Tout fout le camp, il n’y a plus de saison. On n’a plus de repères, les jeunes ne respectent plus rien !
C’est vrai que l’on est plutôt habitué à entendre parler du cyclocross quand la saison des Grands Tours est terminée, celle des Classiques pas encore vraiment commencée (ou complètement finie, c’est selon). En plein mois de juin, quand le Dauphiné se termine, que le Giro est derrière nous, que Cochonou compte les bobs à distribuer dans 3 semaines, les acteurs du cyclocross viennent faire leur apparition sur les podiums des Classiques de printemps.
Notez que ce phénomène n’est pas vraiment nouveau, il a une petite quinzaine d’années, quand Peter Sagan, né en 1990, fait ses armes en Cyclo-Cross et en Vtt. Entre 2006 et 2008 il grimpe sur les podiums des championnats du Monde de ces deux disciplines. Il prépare déjà la suite, puisqu’il sévit aussi au niveau national sur les championnats de route. La suite justement vous la connaissez, ou presque. Peter Sagan n’est pas le seul à avoir ouvert la brèche, prenez Pauline Ferrand-Prevost, la même génération, elle va et vient d’une discipline à l’autre avec un plaisir non dissimulé et le succès qu’on lui connaît.
Des frontières poreuses
Il suffit d’avoir un tout petit peu le sens de l’observation pour se rendre compte que les frontières sont de plus en plus poreuses. Parfois, souvent, elles volent en éclat. On ne va pas se lancer dans une grande étude sociétale, nous n’en avons pas les compétences, ça tombe bien, Bike Café n’est pas le lieu pour ça non plus. Il n’empêche, en ajustant notre focale sur le vélo et en prenant un peu de recul, on se rend compte qu’une exception (Sagan/Ferrand-Prévost) est peut-être en train de devenir la norme pour le cyclisme de demain.
Autrefois (ou souvent) considéré comme une bonne formule d’entraînement pour l’hiver, le cyclocross permet de travailler l’explosivité, le souffle, le changement de rythme, le sens de la trajectoire aussi. Plus ludique, moins chronophage, moins sérieux, plus festif, le cyclocross est souvent perçu comme une solution de repli à la route, en ces mornes matinées brumeuses d’hiver. À en croire les succès sur routes des jeunes Matthieu Van Der Poel, Vout Wan Aert, Remco Evenepoel le cyclocross ne serait-il pas en train de devenir l’anti-chambre du vélo de route ? Le cyclocross aurait-il ce privilège exclusif, d’être l’éleveur de nos champions du vélo de route, un peu comme Pedigree Pal pour les concours de beauté, demandez à Mme Nisot ce qu’elle en pense https://youtu.be/fvccnExZcGA ?
Je suis sceptique, Pal n’est pas le seul pourvoyeur de champion, ce serait faire affront au boulot formidable proposé par Royal Canin, souvenez-vous de Falco. https://youtu.be/UVAksnZ4xNo
La Team Look Crit
Dans le vélo, c’est pareil, il n’y a pas qu’une recette magique. À l’occasion d’une journée de présentation de la Team Look Crit, qui a eu lieu mi-juin au Steel Coffee Shop à Paris, il est autorisé de penser que le même phénomène serait en train de se passer autour de l’engouement pour les courses de fixies. Très populaires pendant les années charnières entre le XXème et XXIème siècle, le fixie a perdu un peu de son engouement populaire. Il semblerait qu’il revienne en force. Quand on voit les noms des 12 partenaires embarqués dans l’aventure autour de cette équipe (pour les citer Look, Corima, Selle Italia, Rapha, Michelin, Oakley, TillStart, Giro, Deda, E-zup, Sram, Slicy) on peut se dire que de telles marques n’investissent pas dans ce Tour Critérium pour les beaux yeux de François Février ou Margaux Vigié. On peut penser que les marques s’intéressent de près à ce renouveau du fixe pour des raisons d’image…et donc commerciales.
