Les “sacochards” d’autrefois auraient-ils raison de crier au sacrilège, devant le succès croissant du bikepacking ? Conflit de génération, divergence de point de vue, guerre de religion… nous voilà dans un débat sans fin dans lequel, comme d’habitude, la vérité n’est pas unique. Ce bikepacking, serait-il aussi juvénile qu’il le parait ? J’entends à son sujet souvent ce refrain : “Ils n’ont rien inventé… !” Effectivement, j’ai pu le vérifier en partant à la recherche de l’origine de l’invention. Je pensais, comme j’avais pu le lire parfois, que la naissance du concept était datée du début des années 2000. Mauvaise pioche ! Les sacoches, qu’on agrippe au cadre du vélo, sont apparues au 19ème siècle, elles ne portaient pas alors le nom de bikepacking, mais la ressemblance était frappante (photo de couve VAUDE Christoph Laue).
Lorsque l’archéologie “sacochière” nous emmène loin…
Partons faire un tour dans le passé, à l’époque où le porte-bagage n’avait pas encore été inventé. Sur la photo ci-dessus (datant de 1887), ces premiers cyclos muletiers, n’avaient pas de sacoches latérales sur leurs vélos. Leur barda était fixé sur le guidon comme certaines de nos sacoches actuelles.
Le bikepacking actuel est un retour aux sources. La “sacoche de cadre”, remise actuellement au goût du jour, existait bien avant les sacoches de mes amis cyclotouristes des années 60. On en trouve sa trace dans la “Bible” du vélo qu’était autrefois le catalogue de Manufrance. Sur le descriptif, figurant dans l’image ci-dessous, on note que ce système de portage est baptisé “Valise de voyage”, un terme bien désuet par rapport au moderne bikepacking.
Jeantin Raynaud est étudiant en master d’histoire. Lors de ses recherches historiques il a découvert ce document qu’il a partagé sur le groupe facebook Bikepacking France. Sur ce catalogue, daté de 1896, de la Manufacture française d’Armes et de Cycles de Saint-Etienne (Manufrance), on découvre des sacoches qui sont les ancêtres de ce que les “marketeurs” ont appelé depuis le bikepacking.
On pourra dire que le bikepacking vient quand même des US, si on se réfère à la fantastique épopée au 19ème siècle des Buffalo Soldiers, qui allait également préfigurer l’ultra biking. Les 20 soldats des Buffalo Soldiers ont effectué à vélo les 1900 milles séparant le fort Missoula au Montana et Saint-Louis dans le Missouri. Ces hommes du 25ème régiment d’infanterie transportaient leurs propres rations, ustensiles de cuisine, couverture, tente et des pièces supplémentaires pour les réparations nécessaires ainsi que des pneus de rechange.
L’armée Suisse a été dotée de vélo à la fin du 19ème siècle. Le célèbre vélo d’ordonnance 05 est apparu en 1905 et vous constaterez qu’il était équipé lui aussi d’une sacoche de cadre, à faire pâlir d’envie nos bikepackers contemporains.
À chacun son histoire
Pour sortir des discours “d’anciens combattants”, il faudrait plutôt observer ce qui est nouveau dans notre façon d’utiliser des sacoches sur nos vélos. Qu’elles s’accrochent ou se scratchent, qu’elles soient faites de toile ou de Cordura : peu importe… Nous voilà, une fois de plus, ramené à la différence qui existe entre le flacon et son contenu.
C’est en prenant un café un matin avec mon ami Jean, que l’idée de cet article est née (sa présence dans la rubrique sur le Zinc est donc vraiment justifiée). Nous avons échangé sur le thème : sacoches classiques versus bikepacking. Jean, à la grande époque où il pratiquait le cyclotourisme en famille, bourrait dans ses sacoches, qui pendaient de chaque côté de sa roue avant et de sa roue arrière, de quoi bivouaquer. En plus du réchaud et des gamelles, il y avait également les conserves et les victuailles. C’était bien sûr le meilleur moyen de transporter tout ça, pour avoir une autonomie suffisante.
