Jean-Lin cherche, tâtonne, expérimente. Jusqu’où ira t-il dans sa recherche du “graal” cycliste ? Existe-t-il une formule magique pour créer une osmose parfaite entre le cycliste et son vélo. Jean-Lin est un cycliste curieux qui ne ménage pas ses efforts. Il multiplie les expériences, pour chercher l’alchimie qui transformera l’acier, le carbone, les équipements les plus divers … en or pour un cycliste en quête de perfection.
Au mois de mars, dans le cadre de son projet consistant à faire en solo les courses “Classiques”, il s’est lancé sur l’itinéraire de Paris – Tours, sur un pignon fixe tout acier de conception “classique” également … Voyons quelles nouvelles réponses lui ont été apportées après cette virée de 190 km face au vent ?
Laissons Jean-Lin nous expliquer …
« Juste avant ce troisième confinement, j’ai eu la chance de rouler sur un vélo exceptionnel et particulier : un pignon fixe d’Alex Singer. Il est d’une simplicité remarquable et roule divinement bien. Je vais l’emmener, ou plutôt c’est lui qui va m’emmener … sur quelques “classiques” dès que je pourrais rouler au delà du périmètre auquel nous sommes contrains (c’était en mars 2021). »
Présentation
La ligne de son cadre en acier est harmonieuse, avec un tube horizontal parallèle au sol. Deux gardes-boue, une pompe, des portes bidons viennent habiller ce vélo minimaliste. Braquet de 51×21 je n’y croyais pas, mais l’expérience que j’allais vivre m’a appris à apprécier ce ratio. Sincèrement, il ne me manque qu’une sacoche avant, ou plus, pour partir à l’aventure, celle qui vous emmène sur des routes qui vous font parcourir un bout du territoire. Pas des routes d’entraînement maintes fois “remâchées” … on se comprend.
Un Paris – Tours qui m’a joué des tours
Je suis donc parti sur l’itinéraire de Paris – Tours, avec ce beau Singer. Cette course classique avait lieu à l’époque en mars. Ça tombe bien, nous sommes en mars … Départ à 6h de la maison avec l’intention de prendre le train de 17h à Tours pour rentrer au bercail, juste avant le couvre feu de 18h. L’histoire était simple sur le papier : très peu de dénivelé et 270 km, rien d’affolant.
Je sors de Paris et de sa couronne, pour arriver en vallée de Chevreuse. Je franchis les quelques bosses pour prendre plein Sud. Olivier Csuka, de Singer, a eu la prudence de me demander quelle route j’envisageais. J’avais retrouvé le tracé originel du Paris Tours 1903 qui passait par Orléans, et suivait la Loire en direction de Tours.
En sage Olivier me dit :
– « Il y a du vent du Sud Jean-Lin, tu l’auras dans le pif ! »
– Oui c’est sûr et les plaines sont longues dans le coin.
– « Tu ferais mieux de passer vers Dourdan, Rambouillet, Chartres Chateaudun, … C’est le parcours de Paris Tours Paris classique que nous faisions à l’époque. Tu l’auras un peu moins de face. »
– Ok
– « Et surtout ne force pas ça ne sert à rien ...»
Pas faux… Je sors de la vallée de Chevreuse, j’arrive vers Orphin. Le vent souffle de face, puis de plus en plus fort. Je sens que je suis obligé d’appuyer bien d’avantage sur les pédales. Je n’ai pas mis mon capteur de puissance. Lorsque Olivier m’a appelé pour parler du ratio, toute son expérience a parlé : « 48 x 17 c’est trop gros, 51 x 21 c’est pas mal ». À ce moment là, deux solutions : est-ce que j’écoute son conseil, ou je reste ancré dans mes convictions. Comme je suis d’un naturel curieux, j’essaie ce qu’Olivier me conseille : et grand bien m’en a pris.
La traversée de la Beauce a été infernale : physiquement et moralement. Je ne vais pas vous faire le tableau de la Beauce : c’est chiant et dur surtout côté moral. Les éoliennes me rappellent que le vent est contre moi (sans blague), le paysage est monotone : des champs et des villages ravitaillés par les corbeaux. C’est difficile, et je me suis vraiment employé à bien rouler malgré la situation. En sortant de Danzé, juste après la Ville au Clerc, un beau carrefour. Je dois aller tout droit vers Azé. Je regarde ma vitesse moyenne, la distance à parcourir pour arriver à prendre le train de 17 h : impossible car il faudrait rouler à 30 km/h de moyenne sur les 90 derniers kilomètres avec 50 km/h de vent de face. C’est sport, ça aurait pu passer avec le vent dans le dos, mais aujourd’hui c’est une autre histoire. Je prends la tangente. Direction Vendôme à 10 bornes.
Boulangerie, train et retour au bercail. Ce n’est que partie remise. Jusqu’à quand ?