Mélange des genres ? un rapide tour de l’équipe
Honneur aux filles, Margaux, avant de rejoindre le Fixe elle a sévi pendant quelques années sur les Championnats de France et d’Europe… de Roller de vitesse. Au vu de cette entrevue retrouvée sur la toile, Margaux ne patinait pas dans la choucroute : titrée championne de France, elle s’oriente en 2015 vers le fixe.
Idem pour Tim Ceresa, aujourd’hui capitaine de cette équipe, il est un ancien skieur de haut niveau, il a troqué ses spatules pour le guidon, visitez son compte instagram, vous verrez qu’il envoie sur les skis. Élu Rookie of the year en 2014, son sens de la trajectoire, le goût de la vitesse et l’engagement ne sont pas le fruit du hasard.
Sans oublier François Février, qui a la paternité de cette équipe, ce qui ne l’empêche pas d’être un OVNI dans ce paysage de sportifs affutés. Le hasard de ces surfs sur youtube l’amène à visionner en 2014 un résumé du Red Hook Crit en 2014. Sportif du dimanche (et kiteur, donc forcément quelqu’un d’intéressant) il se fixe comme objectif de courir la finale du Red Hook Crit en 2015. Il se donne les moyens et atteint son objectif !
Et pour être complet sur cette équipe : Achille Métro, au patronyme prédestiné, rêve probablement de devenir le roi de la ville, après avoir tourné les jambes en première catégorie sur route et sur des courses de VTT Marathon il se lance à fond dans le fixie, il s’entraîne aussi sur des randonnées sans fin en bikepacking.
Cette équipe Française côtoie de grands noms du cyclisme déjà confirmé, tels que Philippo Fortin, Loic Chetout, Ivan Cortina. Ces coureurs pros viennent faire quelques ménages et chasser des primes sur les courses de CRIT… Probablement François, Margaux, Tim, Achille sont-ils sans le savoir en concurrence avec de futurs grands champions du vélo de route. Quand on vous parle de mélange des genres, de frontières qui ne sont plus là, on est en plein dedans.
Les barrières se lèvent naturellement
Comme le cyclocross, les compétitions de vélo fixes se font sur une piste fermée, quand certain(e)s pédalent, d’autres font griller la saucisse et couler la bière. Comme le cyclocross, le fixe fait travailler le sens de la trajectoire, la force, la vélocité. Comme le cyclocross, peut-être que le fixe sera le pourvoyeur de futurs champions sur la pratique reine du cyclisme.
Les barrières se lèvent parfois naturellement, souvent au prix d’une lutte de longue haleine. Le fameux plafond de verre n’est plus perçu comme un Everest inatteignable. Les lignes bougent, on peut décider de protéger son pré-carré en fermant les yeux et préférer l’entre-soi. Il est également autorisé de penser que la mixité, le partage d’expériences et le brassage de cultures est une chance et un enrichissement. On peut aussi penser que ces changements apportent un océan d’opportunités.
On le dit régulièrement au Bike Café, nous sommes convaincus, qu’elle que soit notre pratique, notre histoire, nos désirs, ici nous avons tous un dénominateur commun : le vélo, ce qu’il représente, ce qu’il nous apporte, ce qu’il nous permet de vivre. Sur le bitume ou dans les sous-bois. Sur route ouverte ou piste dédiée. Chacun(e) picore un bout de recette chez son voisin pour faire de sa pratique du vélo le cocktail qui lui convient. Alors oui, tout fout le camp, il n’y a plus de saisons et les jeunes ne respectent plus rien… et tant mieux.
Enfourchez votre gravel, votre randonneuse, votre fixie, votre VTT, votre vélo de route, ouvrez les yeux, tendez l’oreille et découvrez ce qui se cache derrière la porte, au bout du chemin et ce quoique en pensent les anciens. Platon, 400ans avant Jésus-Christ faisait déjà le même constat à propos de la jeunesse :
« […] Lorsque finalement les jeunes méprisent les lois, parce qu’ils ne reconnaissent plus au-dessus d’eux, l’autorité de rien ni de personne […] »
On peut se rassurer car rien ne change finalement.