Depuis plus de 60 ans il collectionne tout ce qui concerne le vélo. De la première casquette qu’il a reçu lorsqu’il avait 13 ans à la centaine de vélos qu’il possède aujourd’hui, tous les objets de sa collection sont autant d’anecdotes. Il a réuni, grâce à des dons, une collection unique en France car elle est avant tout basée sur la passion et les rencontres. La particularité de ce musée privé est qu’il est « vivant ». Lino et sa bande de copains l’utilise pour animer des événements sportifs actuels du Tour de France jusqu’aux courses locales …
Qu’est-ce qui peut bien pousser un gamin de 13 ans, passionné de vélo, à devenir collectionneur ? … Pour Lino Lazzerini, tout est parti d’une simple casquette offerte par un « coureur » alors qu’il assistait aux exploits des champions sur le vélodrome de Cavaillon, situé à deux pas de chez lui. C’était en 1958 et les courses cyclistes ne manquaient pas alors dans la région. Autour de la piste en ciment de l’anneau Joseph Lombard il régnait une belle ambiance populaire. C’est à la même époque, que le jeune Lino prend sa première licence à l’Étoile Sportive Cavaillonaise. Il aurait bien aimé devenir un champion, comme les fringants sportifs qu’il voyait rouler sur le vélodrome. Son père Giuseppe, venu de Toscane pour travailler la terre, a choisi pour lui une autre destinée et c’est dans le dur travail des champs que Lino s’est forgé un physique qui aujourd’hui lui permet de monter encore le Ventoux sur un vélo ancestral.
Une collection exceptionnelle
Récemment TF1 a consacré un sujet à ce personnage “hors norme”qui n’enferme pas sa collection pour son seul plaisir égoïste, mais qui aime la partager lors d’événements tout au long de l’année.
Lino a donc commencé sa collection à cette époque bénie du vélo … Casquettes, maillots, bidons, livres, revues,… et vélos qui se sont entassés au fil des années dans tous les recoins disponibles des annexes de sa maison. Je découvre en arrivant chez lui une véritable caverne d’Ali-Baba dédiée à la petite Reine.
Les trésors sont là, suspendus à leurs crochets, bien rangés tête-bêche. Au moins une centaine de vélos de toutes les époques. Au milieu de ce sanctuaire, Lino m’accueille, l’œil malicieux et la moustache frisotante : 54 kg tout mouillé, moulé dans son cuissard de vélo, le mollet sec, la casquette de vélo vissée sur la tête. Il me raconte comment tout a commencé. Sa vie est une longue suite d’anecdotes qu’il a collectionnée, comme toutes les reliques que j’admire dans son garage.
Il me raconte ses 60 ans de collection. Il est né en 1945 comme Eddy Merckx. D’ailleurs c’est avec le grand Eddy qu’ils ont fêté ensemble leur 70ème anniversaire à Bédoin lorsqu’il est venu voir Lino. « Eddy m’a dit : je suis parti de Belgique car j’étais assailli de coups de téléphone et je viens me réfugier ici au pied du Ventoux pour échapper à tout ça … », et question échappée il en connaît un bout le « cannibale ». Lino connaît tous ces grands champions qui lui offrent bien volontiers des souvenirs qui leur ont appartenus. Ils savent que Lino n’en fera pas le commerce. « Thomas De Gendt est venu chez moi après avoir gagné au Ventoux. Il m’a dit dès que je rentre en Belgique je t’envoie un maillot … ». Effectivement, dans la galerie de ses nombreux maillots dédicacés il y a celui de ce champion avec la mention « Pour Lino … ».
