Une sorte de mal insidieux s’est installé en France. Je ne veux pas parler du Covid-19, mais d’une fâcheuse tendance appropriative généralisée qui aboutit aujourd’hui à la disparition de 200 000 km de chemins ruraux sur les 60 dernières année. Notre pratique du gravel fureteur nous amène à constater régulièrement le phénomène de cette accaparation sauvage de notre héritage commun. Remembrement des parcelles agricoles, privatisation de passages par les riverains, absence d’entretien, perte d’usage, ventes par la commune, … toutes ces raisons expliquent ce triste constat.
La France a abandonné ses petites voies ferrées (c’est un autre débat), en ferait-elle de même avec ses chemins ruraux ?
On colle un panneau « Propriété Privée », on tend une chaîne en travers du chemin. On érige plus tard 2 poteaux de part et d’autre et enfin, et comme personne n’est venu râler, on fini par mettre un portail. Personne n’ira vérifier. On installe un golf 18 trous au milieu d’un chemin et la Mairie détourne le regard car un golf c’est bon pour le tourisme et pour l’emploi.
Le propriétaire d’une maison isolée ne voulant plus voir passer les promeneurs érigera des obstacles pour barrer un passage. Il pourra ainsi créer le renoncement et tranquillement il annexera le petit chemin voisin. Au guidon de nos vélos nous constatons cette dérive progressive, mais comment lutter contre ce phénomène. Il ne faut pas compter sur les services municipaux, qui répondent avoir d’autres tâches à traiter, d’autant que parfois ces appropriations parfois les arrangent.
Cet exemple est révélateur d’emprise par un “privé” sur le bien public ayant une valeur patrimoniale : Le long chemin des Plaideurs, autrefois, permettait aux justiciables d’Eguilles d’aller à pied jusque chez le juge de paix à Aix-en-Provence ; la Constitution de 1790 veut qu’il y ait un juge de paix dans chaque arrondissement. D’après le cadastre, il est toujours ininterrompu entre les Granettes et Aix-Saint-Mitre ; et pourtant, sur le terrain, il est barré de chaque côté du golf pour qu’on ne se prenne pas une balle dans la tête. Quel dommage de n’avoir su préserver ce charmant sentier de promenade…
Mais comme le dit Eric Garnier, du Parc naturel régional du Luberon … « Quand on dit que ces chemins sont grignotés sauvagement, ce n’est pas que sauvagement : c’est ça le problème ; ils sont même institutionnellement grignotés. Il me semble même qu’il y a plus de disparitions “officielles” que de disparitions sauvages ».
Que dit la loi ?
Selon les dispositions de l’article L. 161-1 du code rural, les chemins ruraux sont des chemins appartenant aux communes, affectés à l’usage du public, qui n’ont pas été classés comme voies communales. Ces chemins appartiennent au domaine privé des communes.
Bien que ce code rural les affecte à l’usage public, dans les faits la loi prévoit qu’ils peuvent être légitimement revendiqués par des particuliers, dès lors qu’ils peuvent prouver l’avoir occupé – tout à fait illégalement – depuis plus de 30 ans ! Il reste néanmoins un acte à faire pour l’acquisition officielle. La Mairie, ne pouvant les entretenir, peut également décider de les vendre. Elle peut tout à fait le faire, car ce chemin rural est sa propriété et son usage est ouvert ou fermé au public. La commune peut décider ce qu’elle veut quand à la destination de ce chemin.
« Si, toutefois, le chemin est utile à la circulation du public, et qu’il est fait obstacle à cette circulation, tout usager peut solliciter du maire qu’il fasse usage des pouvoirs d’urgence qu’il détient en vertu de l’article D. 161-11 du code rural et de la pêche maritime pour faire cesser un tel obstacle. Le refus d’user de ces pouvoirs est un acte détachable de la gestion du chemin qui peut être contesté devant les juridictions administratives (Tribunal des conflits, 8 novembre 1982, Lewis et autres, n° 02252). Si, en revanche, le chemin n’est plus utile à la circulation du public et n’est donc pas utilisé comme voie de passage, aucun texte ne s’oppose à ce que ce chemin soit cédé aux riverains dudit chemin. Les modalités d’aliénation des chemins ruraux non inscrits au plan départemental des itinéraires de promenade et de randonnée sont prévues par les articles L. 161-10 et L. 161-10-1 du code rural et de la pêche maritime. Cette aliénation ne peut intervenir que lorsque ces chemins cessent d’être affectés à l’usage du public. La vente d’un chemin rural peut être décidée par délibération du conseil municipal, après enquête publique relevant du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique et mise en demeure des propriétaires riverains d’acquérir le chemin, à moins que les intéressés groupés en association syndicale n’aient demandé à se charger de son entretien. Cette délibération pourra elle-même être contestée devant la juridiction administrative qui vérifiera notamment que le chemin cesse d’être affecté à l’usage du public (CE, 3 décembre 2012, n° 344407 aux Tables). La législation paraît ainsi assurer une protection suffisante des droits des utilisateurs des chemins ruraux.»
