. Il ne faut pas oublier qu’Aix est à deux coups de pédales de Marseille et que dans le HSR il y a un peu du Pagnol.
Contacts
Facebook : https://www.facebook.com/groups/1254303111434018
Instagram : https://www.instagram.com/houblons.sauvages.randonneurs/
Le Grew Bike Empowering Women
Voilà un groupe créé pour faire en sorte qu’un maximum de femmes se mettent au bikepacking et les rendre autonomes. J’appelle Caroline Prigent qui n’est pas une débutante. Elle a co-fondé le projet Bivouak et participé aux plus grandes courses d’ultracyclisme, dont la mythique Transcontinentale Race, ainsi que plusieurs Iroman en triathlon. Le Grew est un groupe de femmes qui pratique le gravel à Paris. “Le gravel, c’est sortir des sentiers battus et pour une femme c’est important…”, me dit Caroline. Le Grew organise un ride mensuel depuis 1an 1/2. C’est une fille du groupe qui se charge d’organiser la sortie et de proposer une trace. “On prend toutes le train ensemble, on part sur une trace et on revient à Paris. Au début c’était plutôt des boucles au départ de Paris et puis on a allongé les distances“. Caroline m’explique que l’objectif est de de dépasser ces rides du week-end pour un jour partir en voyage à vélo.
Les membres du groupe utilisent les traces créées et partagent également avec Paname Gravel Ride qui fonctionne sur le même principe. Le passage de l’aventure du week-end avec le Grew pour sauter le pas vers quelque chose de plus ambitieux avec le voyage est assuré par Bivouak. “C’est dans cet esprit que j’ai fondé le Grew. C’est un peu l’évolution naturelle qui consiste à se préparer pour pouvoir ensuite être autonome pour pratiquer le bikepacking“, précise Caroline.
Contacts
Instagram : https://www.instagram.com/le.grew/
Salade Tomate Pignon, Caen
J’ai découvert Salade Tomate Pignon à Caen en écoutant l’excellent podcast de “Ça roule Caen“. J’ai appelé Damien qui me raconte la génèse de ce groupe très atypique avec leurs tenues très colorées. “Au début on a commencé par le fixe. On était un petit groupe de copains qui n’a jamais dépassé la douzaine. On se retrouvait généralement le lundi soir place du théâtre à Caen“. Ça démarre réellement en 2021 par une page facebook. Damien qui venait de faire un AVC s’est jetté dans l’écriture et son animation pour progressivement faire sa rééducation, porté par la solidarité du groupe. Cette page a attiré de nombreux cyclistes et le groupe s’est monté en association. Le nom est une déviation de “Salade Tomate Oignon” commandé dans un Khebab. Au lieu des oignons à Caen ils ont mis des pignons et voilà l’histoire.
Le club s’est dévoppé au point de faire de l’ombre aux clubs “officiels” locaux qui trouvaient que STP faisait des rides “sauvages” sur la route. Du coup, STP a créé un vrai club qu’ils ont appelé “Sauvage Club” qui lui est affilié à une fédération pour participer à des événements sportifs officiels. Salade Tomate Pignon est ouverts à tous les genres et chaccun vient avec le vélo qui veut. Les nouveaux sont accueillis par les plus ancien et Damien leur explique le rituel du club : l’inclusivité est totale.
Contact
Facebook : https://www.facebook.com/profile.php?id=100065184473215
Instagram : https://www.instagram.com/salade.tomate.pignon/
PWU Pints & Watts United Cycling Club
Il suffit parfois d’une idée en l’air comme m’explique Louis le créateur du PWU (Pints & Watts United Cycling Club). “L’idée a jailli à l’époque où avec mes potes on allait tous fêter nos 30 ans…” Au lieu de souffler 30 bougies, ils sont partis rouler avec pour objectif de s’accouder au bar de 30 PMU (Paris Mutuel Urbain).
Contacts
Instagram : https://www.instagram.com/pwu_official/
More Gravel
Le groupe More Gravel existe depuis 2017. Au départ, ils étaient 3 ou 4 à pratiquer localement le gravel, qui était alors totalement ignoré par les clubs VTT ou route de cette région du Var. Au départ, nommé Maures Gravel, en référence au massif du même nom, c’est en 2020 qu’il est devenu More gravel car le club exportait hors de sa région des événements en Touraine, à Verdun ou sur la région du Ventoux, terres natales de Laurent, le créateur.
“Même le statut associatif est presque trop, ça reste libre…“, me dit Laurent évoquant néanmoins une charte partagée, un code, qui cadre l’esprit du groupe, notamment le type de vélo “Dropbar only” et les règles à respecter sur les aspects environnementales et comportemental. “Je tiens à l’identité gravel. De la même manière que l’on va pas à un rassemblement de Harley-Davidson avec une Honda, on ne vient pas faire du gravel avec un VTT“.
Contact
Strava : https://www.strava.com/clubs/482338
Facebook : https://www.facebook.com/moregravel
Instagram : https://www.instagram.com/laurentmoregravel/
WhatsApp : https://chat.whatsapp.com/DFO2uBLkSYNEsLEjuf4NL0
Pour conclure
Le monde du vélo s’invente et se réinvente sans cesse. Depuis la période de pandémie, pendant laquelle on a dû s’organiser seul ou en petit comité pour pratiquer le vélo, une cassure s’est opérée avec le monde cycliste des clubs traditionnels qui avaient arrêté leur activité. De nouvelles pratiques sont apparues et ceux qui les ont adoptées en premier se sont organisés pour se retrouver pour rouler ensemble, en marge d’un monde vélo conservateur. Le fixie avait ouvert le bal au début des années 2000 en inventant les social rides, plus récemment le gravel a imaginé les sorties de groupes libres, le bikepacking a créé de nouvelles invitations au voyage. Les réseaux communautaires ont assuré le lien entre ces cyclistes en rupture de ban. Les néo cyclistes découvrant le vélo par l’urbain ont découvert qu’au delà du velotaf il y avait un monde à découvrir. Cette créativité montre que le vélo est vivant. Ces clubs auto-proclamés apportent un souffle nouveau qui bénéficie à tous. Certains clubs auto-proclamés deviennent finalement des clubs “officiels” en se rapprochant d’une fédération à laquelle ils apportent du sang neuf, riche en globules de plaisir, pour donner un coup de jeune à un monde du vélo qui en avait besoin.