Une collection qui prend l’air
C’est rare de voir une collection qui prend souvent la clé des champs pour aller vivre ailleurs un moment de récréation. Généralement les collectionneurs gardent jalousement pour eux leurs précieux objets. Il n’y a rien de plus triste qu’une collection de vélos qui s’ennuie entre 4 murs. Le vélo c’est fait pour rouler, et Lino ne s’en prive pas. « Je vais de partout avec mes potes et on fait voir comment c’était le vélo à cette époque. Pour le Tour de France, chaque année, on me demande d’exposer dans le village de départ. Pour le 100ème anniversaire nous sommes restés 3 jours avec eux. Au mois de mars j’étais à Milan San-Remo pour une animation. On fait plein de choses on monte même le Ventoux avec nos vieux vélos », explique Lino. Il a entraîné dans sa passion des amis qui habitent dans son quartier.
Ils font partie de la bande à Lino, qui écume les prologues de grandes épreuves en volant souvent la vedette aux vrais champions. Lorsqu’on les voit arriver, simulant les courses d’époque, avec leurs maillots en laine un peu mités, leurs casquettes d’un autre âge, … pédalant comme des fous sur leurs vieux biclous : c’est le délire. « Quand on a monté le Ventoux en prologue de l’étape du Tour, une heure avant les pros, les gens qui étaient postés sur les rochers au bord de la route sont tous descendus en disant : venez, venez, … c’est les anciens … Ils voulaient qu’on s’arrête pour faire des photos et pour voir de près nos vélos, ils nous demandaient comment on faisait pour grimper avec … On ne réussissait pas à arriver en haut, tant il y avait de monde autour de nous …», raconte Lino, heureux de provoquer à chacune de ces sorties historiques le spectacle. Avec ce bonhomme, toujours prêt à rigoler, la collectionnite n’est pas triste. Leur prestation au Ventoux est passée sur différentes télévisions et même jusqu’en Australie … Animations dans les villes de la région ou lors de grandes courses nationales ou internationales : le calendrier du « Lino Tour » est bien rempli et avec sa bande de copains, ils s’en donnent à cœur joie. Lino est également sollicité pour fournir des vélos d’époque pour des films. C’est une autre façon de faire vivre ou plutôt faire revivre ses vélos qu’il maintient en parfait état de marche. Lino est mécanicien également et il y a même deux ateliers dans la maison. Il faut au moins ça pour réparer et entretenir un tel parc à vélos.
Pour chaque vélo il y a une anecdote
Que ce soit avec les anciens, et même très anciens champions, qui ont préféré léguer leurs reliques en héritage à Lino avant de partir sereinement, ou encore, avec les coureurs plus jeunes et bien vivants, la collection de Lino est avant tout une affaire de cœur et de passion. Ils savent tous qu’il saura mettre en valeur tous ces souvenirs.
« C’est des cadeaux, je ne peux pas les vendre. Lorsqu’un ancien m’appelait et qu’il m’ouvrait sa valise avec tous ses équipements en me disant : c’est pour toi Lino je sais que tu sauras en faire quelque chose, ça me faisait un sacré pincement au cœur … » m’explique Lino très ému. Ça a été le cas avec Vincent Soler qui lui a donné sa valise de coureur avec ses maillots, ses cuissards et son vélo. Ce champion avait fait le Tour de France en 1951 et 1952. « Le vélo que j’utilise dans les courses vintage, c’est un papet qui me l’a donné … Il m’a dit je suis vieux je vais partir, je te le donne. Ce vélo est de 1920, comme celui de Ottavio Bottecchia qui a gagné, avec un vélo identique, le Tour de France en 1924 et 1925 sous les couleurs d’Automoto … », raconte Lino.
« Je partais avec Patrick Lefevere, le directeur sportif de la Quick Step, pendant une semaine dans sa voiture de directeur sportif, je mangeais avec les coureurs : Museeuw, Tafi, Bettini, … j’étais avec eux ils me disaient : si je te donne quelque chose je sais que tu le feras voir … ». En effet la collection de Lino se balade : en Espagne aux championnats du Monde où les organisateurs l’ont gardé 15 jours. Il a exposé à Paris pour le 100ème anniversaire de Paris-Tour, en Italie où ils ont apprécié ses fameux posters encadrés par des jantes en bois d’époque.
