Doit-on détourner la tête, lorsqu’au détour d’une piste de gravel, on se retrouve subitement face à un pylône de ligne à haute tension ou à une carcasse rouillée de véhicule ? … Doit-on cadrer différemment la photo d’un beau panorama, en évitant soigneusement d’y intégrer le toit hideux d’un bâtiment de ferme industrielle ou cette cheminée anachronique dans le paysage ? Doit-on faire demi-tour dès que l’on tombe sur une décharge sauvage ? Plus globalement, doit-on occulter les coups de canifs infligés par l’homme à la nature. Nos vélos de gravel, qui nous ouvrent les portes de tous les territoires, nous obligent à ouvrir les yeux devant une réalité qui nous éloigne du fantasme d’une nature idéale. (photo de couverture François Deladerrière)
Est-ce une bonne chose ?
Une quête de nature
Si vous tapez sur votre moteur de recherche préféré “quête de nature” vous obtiendrez un nombre considérable d’occurrences les plus diverses. La quête de nature semble être une préoccupation majeure, sans doute et surtout pour les citadins. On le constate dans nos villes en quête de “renaturation” et dans l’ouvrage déjà ancien de Guy Mercier et Jacques Bethemont (publié en 1998), on lit que depuis l’antique Babylone la nature est un matériau urbain. L’exemple de Central Park à New-York et les visions urbanistiques actuelles confirment ce fantasme du milieu naturel. Elle est renforcée et justifiée par la nécessité aujourd’hui, de faire face à l’évolution du climat.
Encouragé par de belles images, le cycliste néo-aventurier va s’élancer dans une nature plus “réelle”, que celle qui lui a été présentée dans les belles vidéos scénarisées par les marques de vélos. Va-t-il se contenter de ce qu’il découvre ou va-t-il, au retour de sa première virée, rendre son vélo au magasin en menaçant de porter plainte pour publicité mensongère ?
Into the ride
Heureusement, ce cycliste, qui a découvert sa nouvelle pratique exploratoire, ne le fera pas, car le vélo dans cette nature transformée par l’homme, a bien a plus d’intérêts que le fantasme du naturel. Il va découvrir avec son vélo de gravel des traces de vie, des morceaux d’histoires, des lieux mystérieux, des horizons différents. Allant de surprise en surprise, il va s’ouvrir à la réalité d’un monde qui évolue et cette prise de conscience va l’engager à se muer en gardien de cette nature, devenue son terrain de jeu favori.
Et puis, il voudra partager ses découvertes avec des amis, car le bonheur n’est réel que lorsqu’il est partagé. Loin du scénario du film “Into the Wild”, il ne partira pas seul affronter cette nature, trop fier de montrer ses découvertes.
Sur notre petit territoire français, on ne peut pas nier la présence de l’homme qui est le plus grand prédateur de la “nature”. Nos vélos de gravel nous conduisent partout et les yeux grands ouverts, nous voyons partout son empreinte. Sur nos vélos libertaires et effrontés, nous sautons sur des routes où la pollution visuelle s’affiche en 4 par 3, nous nous enfonçons sur des chemins où nous découvrons des décharges. Nous découvrons une réalité qui nous donne envie de dire STOP et d’agir.
Soyons “nature”
Il n’est pas étonnant que l’on trouve ce mot “nature” un peu partout (et pas que sur le pot de yaourt), car il est à la fois un nom féminin et un adjectif invariable. C’est presque une définition et son omniprésence dans notre vocabulaire pourrait nous faire penser qu’il finit par ressembler à son contraire : “artificiel”, comme ces espaces urbains dit “nature” qui ne sont certainement pas naturels.
Alors montons sur nos vélos pour “chasser ce naturel”, on pourra peut-être le trouver, puis on rentrera vite le soir, en revenant au galop. Et puisque Nature et Bike font si bon ménage, allons tous à Nature is Bike à Angers du 16 au 18 juin. L’événement s’installe pour sa 3ème édition dans un espace plus “nature” que les éditions précédentes, au bord du Maine.
L’événement Nature is Bike révèle ce que nous cherchons tous à faire : trouver des endroits plus authentiques. Cette quête d’une nature vierge est-elle aujourd’hui illusoire ? La nature serait-elle une sorte d’état fantasmé, dans lequel l’humain souhaite retourner ?
Votre article ouvre plusieurs questions. La première est celle de l’existence même du concept de Nature que vous présupposer dans votre article comme allant de soi : il y aurait une Nature “vierge” indépendante de l’homme. Mais l’ensemble de l’espace métropolitain est le fruit d’une interaction de l’humain avec son environnement : même les espaces les moins “humanisés,” les parcs naturels par exemple sont le fruit d’une profonde modification par l’Homme au fil des ans.
