La lecture du livre de Juliana Buhring “Tracer sa route” m’a fait réfléchir aux réactions des derniers machos des pelotons face aux performances des femmes. Si l’homme d’aujourd’hui admet volontiers que les femmes à vélo c’est super chouette, certains (même parmi les jeunes) pensent encore « à condition qu’elles soient derrière ! ». Les exploits féminins étonnent : c’est pas possible, il y a un truc ! De quelle planète viennent-elles ? Peut-être de Vénus ! Se faire devancer par une “nana” dans une épreuve cycliste ou simplement se faire déposer dans une bosse, est difficilement admissible pour beaucoup d’hommes. (photo de Bikepacking.com) Lael Wilcox sur la Trans-Am parcourt en moyenne 378 kilomètres par jour pendant 18 jours.
Certains ont mal digéré, par exemple, les performances de Lael Wilcox qui a remporté la Trans-Am Bike Race en 2016, puis celle de Fiona Kolbinger, qui termine première de la Transcontinental Race en 2019, ou encore de Laurianne Plaçais sur le Bikingman X en 2022, arrivée largement devant tous les hommes. Juliana Buhring n’était pas en reste, car après un tour du monde record en 152 jours sur près de 30 000 km, elle a réalisé aussi de belles performances sur ces épreuves d’Ultra.
Le 25 juin 1894, à Boston devant les marches du palais du gouvernement de l’État du Massachusetts, Annie Cohen Kopchovsky, sans un centime en poche, avec pour tout bagage quelques vêtements de rechange et un revolver à manche de nacre, déclara devant une foule d’environ 500 personnes venues l’encourager, qu’elle est sur le point de partir pour faire le tour du monde sur sa bicyclette Columbia. (source Wikipédia). Au 19ème siècle, cette aventurière qui utilisera le sponsoring avant tout le monde, a mis 15 mois pour accomplir ce que Juliana a fait en 152 jours et sans revolver. À lire sur Geo pour en savoir plus…
Les temps changent, heureusement, et les femmes sont de plus en plus nombreuses à se mettre à faire du vélo. Le Tour de France féminin, qui s’est déroulé l’an dernier dans la foulée du Tour masculin, est une première étape vers un cyclisme moins genré. Cette année, j’ai suivi les courses flandriennes des femmes et je constate, comme pour le foot et le rugby, que les sportives féminines savent faire le spectacle. Pour ceux qui seraient passés à côté de l’info, Vicky Carbonneau a publié un livre “En danseuse” sur ces héroïnes, nous l’avions présenté en octobre 2022.
Là où il existe encore quelques problèmes, c’est lorsque les compétitions sont mixtes et que certaines femmes dament le pion aux hommes… Pour certains “superman de la pédale”, la pilule est dure à avaler. Ils vont jusqu’au déni total, en propageant même de sournoises allusions. Récemment Laurianne a même reçu un curieux message d’un des mauvais perdants du Bikingman X, l’accusant d’avoir utilisé une roue dynamo électrique pour battre les hommes. Il poussait même le bouchon jusqu’à lui dire “Tant que scientifiquement on ne me prouvera pas que ta performance est clean, je me poserais toujours des questions.” Fabuleux ! … En dirait-il autant de n’importe quel homme qui arrivera devant lui lors d’une course, équipé ou pas d’une roue dynamo …
On se souvient de la phrase de Laurent Fignon qui disait « Une femme sur un vélo, je ne trouve pas ça très esthétique. » ou encore Marc Madiot. qui avait sorti cette phrase hallucinante de son chapeau “Une femme sur un vélo, c’est moche !” Au premier cité, voici la cuisante réponse que lui avait envoyée Jeannie Longo : « Toi non plus, sur un vélo, je ne te trouve pas très esthétique. »
Elle n’avait pas tort ! Qu’en est-il de la misogynie primaire des “cyclards” qui voient arriver dans leurs pelotons des femmes qui ont un sacré coup de pédale ?
Ça vous dérange si je suis devant ?
