Jean-Lin Spriet est un cycliste longue distance sur route et il n’avait jamais eu l’occasion de participer à une épreuve gravel. Il était tenté depuis un moment, et la Gravel of Legend de Nature is Bike l’a décidé à sauter le pas … et quel pas ! 300 kms pour le “soldat” Jean-Lin, casqué et harnaché sur un vélo de gravel qui a donc débarqué à Arromanches pour tenter de rejoindre Angers via la Suisse Normande. Il nous livre le récit de sa première “leçon” de gravel.
Je suis arrivé par le train de Paris vers Bayeux jeudi soir. Pas un souffle de vent, tout juste une brise. C’est rare dans le coin. Je le connais bien. Mes parents habitent ici, à côté d’Arromanches. Je roule régulièrement sur route dans le coin. Je connais la plage du départ par coeur : les pontons échoués de la seconde guerre mondiale, le port artificiel imaginé par Churchill, le nom des plages des débarquements et la qualité du flan de la boulangerie d’Arromanches (on ne se refait pas !). Le port artificiel a permis aux alliés de débarquer le matériel, pour soutenir les troupes qui venaient nous libérer … Gold Beach est le nom de la plage où le départ de la Gravel of Legend sera donné, d’où le nom en bas du maillot « Opération Gold ». Bien vu l’organisation !
La route passe devant la maison de mes parents, traverse le village en ressort aussitôt comme pour mieux s’engouffrer dans le premier chemin de gravier, puis d’herbe, puis de boue, puis de terre puis de sous bois. C’est une première pour moi, je ne suis jamais monté sur un vélo de gravel, je n’ai jamais fait de cyclocross non plus. De nouvelles sensations, un nouveau terrain, de nouvelles techniques à apprendre. Je vais être comblé !
Quand la Nature s’ouvre au bike
J’aime l’odeur humide de la nature qui se réveille, ses bruits, il y a quelque chose de chaleureux, presque accueillant ici. C’est grâce au hululement d’une chouette, que je me suis réveillé. Il est 4h45. J’ai arrêté mon réveil avant qu’il ne sonne. La nature reprend ses droits. Je ne le sais pas encore, mais elle va me guider tout au long de la journée. L’excitation de la première fois est bien présente.
Le petit déjeuner approche, Robin Cojean (le fondateur des Cycles Petit-Breton) et son père Philippe me rejoignent. On avale un petit déj copieux. Les vélos sont prêts. Robin m’a prêté son vélo pour l’occasion. Il bosse beaucoup et sortait d’une nuit blanche pour finir le cadre qui sera en expo sur son stand de Nature is Bike ; j’ai donc roulé avec Philippe, lui aussi sur un Petit-Breton. On avait fière allure avec nos beaux vélos sur cette plage d’Arromanches. Je peux même dire, sans vouloir être prétentieux, que nous avons vu les têtes se tourner à notre passage.
J’avais prévenu Philippe que nous allons trouver à 500 m du départ une sacrée grimpette, sur une portion de route très étroite. Impossible ou presque de doubler. À cet endroit il ne faut pas mettre le pied à terre, sous peine de finir en marchant. Nous prenons une photo et rejoignons la ligne de départ sur la plage du débarquement, Gold Beach. Aux pieds des pontons nous faisons quelques images pour l’organisation. L’équipe de cyclocross de Stève Chainel et une belle équipe féminine de cyclocross sont en première ligne. C’est parti il est 6h28. Les “pros” s’envolent déjà et nous partons bon train.
Ça n’a pas loupé ! De la pluie et du vent violent en début de semaine ont méchamment façonné la terre, les champs et les arbres.
Premier chemin de gravier, je prends mes repères et je reste gentiment dans la roue de Philippe qui est beaucoup plus à son aise que moi (il a quelques participations à la Gravel to Breizh à son actif). Je regarde comment il fait et j’essaie de suivre sa trace. Je suis un peu hésitant et tatillonne. Je n’ai pas l’habitude de maltraiter du carbone comme ça. Premier secteur gravier, d’abord en force, ce n’est pas la bonne manière de faire. Second chemin de gravier, je passe plus en cadence, ça passe mieux. Nous continuons, voilà les herbes hautes. Comme je n’y vois rien, vaille que vaille j’y vais les yeux fermés. Ca passe. Je recommencerais ! Avant le début de l’épreuve, j’avais repéré que c’était la pleine lune le 24 juin. Ce qui induit un changement de temps généralement. Ça n’a pas loupé ! De la pluie et du vent violent en début de semaine ont méchamment façonné la terre, les champs et les arbres. La terre n’a pas pu absorber toute l’eau, la boue est présente. Le vent a laissé sa trace : le lin et les blés sont penchés, les feuilles des arbres pendouillent. Les pneus cramponnés sont les bienvenus. Premières flaques de boue : j’essaie de ne pas trop traîner, sans m’en mettre partout. Je ralentis. Je n’aime pas ralentir. Philippe passe tout droit. J’écoute la leçon : “Roule vite, les fesses sur la selle ET : tout droit !” … Si senor ! Seconde leçon retenue. Je relance, et c’est reparti. Un ruisseau pas de soucis : tout droit ! Allez zou ! les kilomètres défilent.