La morale de l’histoire
Je roule sur des vélos en acier et j’ai aussi deux vélos en carbone (Trek Domane carbone 600 et 700 et BMC Roadmachine SLR01) plutôt moyen / haut de gamme. J’ai un pignon fixe en acier (Columbus Life avec une fourche en carbone Enve, un full acier et un Cyfac en inox 953 de Reynolds avec fourche carbone. J’écris ces précisions, pas pour vous déballer ma collection, mais simplement pour vous dire que j’ai expérimenté des matériaux différents. J’ai roulé avec des pneus avec des chambres en latex, butyl, du tubeless et des boyaux. Ce qui me permet d’avoir une bonne base de comparaisons.
Le cadre du Singer est en acier Reynolds 531 de la tête aux pieds. Pas de doute, c’est écrit dessus. Et je suis assez bluffé de la petite histoire que nous avons vécu ensemble. En effet, cette série de tubes, résistants et d’une grande simplicité, sont incroyablement fins, comparés à ceux plutôt bodybuildés de mes vélos. Le Singer possède une douille de direction en 1 pouce, mes vélos ont une douille de 44 mm. Le tube diagonal fait 29 mm de diamètre, mon Cyfac et mon fixe affiches 39 mm. J’ai utilisé une paire de roue en carbone de 35 mm avec boyaux et freins sur jantes, cela va s’en dire. Les fourreaux de fourche sont d’une finesse à faire peur. Rien à voir avec une fourche carbone Enve ou Columbus. On est sur des options très différentes, et pourtant il m’est apparu une sorte de fluidité qui s’est inscrite au fur et à mesure des kilomètres. Il me semble que plusieurs paramètres entrent en ligne de compte et viennent bousculer quelques idées reçues, et ça j’aime bien.
Ce vélo est donc plus flexible que les cadres que je possède. Les bases arrières plus longues et fines, le cadre plus droit et un peu plus lourd. C’est un cadre à raccords et j’ai pesé le vélo à 9 kg, avec les roues carbone à boyaux et sans bidons. Le poids je ne reviens pas dessus, c’est de l’histoire ancienne sauf à participer à une compétition et à grimper le plus vite possible, son importance n’est pas fondamentale. Ce Singer est le vélo le plus “tendre” que j’ai roulé à ce jour. J’ai cru perdre en rendement après les premiers tours de roues : il n’en est rien. Le boîtier de pédalier se déforme plus, et revient plus lentement aussi. La cadence de pédalage et le braquet doivent assurer la synchronisation avec la réaction de la matière.
À l’époque des cadres en acier de course, les coureurs utilisaient de plus grands braquets. Avez vous vu une cassette avec un pignon de 30 sur un des vélos d’Anquetil, Merckx ou Vieto ? Je ne pense pas. Et la taille des pédaliers ? Ben, c’était pas petit non plus ! Qui veut essayer de grimper le Ventoux en 42 x 25, tout à gauche ? Le truc marrant, c’est que la différence des temps d’ascension entre ceux de cette époque et ceux d’aujourd’hui ne sont pas dingues. On parle de quelques minutes, et parfois des mêmes chronos en fonction des coureurs… Pas sûr que nous roulions plus vite aujourd’hui. Ce que je retiens c’est que nous nous sommes adaptés. Sur mon vélo en Inox avec des vitesses c’est caricatural. Le boîtier de pédalier se déforme beaucoup moins. Je suis obligé d’augmenter ma fréquence de pédalage pour ne pas sentir que je bute contre mon cadre et travailler avec lui. Cela veut dire que je n’ai pas la force et une puissance suffisante en montée pour faire travailler mon cadre, le tordre et le faire revenir en sa place à chaque tour de pédalier. Je dois donc augmenter ma fréquence de pédalage. Et sur du carbone plus raide ? Aussi … ce phénomène, par lequel une matière se déforme sous l’application d’une force pour revenir à sa place initiale, s’appelle en physique le phénomène d’hystérésis. Il s’applique sur le boîtier de pédalier et aussi (on oublie souvent d’en parler) sur les pneus. Les pros de l’époque utilisaient des boyaux de 19 ou 22 mm et parfois 25 mm devant quand la saison des pavés arrivait. Je vous mets au défi de plier un boyaux de 19 mm gonflé à 10 ou 11 bars.
Si nous nous résumons : gros braquet + boyaux raides + cadre souple = effet de compensation de l’un par rapport à l’autre. Aujourd’hui l’équation est différente : carbone dur + petit braquet et cadence haute + pneus larges à basse pression = compensation de l’un par rapport à l’autre. Est ce que les pratiquants sont les mêmes : ma réponse est oui. Nous nous sommes simplement adaptés.