Article L161-10 du code rural : Lorsqu’un chemin rural cesse d’être affecté à l’usage du public, la vente peut être décidée après enquête par le conseil municipal, à moins que les intéressés groupés en association syndicale conformément à l’article L. 161-11 n’aient demandé à se charger de l’entretien dans les deux mois qui suivent l’ouverture de l’enquête.
Cas particulier des DFCI
Les voies de défense des forêts contre l’incendie (appelées fréquemment pistes DFCI) ont pour objet de permettre la circulation des véhicules et personnels chargés de la prévention et de la lutte contre les incendies de forêt à l’intérieur des massifs forestiers afin d’en assurer la protection.
Leurs existences résultent d’accords passés avec les propriétaires (privés ou communes), le passage qui en résulte (ou la voie) prend le statut de voie spécialisée non ouverte à la circulation publique. Elle est exclusivement réservée à la circulation des services bénéficiaires et au propriétaire du fonds et à ses ayants droit, sous réserve pour ces derniers de ne pas gêner l’affectation de la voie : elle n’est en aucun cas affectée à un usage touristique, les propriétaires riverains ne peuvent pas jouir des aisances de voirie, c’est-à-dire droit d’accès directs, sauf autorisations réglementaires.
L’interdiction de circuler sur les pistes DFCI est matérialisée par des barrières à chaque issue des voies (dont les clés sont détenues par les bénéficiaires de la servitude) ou encore par des panneaux de signalisation explicites et visibles.
Lorsqu’une piste DFCI emprunte un chemin rural, le chemin rural conserve son statut juridique (même s’il est élargi pour l’exercice de la servitude) et ne peut être interdit à la circulation publique (sauf dispositions prévues par l’arrêté préfectoral en période de risque).
Entre raisons valables et appropriations sauvages
Il y a sans doute des raisons valables dans certains cas, et le territoire français appartient aussi à ceux qui travaillent de la terre. Nos chemins ne doivent pas devenir exclusivement des pistes de balades sur un territoire français qui deviendrait un vaste parc de loisirs. Entre les nécessités liées à l’agriculture et à l’élevage et celle du maintien d’un patrimoine historique il y a une juste milieu à trouver.
En s’appropriant, petit à petit, les chemins ruraux qui jouxtent leurs propriétés, les propriétaires fonciers contribuent à détruire une certaine biodiversité. Dans la majorité des cas, les chemins sont transformés en terres agricoles ou confisqués par des particuliers gênés par le passage des promeneurs à proximité de leur domaine. Ces chemins ruraux pourtant appartiennent aux communes.
« Cette disparition, en plus d’être regrettable pour les promeneurs, participe activement au massacre de nos bocages, autrefois sillonnés de haies, mais qui sont désormais rasées… Au détriment de la biodiversité » regrette Jacky Boucaret, porte-parole de l’association Vie et Paysages et du collectif « Chemins en danger » qui associe des dizaines d’associations d’usagers des chemins ruraux.
Que faire ?…
Le grand danger de tout cela c’est qu’il n’y a pas de système d’alerte efficace. Le transfert de propriété peut se faire en catimini entre la commune et son nouveau propriétaire. L’affichage sera fait en petits caractères sur un panneau d’affichage municipal que personne ne regarde et la période de recours épuisée, l’affaire sera légalement emballée.
Eric Garnier me précise également une chose importante en cas de contestation « Il faut vérifier que le chemin est inscrit au Plan Départemental des Itinéraires de Promenade et de Randonnée (PDIPR). C’est un réseau de chemins ouverts, même aux VTT. Ces chemins ne changent pas de statut : si c’est un chemin rural il restera un chemin rural. La commune confirmera sa destination de chemin de randonnée ». Cette inscription confère à ce chemin un statut particulier car en cas d’affectation différente (création à sa place d’une route, d’un lotissement, …) la commune devra trouver un itinéraire de substitution à valeur équivalente.