Lors du briefing des coureurs la veille, l’organisation nous avait prévenu : attention il y a 2 arbres couchés sur la piste et une pente raide qu’il vaut mieux descendre à pieds ! Message bien reçu. Tout ça avant le premier CP : bien reçu Chef. Hop le sous-bois, quelques zigzags de-ci de-là, impossible de doubler, je patiente. Les sous-bois sont humides, mes pneus de 35 mm montés sur jantes de 24 mm internes et 30 mm externes les font pousser à 38 mm. il y a du confort là-dedans. Je n’aurais pas été contre des 40 mm. Aucune importance j’y suis j’y reste, c’est pas mal cette histoire. Yes un autre chemin plein de boue … YOUPI !!! c’est parti ! Cette fois j’y suis allé tout droit et à fond tant pis pour l’humidité, la boue sur la tronche, je me régale.
Viens le premier CP, un coup de tampon et on repart avec Philippe. Un arbre ? Non je ne ferai pas un bunny hop au-dessus ! On porte nos vélos, nous ne perdons pas de temps, nous sommes déjà en selle, une belle montée passée sur le plateau de 48, pas sûr de recommencer ça à chaque bosse ! C’est parti, nous voilà successivement sur un single track, un pierrier puis une fichue descente. Dommage pour moi j’ai gardé les mains en haut du cintre et à ce moment là l’équipe de Specialized donne du « Allez, on garde les mains en bas et on descend… » Je repasserai l’examen pour cette nouvelle leçon.
Je perds un peu de temps, j’appuie et je les retrouve. Philippe est devant moi. C’est marrant le gravel : ça change tout le temps. Ca passe vite aussi. Je suis plus habitué à la route en mode longue distance où les changements sont plus rares : rythme, relance, endurance, force, technique, il faut savoir tout faire. C’est assez rigolo. Finis le gras, voici la route nous filons vers Flers. Un long bout droit le long de l’Orne avalé à plus de 30 de moyenne, je suis plus dans mon sujet. J’entends gentiment derrière « Merci la loco ! ». Après mes erreurs de débutant, je peux mettre mes qualités de rouleur au profil du groupe. Et au bout de l’Orne arrive la grimpette vers Cerisy Belle Étoile. Nous avançons et atteignons Flers où je fais un stop, pour retrouver un frein arrière déficient … ça peut servir. C’est rassurant.
Je reprends la route, en rattrapant le groupe avec lequel j’étais. Nous n’y comprenons pas grand chose : sur le carnet de route, Domfront est à 85 km et nous sommes à Flers à 93 km. Nous ne nous attardons pas, nous sommes sur la trace. Nous arrivons à Domfront après 125 km. Nous avons été prévenu la veille lors du briefing : après c’est roulant. Effectivement. En bonne compagnie, j’avance sur les chemins de terre à vive allure. La moyenne oscille entre 28 et 30 km/h. Je plonge ma main dans ma poche arrière, ma clé allen de 4 tombe. Je m’arrête pour la récupérer, redresse mon cintre. Le groupe est parti. J’avale un morceau et je roule en direction du CP 3 à Laval. Lorsque j’arrive, une partie du groupe avec lequel j’étais repart. J’avale un morceau vite fait et je repart. Ils sont devant moi, commence une belle poursuite pour les rattraper. Je vais mettre un paquet de temps à les reprendre.
J’ai brûlé des cartouches à prendre des relais avec deux championnes de cyclo-cross. Je roule désormais à 26-27. Et avant la cavalerie. Le moral est bon, les jambes sont là, je roule tant bien que mal pour reprendre un peu de retard. Je vais attendre les derniers kilomètres, grâce à l’aide d’un groupe de copains qui roule à 30, pour rattraper mon groupe initial. Entre le CP3 et 4 ce sont de longs bouts droits : du chemin de terre ferme au chemin de halage. Nous passons d’une écluse à une autre la route est superbe. Nous déroulons. Nous sommes à 15 km de l’arrivée. Il faudra attendre les 5 derniers et une belle attaque, que je n’ai pas pu suivre, pour comprendre le dernier apprentissage : ne pas ramasser sa clé de 4 ! J’avais les jambes un peu fatiguées et un large sourire. La magie a opéré. J’ai pédalé entre bitume et terres, boue et sable et je me suis régalé. Merci.