Lorsque j’étais plus jeune, j’ai connu un couple avec qui je faisais du cyclotourisme dans mon club. La femme était venue au vélo par son mari, pour le suivre dans sa passion. Il aurait été footeux, elle aurait sans doute essayé… Elle a commencé sur les “vieux vélos” que son conjoint lui refilait, lorsque lui, il s’en achetait un nouveau. Elle roulait aussi avec ses anciens maillots… Bref, vous voyez le tableau ! Surtout ne riez pas, c’était fin des années 70 début 80 et la liberté sociale de la femme était loin d’être acquise. Au bout de quelques mois, de sorties assidues, sur les routes du Vexin où nous nous entraînions, son coup de pédale souple et régulier faisait de plus en plus souffrir les plus aguerris du club. La sanction est venue lors d’un Brevet de Montagne dans le Velay-Vivarais. Elle s’est envolée sur les pentes des cols et elle a effacé les 4500 m de D+ de la journée, parfaitement à l’aise. Son mari a fini très loin et plutôt dans le dur. Moralité : l’année suivante il avait fait l’acquisition d’un tandem… peut-être pour être sûr qu’elle reste derrière.
Il y a 4 ans, j’ai croisé Fiona Kolbinger au départ du Paris-Brest-Paris 2019. Elle venait de remporter la Trans-Continental Race. Elle a gentiment répondu à Radio Cyclo qui l’a interviewée. Dans une simplicité extrême, elle explique qu’après son arrivée de la TCR à Brest et son retour à vélo vers Paris, elle a eu envie de refaire un aller-retour en Bretagne. Dans son discours empreint de malice, il n’y avait aucune gloriole, d’ailleurs elle a refusé les autres sollicitations médias cherchant plutôt à rester discrète. On imagine mal un homme refuser ainsi les sollicitations médiatiques.
L’an dernier, j’ai interviewé Laurianne Plaçais qui avait dominé sur le Bikingman X un sacré plateau de mecs bien entraînés. Certains fuyaient son regard à l’arrivée, se détournant même pour ne pas la féliciter. Étonné par ce comportement peu sportif, j’ai demandé à Lauriane comment elle avait vécu ça, elle m’a répondu “Ils ne devaient pas être contents de leur course, un homme aurait gagné, ça aurait été pareil…” Sympa Lauriane, mais je ne pense pas : ils seraient plutôt allés boire une bière avec le vainqueur. La suite l’a prouvée, puisque depuis les ragots vont bon train : tu leur fais peur !
Les pédaleurs viennent de Mars et les pédaleuses de Vénus
Ah les clichés ! Fin des années 2000, j’étais allé voir cette pièce à la mode dans un théâtre parisien : Les hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus… On était tous morts de rire dans la salle devant ce déballage de clichés sans aucun fondement, qui prévalaient à l’époque pour expliquer et même justifier nos différences. Plusieurs millions de spectateurs ont vu ce spectacle, qui n’a pas bouleversé les quotas dans les sphères politiques, ni au sein des entreprises. Vénus planète de l’amour et Mars la guerrière : une fatalité à l’échelle de l’influence des planètes…
Aujourd’hui, je ne suis pas persuadé que cet humour caricaturant nos particularités soit une bonne méthode pour faire progresser les mentalités, au contraire. Pas sûr d’ailleurs que ce qui différencie les hommes et les femmes soit de nature biologique ou astrale. Les explications sont plutôt à chercher du côté du fonctionnement de la société ou des théories religieuses qui peuvent s’additionner. J’ai constaté dans les quelques groupes cyclistes que j’ai tenté d’intégrer, qu’il reste encore du boulot. Je suis résolument pour la mixité des pelotons, il ne faut pas que le vélo devienne un mouvement féministe ou ne soit qu’une expression virile, basée sur le taux de testostérone. L’apport des femmes dans une sortie dominicale a un impact certain et remet en cause bon nombre de comportements. Les femmes cyclistes ne viennent pas de Vénus et nous les hommes, essayons de ne pas nous comporter en Martiens. Le vélo est aussi un moyen de faire évoluer la société.
C’est même tout au contraire une très bonne nouvelle que les femmes dament le pion aux hommes.
La force n’est plus la seule dominante. Comment pouvons-nous progresser ?
“Pas sûr d’ailleurs que ce qui différencie les hommes et les femmes soit de nature biologique ou astrale. Les explications sont plutôt à chercher du côté du fonctionnement de la société ou des théories religieuses qui peuvent s’additionner.”