Les fourches sveltes ou musclées, à patins ou à disques, avec ou sans des gardes-boue, ne travaillent pas de la même manière. La fourche droite en acier (sans courbure de Colnago) a apporté beaucoup de rigidité, idem pour le carbone. Celle de ce Singer est en acier avec des fourreaux fins et cintrés. Autrement dit elle est aux antipodes de ce qui ce fait aujourd’hui. Je vais vous l’écrire comment je l’ai vécu sur les 190 km. La fourche travaille et elle AMORTIT : oui, oui, … vous avez bien lu. En roulant je voyais la fourche travailler, c’est impressionnant, et ça change tout. Le gain en confort est celui d’un autre monde, ni plus, ni moins. J’ai roulé avec des boyaux en faisant le cinglé dans le Ventoux et sur les pavés du Nord, j’en connais le feeling. Là c’est autre chose. Les vibrations qui remontent dans le cintre, et donc les bras sont beaucoup plus faibles. C’est très perturbant au début, ensuite j’y ai vite pris goût … La contre-partie négative à mon sens, c’est le travail de la fourche quand je me dresse sur les pédales. Je ne m’y suis pas encore fait. Je n’ai pas encore assez roulé sur le vélo, je me laisse encore un peu de temps.
Pour les pneus l’idée n’est pas de revenir sur le débat boyaux, chambre à air ou tubeless. Ce que je retiens c’est le complément de tendresse qu’apporte la carcasse et la largeur du pneu à l’ensemble. Clairement ce sont les flancs des boyaux qui travaillent tout comme pour le tubeless. C’est un débat que l’on entend aujourd’hui : rouler à basse pression et avec des pneus plus larges ne diminue pas le rendement. Ce qu’on omet de préciser c’est le type de vélo ! Jan Heine, l’homme derrière la marque René Herse, l’écrit ici et là. Il n’est pas le seul à le dire. Pour moi ce n’est pas suffisant et il faut prendre le vélo dans son ensemble, c’est-à-dire avec le développement et la matière du cadre. Aujourd’hui plusieurs marques vendent des cadres en carbone avec des pneus de 28 ou 32mm pour ajouter du confort. Personnellement le 28 mm m’est amplement suffisant. Sans appel : cadre carbone ou acier. Et en descente je sature beaucoup moins en vitesse qu’avec du 35 mm, comme j’ai pu l’expérimenter. Les pneus de 35 mm de Rene Herse que j’ai utilisé sur 5000 km sont venus compenser la fermeté de mon vélo. Adaptation quand tu nous tiens.
Plus je cherche, plus il me vient des questions.
La question n’est pas celle de l’acier ou du carbone, sur jantes ou des disques, c’est tout simplement celle de ma force, ma technique de pédalage, mon confort de conduite et de ma propension à sentir quand je me suis harmonie avec mon cadre. Je cherche à être efficace pour maximiser la transmission de ma force et ma puissance sur mon vélo. Je suis à peu près convaincu que lorsque je choisis le bon braquet et la dimension et pression de pneus je me sens beaucoup plus confortable sur un carbone que sur de l’acier. Dans l’autre sens ça fonctionne aussi … Cela veut sans doute dire que c’est cette recherche d’harmonie avec le vélo sur lequel on roule qu’il faut rechercher avant d’acheter un nouveau vélo.
La seconde vient du pignon fixe que j’adore pratiquer depuis pas mal de temps. Donc c’est un sujet pour lequel je suis extrêmement objectif cela va s’en dire 😉 … J’ai fait avec autant de BRM que des courses à la con. J’ai aussi déjà posé le pied à terre quand ça monte trop. Je me suis déjà cassé la margoulette sur les pavés du Kemmelberg, parce que pas assez de vitesse et de force pour grimper sereinement. Bref je pourrais le prendre pour passer quasi partout, à condition d’avoir 2 pignons, 1 de chaque côté de la roue arrière pour grimper un peu plus sereinement les cols. Je n’ai pas l’expérience des grands cols en pignon fixe comme d’autres. Toutefois je reconnais que ça me tente autant que ça m’effraie. Ça va venir et en attendant je goute sa simplicité, l’esthétique et la franchise de sa pratique. Je m’applique à travailler : même pignon, cadence différente. J’y suis ou j’y suis pas, lui le vélo reste sans broncher, et j’avoue que ça me plait.
Alors jusqu’où ? jusqu’où irai-je ? C’est peut-être là que réside un autre chemin : quelle conscience ai-je de mes sensations et quel temps je me donne pour les découvrir ? au travers de combien de vélos ? Est ce moi qui ne trouve pas la bonne combinaison, braquet-cadre-pneus ? Est-ce mon vélo qui est « bizarre » ? est ce moi qui veut me faire plaisir ou qui cherche une excuse pour changer de vélo parce que cet autre me fait de l’oeil ? Exprimé ainsi ça ne convient pas et pourtant j’entrevois tellement de paramètres qui peuvent changer mon comportement cycliste et le monde qui m’entoure.
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passionnant , pertinent , plein de lucidité un article au plus profond des questionnements de tout amoureux de cyclisme. bravo