La veille du départ, on nous avait promis une rando, j’ai vécu un débarquement. Celui du all-road, de la terre et de la route, de la course et de la rando, des nuits blanches et des nuits à la belle étoile. Celle des poumons qui brûlent et du ballon de blanc les pieds dans l’eau. Des boudins de 40 et des petits braquets, du tubeless et des semi-slick, mais avant tout de celle de la créativité. Et c’est ça qui me séduit le plus. Celle qui conduit encore un peu plus vers l’inattendu et celle du moment présent. C’est cette idée de créer ce que l’on veut et de prendre le chemin qui nous convient. Avec du matos capable de tout.
Le vélo du soldat Jean-Lin
Je suis du genre curieux et je n’hésite pas à prendre quelques risques. Alors j’y suis allé, vraiment. J’y suis allé avec un Petit-Breton. En quelques mots, Robin est ingénieur de formation, travaille le carbone à la main et a créé une technique pour réaliser des cadres monocoques en carbone sur mesure. L’entreprise se développe au rythme de ses créations et de ses idées. Il aime bien faire les choses et que les choses soient bien faites. Ses vélos sont très bien finis aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur. Il a le soucis du détails sur tout.
Comme il n’est pas totalement satisfait de ce qu’il trouve en matière de pièces en carbone (fourche, potence, cintre, tige de selle), il va les concevoir lui-même. Le projet est en route. Vous avez dit un vélo de route ? pas de problème cela arrive. Vous préférez un vélo urbain sur mesure ? Vous n’allez pas être déçu non plus. Les idées fourmillent et il trouve. Le carbone du fabricant Toray est bon. Oui sans aucun doute, mais lui grâce à son expérience passée chez Airbus, il a trouvé une autre source d’approvisionnement. Il reprend des chutes de carbone issues de l’aéronautique pour en faire des vélos. Astucieux ? oui, écologique ? toujours. L’autre point non négligeable c’est qu’Airbus achète du carbone pour qu’il dure une vie. Vous avez bien lu. Dans l’air du temps et le soucis du détails. Il travaille beaucoup passe quelques nuits blanches dans son atelier pour finaliser ses calculs de structure, les dessins ou des angles. Les détails de tout, tout le temps.
Le premier vélo que Robin Cojean a réalisé de ses mains en carbone monocoque sur mesure : c’est celui sur lequel j’ai roulé. Il y tient comme à la prunelle de ces yeux et me l’a gentiment prêté pour cette rando. Rien que ça. Coup de chance je fais la même taille que Robin. J’ai pris mes jantes montées avec des Gravelking SK de 35 mm qui une fois installés en faisaient réellement 38. Je ne pouvais pas mettre plus large sur ce modèle.
J’ai récupéré le vélo de Robin une petite semaine avant la randonnée. Je l’ai réglé avec mes côtes et je n’ai eu aucun problème de positionnement ni de douleur. Sincèrement, je me suis senti bien tout de suite. Je n’avais jamais roulé en 48-31 et 11-34, j’ai trouvé mes repères et le groupe GRX di2 a fonctionné à merveille, mis à part le frein arrière. Rien de grave. Si j’ai fait 5 km avant le départ, c’est le max. Dans tous les cas, pas de quoi me rendre compte de qu’il a dans le ventre avant de m’élancer sur 300 km. Robin l’avait équipé de périphériques Darimo : c’est trop light et l’intérieur n’est pas fini. Tous les bords de la potence ne sont pas poncés. Bref il y a encore un peu de boulot. Il y a même une petite fissure au niveau de la potence, nous ne sommes pas rassurés avec Robin. Jeudi soir nous prenons la décision de la changer ainsi que la tige de selle. Je peux dire après coup que je suis heureux que nous ayons pris cette décision.
La course commence, je fais un peu attention où je mets les pneus au début. Je tâte le terrain. Ca passe facilement la première fois dans de petits cailloux tassés. Le vélo est stable malgré les obstacles. Il ne perd pas sa ligne malgré les rebonds. C’est très rassurant. Je me sens à mon aise. Voilà la boue une première fois. Ma technique est hésitante. La seconde j’y vais franchement en cadence les fesses sur la selle. Le vélo répond instantanément, je sens tout de suite la motricité arrière qui traduit mon effort. La boue s’écoule, pas d’accumulation. Je continue mon chemin sans avoir la crainte de tomber dedans.