On ne peut donc plus échapper à ce genre de commentaires, même sur un site sur le vélo. Quel bel exemple de politiquement correct !
Je n’arrive pas à comprendre cet entêtement à nier des évidences. Paradoxalement, je trouve que les nier c’est leur accorder indirectement du crédit. C’est contre-productif.
On se focalise sur le genre en voulant absolument nier les différences entre les sexes alors que le problème n’est pas l’argutie sur cette question (il suffit d’avoir plusieurs enfants dans les fratries et de voir les comportements avant qu’on puisse dire qu’ils ont été influencés) mais sur le fait qu’on se base sur ces différences pour établir des hiérarchies et aussi enfermer les gens dans des boites en créant des préjugés du style “parce que c’est une femme elle ne pourrait pas gagner”.
Là oui, c’est bien une question d’éducation : comment accepte-t-on la différence ? Cela vaut pour TOUTES choses humaines. Il n’y a qu’à voir comment sont regardées les familles qui accueillent la naissance d’un enfant trisomique en 2023 !
Ca n’est pas parce que des cons font des remarques stupides sur des femmes qui gagnent que
1) biologiquement il n’y a aucune différence entre hommes et femmes
2) les différences qui existent enferment tous les membres de ce groupe social dans les caractéristiques de ce groupe.
Pour moi la question n’est pas l’existence de différences mais pourquoi certains se fondent sur ces différences pour créer des hiérarchies
Je suis d’accord j’ai mal formulé cette phrase … on ne se relit jamais assez. Je voulais dire “Pas sûr d’ailleurs que ce qui fait la différence entre les hommes et les femmes soit de nature biologique ou astrale …”
Merci pour la précision. Elle change tout.
Vince … quand même une précision sur cet article. Le message que je souhaitais faire passer était justement ; que de façon générale, on met trop en avant ces différences biologiques hommes/femmes et même les différences en général. Du coup c’est presque une fatalité … Le fait de revendiquer qu’elles existent conforte les c…, comme celui cité dans l’article, qui va même jusqu’à demander une preuve scientifique que la victoire d’une femme sur des hommes (lui en particulier) est honnête. Bien sûr j’assume totalement, même sur un site de vélo (pourquoi pas là ?) mon propos – quand même en relation avec notre passion – qui pour moi n’a rien de politiquement correct. Je ne vise aucune élection 😉
Bonjour Patrick ,
Il est bien sûr tout à fait consternant que des “hommes” n’acceptent toujours pas que des femmes puissent les battre, quel que soit le terrain. Les situations désagréables, que ce soit les odieuses rumeurs concernant Laurianne Plaçais, ou bien le concurrent dépassé qui tente d’influencer Laël Wilcox pour qu’elle ne finisse pas devant lui, sont malheureusement légion.
Mais ramener cette question du mauvais perdant au seul problème du genre me semble une approche limitante, car qui n’a pas eu affaire un jour, sur la route, au travail, en compétition sportive, à un de ces hommes qui ne supporte pas de ne pas être “devant” ? Combien de fois dans leur enfance n’a -t-on pas seriner à tous ces petits mâles qu’ils ne devaient pas se laisser faire, se laisser battre, sous-entendu être inférieur ? Que leur avenir en dépendait, que la compétition serait forcément féroce et qu’ils devaient écraser la concurrence, quelle qu’elle soit ?
Il ne semble pas que la vraie question soit celle du genre -cf la problématique pour les compétitions où des trans-genres sont dans une autre catégorie que celle de leur naissance ou bien encore les jeunes femmes qui naissent et grandissent dans certains quartiers sensibles et qui adoptent les mêmes codes et les mêmes comportements délictuels que les hommes- mais bien plus celle de l’éducation.
Les petits humains élevés dans la différenciation du genre et la compétition ne peuvent ainsi qu’adopter une stratégie comportementale par l’élimination. La femme à la maison occupée avec les enfants en est une. Etre premier de la classe, premier à sauter à pieds joints du pont de la rivière Kwai, ou premier président de moins de 40 ans ou encore premier sur le podium en sont d’autres. Eliminer tout ce qui pourrait nous faire de l’ombre. Notre imaginaire est ainsi rempli de cette fausse corrélation entre la capacité et la force car c’est un raccourci utile dans un monde où les réflexes primitifs survivent par la faute de notre striatum – tuer le mammouth sans être tué soi-même – .