Chacun doit se mobiliser soit dans le cadre associatif, soit individuellement : ouvrez l’oeil …
Il y a une pétition en ligne qui approche aujourd’hui les 30 000 signatures à laquelle vous pouvez apporter votre soutien https://www.citizaction.fr/petition/halte-a-la-confiscation-des-chemins-champetres/#story
Pour les cyclistes amateurs de VTT et de gravel vous pouvez également adhérer à Mountain Bikers Foundation | mbf-france qui est une association qui a pour but de défendre les intérêts des vététistes (et bien sûr des pratiquants du gravel) et de promouvoir la pratique d’un cyclisme en nature durable et responsable.
J’en ai en effet marre de me retrouver avec des bouts de chemin qui disparaissent, ne sachant pas comment rejoindre l’autre bout.
Coupé par du grillage, des friches…. Soit disant propriété privée…
Ces chemins ruraux sont peu importants pour la masse des déplacements automobiles qui empruntent les routes principales. Mais d’autant plus important pour le groupe des déplacements “minoritaires” que représentent les cyclistes (aussi les randonneurs, piétons et cavaliers). Ce second groupe se voit parfois emprunter les petits sentiers car il est “éjecté” des routes principales où le trafic est telle qu’il n’est plus possible de l’emprunter à vélo sans risque (d’où l’émergence d’ailleurs du gravel dans certaines régions).
D’un côté on éjecte les cyclistes des routes principales à cause du trafic non maîtrisé et d’une culture qui ne prête pas attention aux vélos. Et d’un autre on condamne les chemins ruraux.
A terme, c’est donc la liberté même de se déplacer avec un autre moyen qu’une automobile qui est menacée.
C’est là où un projet comme OpenStreetMap (cartographie collaborative) prend tous son sens. Car il donne la possibilité à tout un chacun de cartographier les chemins existants et ouverts à un moment donné.
Les cartes OpenStreetMap sont utilisés par beaucoup d’appli smartphone et GPS (Garmin offre cette possibilité par exemple). Cela permet que ces chemins soient plus facilement empruntés et connus par d’autres. Ainsi il devient plus difficile de les condamner discrètement.
A ce propos, je ne peux qu’encourager les cyclistes à utiliser OpenStreetMap (sur smartphone l’appli Osmand est une bonne porte d’entrée) et à participer à la cartographie. La qualité des cartes y est déjà, souvent, excellente.
C’est clair c’est inadmissible !
Pétition signée
Dans ma commune y’a un endroit où le chemin fini justement sur un champ ! et encore je n’ai que cet exemple en tête, ce n’est peut être pas le seul.
Bonjour
Vous résumer très bien la disparition des chemins ruraux.
Notre association Les Chemins de Traverse 53 travail depuis 2017 à la préservation des chemins ruraux ainsi que des haies des environs.
En Mayenne 53 nous avons un véritable carnage 32 destructions constatés sur nos chemins ruraux ce qui représentent 6 273 m de haies détruites.
Le 4 mai 2020 le préfet de la Mayenne rappel aux Maires leurs obligations de Police du Maire.
Protéger vos haies qui bordent vos chemins vous protéger le Chemin, utiliser les chemins non balisés leurs fréquentations les protègent, signaler à vos élus les entraves et dégradations constatés.
Comme nous créé une association de préservation de chemins ruraux par département.
Association Les Chemins de Traverse 53
LCDT-53 Site http://lcdt-53.e-monsite.com/
Je soutiens tout à fait et dans l’ensemble le maintien des chemins ruraux et la résistance à l’appropriation abusive par des privés de chemins communaux.
Cependant, il faut aussi être réaliste. Même avec une pratique en fort développement du VTT et maintenant du gravel, l’ensemble du maillage du territoire de 80 ou 50 ans ne peut pas être utilisé et donc entretenu (les communes ont l’obligation d’entretenir ces chemins). Le passage de randonneurs ou VTTistes est la plupart du temps concentré sur certains itinéraires, le plus souvent balisés. En dehors de cela, il n’y a vraiment pas grand monde et exiger qu’une commune dépense de l’argent pour maintenir des chemins qui n’ont plus d’utilité agricole ou pastorale, juste pour les loisirs n’est pas possible.