Difficile de raconter dans un seul article tous les morceaux de vie que Lino évoque et qui font partie de sa collection. J’ai le sentiment qu’il a surtout collectionné les rencontres avec les grands champions qu’il a toujours admiré. Il fait revivre dans le récit de ses anecdotes les champions qui ont fait la gloire du vélo dans ce siècle de souvenirs.
Il y a là les maillots des anciens champions locaux : Louis Rostollan, Pierre Gautier, … « Le maillot de Vietto, c’est sa femme qui me l’a donné… », m’explique Lino qui possède également une selle magnifique en cuir ayant appartenu à « l’homme de bronze » comme l’avait baptisé Raphaël Géminiani.
« Ça c’est des vraies plaques cadre qui ont fait le Tour de France … », me dit-il en me montrant ces bouts de plaques métalliques rouillées et peintes à la main.
Les vélos sont restés dans leur jus, les griffures, les éclats, les points de rouille, sont autant de rides qui témoignent du vécu de ces vélos anciens. Mais rassurez-vous un coup de pompe à pied dans les boyaux et les vélos reprennent la route comme à la grande époque. Il faudra juste avoir le coup pédale vigoureux, comme celui de Lino, pour tirer les braquets des anciens, qu’Albert Londres appelait « les forçats de la route ».
Le musée de Bédoin
En 2015 la collection de Lino était venue s’installer à Bédoin dans l’ancienne caserne des pompiers. C’est là qu’Eddy Merckx est passé, comme plein d’autres cyclistes anciens professionnels, amateurs, passionnés ou simplement curieux, pour découvrir dans ce lieu 100 ans de l’histoire du vélo. Le musée a été fermé pour cause de travaux, et la collection est revenue chez Lino en attendant peut-être un jour de trouver un espace qui saura la mettre en valeur. La crainte que l’on peut légitimement avoir avec ces grandes collections privées c’est d’assurer leur pérennité dans leur intégralité. Espérons qu’un jour Lino trouvera un endroit digne d’accueillir ses nombreuses merveilles. Si des mécènes passionnés de vélo lisent ces quelques lignes, il faudrait qu’ils se manifestent car c’est une partie de notre patrimoine vélo qui est entassé chez Lino.
Quelques bijoux de la collection
Ce Sauvage-Lejeune piste possède un cadre soudé par Bernard Carré dans le début des années 1960. On reconnaît le montage caractéristique de ce cadreur avec les haubans noués autour du haut du tube de selle. La fourche est inversée pour que le vélo soit le plus près possible du rouleau, à l’abri de la moto pour rouler à 80 km/h. Il est équipé d’un braquet énorme : 68 x 14. Pour renforcer la fourche et la selle, des tiges en métal les relient au cadre. Ce Sauvage-Lejeune a appartenu à l’entraîneur de Lino à Cavaillon lorsqu’il avait 14 ans. Ce n’était autre que Louis Delpiano, qui a gagné plus de 200 courses et battu Bobet, Darrigade dans les critériums de l’époque. Il a offert plusieurs de ses vélos à Lino.
Derny est le nom d’une marque créée par un ancien constructeur français de motos légères qui s’appelait Roger Derny. Comme celui de Frigidaire, le nom du créateur du produit est devenu un nom commun ; plus tard les mêmes engins, fabriqués pourtant par Burdin, ont également été baptisés Derny. La fameuse course Bordeaux – Paris était partiellement courue derrière « Derny » et le talent du pilote de l’engin avait une part très importante dans la performance du duo avec son cycliste. Le Derny de Lino est le vélo d’entraînement de Georges Chappe, le « rouleur » marseillais champion du monde de contre-la-montre sur 100 km par équipes en 1963. Il appartenait à René Bertrand qui organisait les Gentlemen de l’Amitié et du Souvenir avec les anciennes gloires du vélo qui l’a cédé à Lino.