Le coeur léger et le bagage mince
Le cyclotourisme Version 2.0 ne se résume pas à une histoire de sacoche. Peu importe les mots, leurs traductions et les histoires de sémantique. On pourrait se croire dans un conte pour enfants : le baiser de l’aventure sur la sacoche de bikepacking de notre gravel, un peu crapaud, a bouleversé le petit monde endormi du voyage à vélo. Le contexte a changé, et l’aventure à vélo est devenue protéiforme. Quoi de mieux que le vélo pour partir en pleine nature en totale liberté et autonomie énergétique, avec à la clé le sentiment de vivre une réelle aventure.
Sur Bike Café, nous affirmons que le vélo est une aventure, et celle-ci deviendra plus piquante au moment où vous sortirez de votre zone de confort. Il n’y a pas d’échelle de valeur de l’aventure entre un petit week-end passé à vélo sur de petites routes en France, et une traversée de l’Amérique du Sud qui prendra de nombreux jours. Le choix des vélos, des équipements, des outils de navigation… est aujourd’hui pléthorique. Les sacoches de bikepacking ont favorisé le développement de micro aventures. Rien de plus simple que de scratcher quelques sacoches sur votre vélo du quotidien pour partir au gré de vos envies. Le “litrage” de ces contenants fixera leur limite et les bonnes sacoches, qui pendent de part et d’autre des roues, existent encore pour le bonheur des voyageurs au long cours qui visent une totale autonomie.
Pas d’hésitation, lancez-vous sur les routes ou les pistes. Nous vous avons préparé un “Guide du packpacking” qui pourra vous aider à choisir le bon équipement. L’aventure est à votre portée, et peu importe la sacoche pourvu que vous ayez l’ivresse.
- Bikepacking : la longue histoire du cyclotourisme 2.0 Article d’Olivier sur Cyclable que je vous conseille de lire.
Merci Patrick. Tu as l’art de relier des mondes et surtout les gens ; et de mettre l’essentiel au centre du village : partir à vélo pour son aventure !
J’espère que l’opposition entre modernes et anciens, cyclotouristes et graveleux, sacoches sur porte-bagages et sacoche de cadre, jeunes et vieux, etc. est définitivement derrière nous. En tous cas tu y contribues de très belle manière. Ce sont les marketeurs qui ont causé tout ça car pour vendre le bikepacking et le gravel, ils ont pensé qu’il fallait nécessairement créer une rupture et souvent même une opposition avec ce qui existait (la nouveauté, ça fait vendre). Désormais, ces pratiques sont suffisamment bien installées sur le marché et le terrain pour que les marques n’aient plus besoin de commencer par se positionner sur “une nouvelle pratique du vélo venue des USA”, “à ne surtout pas confondre avec le cyclotourisme de papi”.
Ca fait plaisir de lire sous ta belle plume et avec de belles références iconographiques ce que plusieurs pratiquants de longue date de ce type de découverte à vélo essayons juste de dire depuis des années : gravel et bikepacking sont une belle étape nouvelle dans la longue histoire du vélo. Il y a beaucoup plus d’avantages à le voir comme cela qu’en “rupture” sociologique. En commençant par s’intéresser aux anciennes solutions qui peuvent être revisitées à l’aune de nouveaux matériaux et nouvelles techniques. Je trouve personnellement super de voir comment la jeune génération a fait preuve de créativité pour trouver de nouvelles solutions et mêmes de nouvelles esthétiques. Je ne suis pas un ours, même si les excès me dérangent, je vois bien le monde réel tel qu’il est, que les pratiques actuelles ont besoin de marqueurs matérialistes et des techniques marketing pour se développer. On vit dans un monde paradoxal et ambivalent dans lesquels même les jeunes les plus engagés sur des questions environnementales sont aussi totalement impliqués dans des comportements fondamentalement consuméristes. Gravel, trail etc. Faire partie d’une tribu c’est souvent avant tout consommer comme cette tribu.
Merci Vince pour la belle plume 😉 … En fait cet article est la rencontre de l’image publiée par Jeantin Raynaud (comme quoi il n’y pas que de c … sur fb) et l’écriture toute chaude d’un petit guide sur le Week-End aventure à vélo co-écrit avec mon copain Dan de Rosilles qui va paraître le 15 avril dans toutes les librairies et la distribution. Ce n’est peut-être pas un rupture sociologique mais une évolution … Affaire à suivre sur ce sujet inépuisable.