Je suis contrôleur terrain pour le ministère de l’agriculture et donc mon boulot c’est d’aller vérifier tout ça sur place, y compris l’usage de zones entières boisées déclarées comme étant réellement pâturées (les éleveurs touchent des aides pour cela). Donc j’estime être parfaitement placé pour juger d’une situation réelle et aussi à grande échelle. Je suis par ailleurs ornithologue naturaliste donc en même temps sensible à la biodiversité et à la préservation des écosystèmes.
La réalité qu’on entend jamais est que la nature, dans de très grandes régions, reprend ses droits massivement. Il y a infiniment plus de chemins ruraux qui perdent leur usage par manque d’entretien et de passage que par appropriation. Les haies de toute la France sont répertoriées sur le référentiel terrain du ministère de l’agriculture et il est interdit de les supprimer. De même pour les bosquets, les agriculteurs touchent des aides sur ces surfaces comme s’ils les exploitaient et donc n’ont pas intérêt à les supprimer puisqu’ils touchent de l’argent dessus comme sur les surfaces adjacentes sans avoir besoin de les travailler (et ils risquent des amendes si ils les suppriment sans autorisation). Ces dispositions de la PAC existent car les politiques que nous élisons et qu’on critique très souvent, ont donné un rôle aux agriculteurs d’entretenir les paysages. Nous les payons pour ça avec nos impôts. Il faut aussi se souvenir que lorsque le code rural a été écrit, il visait à encadrer l’usage des campagnes pour l’exploitation du territoire par les gens qui y travaillaient, pas ceux qui en faisait un usage pour des loisirs qui n’existaient quasiment pas dans leur forme de sports outdoors que nous connaissons. En gros, il servait à réglementer les relations entre agriculteurs, fermiers ou propriétaires, dans un contexte où les conflits étaient permanents entre voisins, pour des questions de passage de troupeaux etc. Les chemins ruraux anciens étaient aux gabarits de déplacement à pieds ou très petits véhicules à traction animale. Donc la très grande majorité de ces chemins ruraux ne sont plus du tout utilisables dans les régions de grandes cultures agricoles. Ils n’ont donc plus vraiment de raison d’être. Sauf pour les loisirs… Qui n’est pas leur usage original.
Contrairement aux idées reçues, la France est en cours de reforestation massive depuis le 19ème siècle. Elle recouvre plus de surface que jamais dans son histoire. Ceci ne concerne pas seulement les massifs forestiers identifiés comme tels mais aussi de grandes zones autrefois cultivées ou pâturées mais aujourd’hui très peu peuplées avec des milliers d’exploitations qui s’arrêtent sans personne pour reprendre. Dans ces endroits, il y a bien plus d’habitat nouveau pour les oiseaux que de haies supprimées dans toute la France.
Le problème existe néanmoins. Il est localisé dasn les régions où l’agriculture est la plus développée et mécanisée. Donc il faut évidemment rester vigilant et les associations mentionnées font sûrement un bon boulot. Mais si on veut être efficace dans les luttes, il faut aussi savoir être précis et factuel. Ne pas raconter n’importe quoi. Ne pas jouer les citadins qui viennent emmerder les ruraux sans connaitre leur monde et leurs contraintes, en utilisant des arguments écran (perte d’habitats) alors qu’en fait ils ne défendent que leur terrain de jeu pour lequel, soi dit en passant, ils ne veulent rien payer car ils habitent souvent hors de la commune en question. En bref, choisir ses batailles et les mener en étant mesuré et à l’écoute. Bien préparé. Ne pas en faire des questions politiques globales et des questions de principe.
Cet article est très juste et mesuré, je trouve. J’ai juste tenté d’apporter des éléments de contexte utiles, j’espère, à la compréhension globale de la question.
Merci pour ce commentaire très intéressant. J’aimerais en lire beaucoup de ce même niveau de pertinence. Il apporte un éclairage réaliste de la situation. Je l’avais sans doute pas assez souligné dans l’article. Il faut défendre ce qui doit l’être et notamment les chemins qui ont du sens historique et de l’usage. Nos vélos fureteurs vont remettre à jour des tracés qui existaient autrefois et nous allons redécouvrir notre France en la visitant par les “coulisses”.