Les mammouths ont bien changé certes, mais ils occupent toujours notre imaginaire. Une race avec 25000 de D+, un Ultra de 400 km, un objectif de +120%, que sais-je encore, ils sont notre manière archaïque de voir le monde, d’assoir notre domination.
La force, heureusement, ne s’exprime pas que dans la capacité à soulever de la fonte ; elle est aussi dans la faculté à résister à la douleur, entre autres, et les femmes écrasent les hommes à plates coutures dans ce domaine par le simple fait qu’elles nous ont enfanté depuis quelques générations déjà !
Oui, la mixité dans les pelotons est indéniablement bonne pour faire baisser le niveau de testostérone, et oui il faut bien évoquer (et sanctionner) les comportements sexistes basés sur le genre…pour qu’un jour ma fille encore mineure, et qui sait appuyer fort sur ses manivelles, puisse dépasser les lourdauds de la pédale sans se faire “mal regarder”.
Merci Delgato pour ta lecture de mon article … Bien sûr ces doutes sur la valeur des performances ne sont pas que des problèmes de genre. Néanmoins cette notion apparait comme pour justifier le refus de la réalité du fait que des femmes sont parfois devant des hommes qui trouvent qu’elles ne sont pas à leur place.
Patrick, c’est moi qui te remercie. Je n’aurais pas pu découvrir et offrir à ma fille et mon fils le livre de Juliana Buhring sans ton précédent article.
Merci Patrick pour cet article.
Merci à toi John de nous lire.
“Je suis résolument pour la mixité des pelotons, il ne faut pas que le vélo devienne un mouvement féministe ou ne soit qu’une expression virile, basée sur le taux de testostérone”
Traduction : “Surtout, les gars, ne vrillez pas féministes, on sait jamais, on pourrait devenir bienveillants…”
C’est une traduction comme un autre … à chacun son dictionnaire de traduction.
Laura,
Je ne comprends pas vraiment votre réaction. La notion de bienveillance(“Disposition favorable. Synonyme : bonté, charité, complaisance, compréhension, cordialité, générosité, gentillesse, indulgence, magnanimité, obligeance, sympathie, tolérance. – Littéraire : bénignité, clémence, débonnaireté, faveur, mansuétude.”) n’a rien à faire dans ce débat ; elle pourrait même être interprétée comme du sexisme de la part des plus radicales. Je crois que Patrick voulait simplement signifier que le plus grand progrès c’est quand tout le monde est sur un pied d’égalité, sans distinction de genre. Il ne s’agit pas d’être pour ou contre, il s’agit de permettre à chacun selon sa mesure et en toute neutralité, de participer à ce que bon lui semble. Et il y a du boulot ! Est-ce qu’il ne serait pas moins stérile de concentrer les efforts sur la volonté d’égalité, si chère à notre République ? Est-ce qu’il ne serait pas plus utile de faire en sorte que les instances fédérales du sport mettent en place des compétitions mixtes ?
De plus il existe plusieurs formes de féminisme, le plus radical n’étant pas forcément le plus efficace pour faire évoluer les mentalités. “Déconstruire” à tout crin n’a jamais permis de faire progresser. Au mieux, on croit y voir plus clair car les têtes sont tombées, au pire, on bascule dans l’obscurantisme des fanatiques.
Quel beau texte ! Tout est dit.
Bonjour
Très chouette texte (je suis un vieux cycliste mâle).
Je trouve génial que les filles dament le pion aux poilus, les courses d’endurance sont mixtes et les filles les gagnent de plus en plus, après Lael Wilcox, Isa Pulver a gagné la RAAM 2023 et au moment où je rédige ce commentaire, Nathalie Baillon est 19e sur 145 de la Silk Road Mountain Race (un truc de malade dans les montagne du Kyrgyzstan , pour donner une idée Sofiane Séhili est 7e).
Le mois dernier les filles du Tour Femmes ont beaucoup impressionné
L’égalité et une société apaisée ça passe par la fin du règne de la testostérone, et si ma fois du coup on se retrouve un peu derrière.. ben c’est la vie
Luc