Le vélo de Lino. Il était endormi dans le grenier d’un « papet » et maintenant il grimpe toujours le Ventoux, animé par le jarret vif de Lino. Il l’utilise régulièrement pour les animations « vintage ». C’est un Automoto avec ses 2 bidons fixés au cintre et une superbe selle Idéale qui semble aussi confortable qu’un vieux Chesterfield. Équipé d’un plateau de 44 dents, d’un braquet de 18 dents et d’un 22 lorsqu’il retourne la roue pour faire monter les 13 kg du vélo en haut des bosses.
Le vélo de Louison Bobet avec son cadre orange et son logo Stella écrit en lettres gothiques, ce vélo est caractéristique de la marque nantaise qui a accompagné les premiers succès de Louison Bobet. En fin de saison les vélos des pros étaient vendus à des particuliers qui les avaient réservés. Celui-ci a été acheté par Guy Leydet qui l’a offert ensuite à Lino. Il a appartenu à Louison en 1950 et son dérailleur Huret porte la signature du champion. Remarquez les doubles manettes de changement de vitesses : un câble pour monter un autre pour descendre la chaîne sur la roue libre.
Les vélos de Merckx, Poulidor, Thévenet, Saroni, … sont présents dans ce musée. Ce ne sont pas toujours les vélos personnels de ces champions mais des vélos ayant appartenus à l’époque à des co-équipiers ou des coureurs nationaux. Celui de « Poupou » est marqué de son nom, on peut imaginer qu’il a roulé avec. Le Colnago de Saroni était un cadre bien à lui, récupéré par le magasin Colnago de Cavaillon. Ces vélos illustrent cette fabuleuse époque du « tout Campa » monté sur des cadres acier en 5 dixièmes d’épaisseur. Le vélo Peugeot jouait la carte du « tout français » avec son groupe « gold » Simplex et son pédalier Stronglight.
Éric Caritoux, né à Carpentras, non loin de Cavaillon, a été un généreux donateur pour Lino. Ce très bon grimpeur, vainqueur du Tour d’Espagne et double champion de France, a légué au musée de Lino quelques belles pièces comme ce vélo RMO Gitane avec lequel il a couru en 1992. Ce vélo, équipé « full Mavic » illustre le dernier baroud des marques françaises face à la montée en puissance de la concurrence étrangère. Lino possède également l’un des maillots de champion de France de Caritoux qui a remporté par deux fois le championnat en 1988 et 1989.
Les maillots
Il y a chez Lino un véritable « magasin » de maillots de vélo de toutes les époques. Les plus vieux, en laine, ont été appréciés par les mites mais Lino les garde dans leur jus comme ses vélos. La plupart ne sont pas anonymes car ils portent la dédicace de grands champions : le maillot à pois de Virenque, le Molteni d’Eddy, le Peugeot de Thévenet, Saroni, Caritoux, Hinault, De Vlaeminck, … la liste est longue .
Le cabinet de curiosité de Lino
Le dérailleur modèle Paris – Roubaix de Campagnolo au début des années 50. Il était fixé sur le hauban arrière et associé au serrage de la roue … Le coureur devait basculer la manette pour faire glisser la chaîne sur un autre pignon.
Entraînement par arbre et engrenage … un antique montage car à l’époque on rêvait, comme maintenant, de se passer d’une chaîne toujours pleine de graisse.
Avant l’électricité on montait des lanternes sur les vélos qu’il fallait allumer pour rouler la nuit.
Un vélo qui avance même quand vous pédalez en arrière … Avec ce vélo Hirondelle de Manufrance, équipé du système « retrodirect », Lino épate les gens sur le marché de Cavaillon.
En 1937 certains vélos ne pesaient que 10 kg comme ce Diamant qui semble éternel.
Les plaques de cadres anciennes sont de véritables œuvres d’art. Les noms de ces marques, pour la plupart disparues, font rêver.