J’accumule de petits moments durant lequel je sens le vélo être présent et répondre à mes sollicitations. Je continue mes petites expériences au fur et à mesure du parcours. Apres la boue, viens les singles. Pas mal pour tester l’agilité et la réactivité. C’est parti. Je me dresse sur les pédales, je balance le vélo à droite à gauche, j’essaie de le faufiler entre les obstacles, pas de soucis, la réactivité est bien là, pour ne pas dire instantanée. Le boîtier de pédalier est comme sur un vélo de cyclocross, c’est-à-dire un plus haut par rapport au sol qu’un vélo de route (presque comme un VTT). J’enchaîne les sous bois humides, les slaloms entrent les pierres et autres rigoles d’eau avec une facilité déconcertante. Je change de direction comme je le veux. Ce n’est pas qu’une question de chute de boîtier de pédalier, il y a aussi le bon mixte entre l’angle de direction et le déport de fourche. Ça se nomme le “wheelflop”. De manière très simplifiée cela correspond à la capacité du vélo à tourner beaucoup, en manoeuvrant le guidon le moins possible. Lorsque ce point est maîtrisé : cela donne beaucoup de précision et de stabilité. En complément du wheelflop, il faut prendre en compte la largeur du pneu qui va modifier la réactivité du vélo : un pneu fin va tourner plus vite qu’un pneu large.
Je continue mon chemin, nous sommes le long de l’Orne sur la route. J’enchaîne les kilomètres au-delà des 30 à l’heure et je ne fais pas semblant. Le vélo ne bronche pas. Il est stable, je peux mettre mes avants bras sur le cintre le vélo file droit. Une relance je ne sens pas la boite de pédalier bouger. Ce qui me frappe c’est que je sens mon corps s’appuyer sur lui. Je sens que je peux faire équipe avec lui pour longtemps. Le sur mesure y est clairement pour quelque chose mais pas que. Je suis toujours sur la route nous montons bon train vers Cerisy Belle Etoile.
Ça grimpe (le lien vers mon activité Strava est ici). Je suis en 48 devant et 34 derrière, la chaîne croisée à fond ! Même pas peur. Non d’un chien je peux appuyer, aucune défaillance, il est là et me conforte dans mon effort. Je ne sens pas de retour de bâton. J’aurais aimé prendre mes pédales Assioma duo pour connaître ma puissance et la comparer avec ce que je connais. Sincèrement la boîte est massive. Et je craignais ça. Les bases ? Tout pareil. C’est costaud. Ca ne bronche pas. Je roule sur des vélos en acier habituellement. J’ai ici beaucoup plus de réactivité, et je suis bien obligé de l’admettre je me vois bien dans 30 ans avec ce même vélo. Je n’aurais jamais imaginé dire ça il y a encore quelques mois. Je veux dire par là que le carbone est tout aussi fiable que le métal. J’ai pédalé en cadence et en force. Dans les deux cas je n’ai pas ressenti de retour de bâton. Sur mon cadre en acier si je passe trop en force j’ai les cuisses qui chauffent. Ici pas du tout. La descente de Cerisy commence. La route est un peu cabossée les virages secs. Le vélo garde sa ligne. J’enchaîne les courbes et j’arrive à changer de direction spontanément. Les pneus de 35 freinent un peu. Je ne suis pas bon descendeur, et je préfère un vélo rassurant et moins rapide qu’un vélo trop agile. Ici je sens mon corps se relâcher et je me laisse filer. Je prends de la vitesse. Une autre bonne surprise.
Plus je roulais plus je sentais que je pouvais m’appuyer sur mon vélo et plus je pouvais me lâcher. J’ai trouvé un vrai partenaire. Si je me lançais dans un nouveau défi plus engagé je le prendrais les yeux fermés. Je modifierais la place des portes bidons (je les positionnerais plus bas, comme cette étape de la construction se fait à la main pas de problème. Je crois que j’abaisserais la boîte de pédalier et accepterais de perdre un chouïa en maniabilité et franchissement au profit de la facilité à monter et descendre sur le vélo. Et j’augmenterais la taille des pneus possible. C’est déjà le cas sur les nouveaux modèles (route et gravel) de Petit-Breton.
Je dois admettre que cette journée a été très excitante : une nouvelle discipline et un vélo en carbone sur mesure. Les deux ont cassé des clichés : un vélo prêt à tout et un vélo en carbone, qui dure une vie. Je n’aurais pas parié sur ça avant, je dois le reconnaitre. Maintenant j’en ai la preuve. Vivement la prochaine aventure sur les routes de la Race Across France 500.
Jean-Lin Spriet