Et ce qui est intéressant dans le gravel, c’est que cette pratique induit l’existence d’un réseau de routes gravillonnées. A l’origine, cette pratique cycliste nécessite un paysage déjà fortement humanisé qui correspond aux grandes plaines agricoles américaines avec son réseau de circulation dédié aux machines agricoles. Adapté au paysage européen, le gravel cherche des chemins suffisamment roulants. Les pistes DFCI (défense des forêts contre les incendies) correspondent à des aménagements d’espaces, non pas naturels comme ils apparaissent à des yeux “innocents”, mais à des forêts gérées par leurs propriétaires. En Île-de-France ou en région Centre Val-de-Loire, tous les chemins empruntés par nos vélos correspondent à des usages agricoles ou forestiers. La Wilderness américaine est bien loin de nos espaces !
En moyenne montagne, les paysages ouverts (non recouverts par un couvert forestiers) sont le fruit du travail de défrichage réalisé au fil de l’histoire pour fournir des pâturages aux animaux. Le Massif-Central en est un excellent exemple. Plus haut, les cols muletiers et les fortifications militaires des Alpes nous racontent une autre histoire encore.
En fait le mot Nature nous trompe, il obscurcit notre vision. Ce mot est un piège qui nous empêche de voir et de penser les espaces intermédiaires entre ville et campagne. Et votre article est intéressant à ce titre, il invente un regard et un discours qui va avec. Effronté, libertaire, écrivez-vous 😉
Super article. Du Patrick comme je les aime. Un pas de côté et même un peu de recul. Une pause. Y’a pas que la pose (de cycliste en habits ++) sur BC!! Jolie prose ; merci.
Ca me rappelle une discussion dans un refuge lors d’une bambée “gravel” de 3 jours à travers plusieurs vallées et massifs des Alpes du Nord. Ce refuge est situé à 1600 m dans une vallée de tarantaise préservée (ça existe?? oui). Cadre absolument magnifique et petit dej face à une montagne somptueuse, le seul bruit de la fontaine et des tarines. Je discute avec mes voisins de dortoir, attablés comme moi à l’extérieur du refuge, en partageant mon émerveillement. Je les sens acquiescer poliment mais pas totalement sincèrement et leur demande alors explicitement ce qu’ils pensent du lieu, de l’ambiance. Et là ils me confient avec sincérité cette fois qu’ils sont gênés par la ligne très haute tension qui passe dans cette vallée. Effectivement, il est impossible de ne pas la voir. Tout le reste est beau. En plein été, nous sommes tranquilles. Pas de 4×4, pas de hordes, juste quelques randonneurs. Aucune remontée mécanique, aucun immeuble en vue alors que dans la vallée voisine , c’est le grand n’importe quoi des années du “plan neige” avec des barres d’immeubles déjà laides l’hiver mais carrément horribles l’été. Difficile en effet de prendre une photo du paysage “instagramable” en parvenant à rendre le paysage sans y inclure un pylône RTE. Je me suis rendu compte de combien la société nous conditionne par rapport à l’image que nous nous faisons de plein de choses y compris de la nature. Ces gens n’arrivaient juste pas à faire abstraction de ce qui leur paraissait une verrue dans ce magnifique paysage : des pylônes et une ligne THT.
J’étais content car je prenais aussi conscience que le plaisir d’y être au calme résultait probablement aussi de ce “défaut”.
Merci Vince … des articles comme j’aime les faire, même si la reprise des communiqués fait aussi partie du job. En fait, les idées viennent en vélo, souvent quand je roule seul. J’ai du temps avec moi-même pour me questionner sur des sujets qui me passent par la tête.
Votre article est intéressant, quand je roule avec ma femme, nous avons souvent cette discussion, elle ne supporte pas le moche, la zone industrielle au détour du virage etc…
Ça la déprime.
J’ai beau lui expliquer que c’est pour mieux apprécier le reste, rien n’y fait.
Pour résumer c’est comme une vie sans emmerdes, on s’y ennuierai à mourir et comme le disais une autre personne, il faut savoir faire abstraction de certaines choses (le pylône).
le vélo gravel est un microscope de la curiosité, son exploration nous ouvre les yeux sur un univers rejeté mais également celui idéalisé de l’homme . Porter le prisme sur le beau ne nous fait pas oublier le malsain, et la nature serait en meilleure santé si l’humain se comportait pas, parfois, en grand malade. On est tous interpellés par ce paradoxe : la beauté de la construction par l’homme de magnifiques pistes forestières, et de chemins vicinaux servant à l’exploitation et communication que l’on s’attribue sans effort comme espace gravel possible, et la laideur des nombreuses et permanentes offenses faites à l’égard de la nature ; en roulant à ses côtés, je la ressens comme le miroir de notre âme, elle agrandit au millième la notion de respect et d’admiration , et nous montre aussi toute sa désillusion .
Trouver un papier d’emballage d’une barre énergétique laissée au sol est rare est terre gravel, mais une décharge sauvage est fréquente.
Mea Culpa, j’avoue volontiers, vouloir détourner de mon objectif photographique les affres de la modernité et préférer une nature intacte à conserver, une friche industrielle peut avoir du charme certes insoupçonné, mais quand je trace, c’est seulement à un bon délire champêtre , que je veux penser ! Le gravel est le meilleur des opiacés .
Bravo Denis pour cette “bonne drogue”. Celle là on peut la consommer sans modération.