Chanceux, j’ai pu visiter l’usine historique de Pirelli à Bollate, ainsi que son siège à Milan. Aussi, sensible aux sports mécaniques, j’ai redécouvert avec intérêt cette marque emblématique de l’Italie d’hier et d’aujourd’hui. Une découverte in situ, où la passion se mêle au pragmatisme industriel.
Pirelli : une histoire italienne bercée par le vélo
En 1872, le jeune ingénieur Giovanni Battista Pirelli fonde à 24 ans la société Pirelli & C à Milan. Comme d’autres concurrents actuels, Pirelli a fabriqué ses premiers pneus pour le monde du vélo avant celui de l’automobile. Ainsi, en 1895 eut lieu la première course de vélos organisée par Pirelli. Le parcours était Milan-Crémone-Brescia-Milan. L’épreuve était réservée aux seuls cyclistes qui montaient des pneus Pirelli. De cette époque, les cyclistes les plus célèbres étaient Narciso Pasta et Gilberto Marley.
Les vélos sortaient des ateliers Dei, Orio & Marchand, Maino, Atala, Frera et Ganna. Puis vint Legnano et son rival Bianchi. Dès lors, Pirelli a participé à toutes les grandes classiques, en équipant les vélos sur le Giro d’Italia ou encore le Milano-Sanremo. Et bien sûr, le Tour de France. Les pneus de la marque milanaise ont été utilisés au vélodrome de Sempione et plus tard sur la piste en bois de Milan en 1925 par Giuseppe Vigorelli. Dès le début des années 1920, Pirelli est apparu sur les roues des vélos et sur les maillots de champions tels que Costante Girardengo. Celui-ci a porté les couleurs de Bianchi, Stucchi et Wolsit à la victoire.
Puis vint l’ère de champions comme Alfredo Binda, Fausto Coppi et Gino Bartali. C’est ce même Alfredo Binda qui eut l’idée d’un Gran Premio Pirelli en 1949. Le Gran Premio Pirelli est rapidement devenu l’un des tremplins les plus importants pour les jeunes cyclistes qui aspiraient à se lancer dans la course professionnelle au milieu des années 1950. Celui-ci impliquait plus de 14 000 participants.
Il s’agissait d’un tournoi où ces jeunes passionnés s’affrontaient lors d’épreuves éliminatoires régionales pour accéder à la finale au Vélodrome Vigorelli. D’ailleurs, tous les records de l’heure cyclistes ont été battus dans ce vélodrome de 1935 à 1958, véritable temple du cyclisme à Milan.
Des années 1960 à la fin des années 1990, Pirelli a continué à être présent dans le secteur du cyclisme. Aujourd’hui, le fameux P-Zero est toujours synonyme de performance, et ce dans tous les sports mécaniques où Pirelli a apposé son empreinte. La vidéo qui suit retrace de façon artistique l’épopée de Pirelli dans le secteur du deux roues, qu’il soit motorisé ou musculaire (vidéo réalisée par la Fondazione Pirelli).
L’art, omniprésent chez Pirelli
En 1964, le service publicité révolutionne l’histoire de l’art contemporain à travers le calendrier Pirelli. Une icône de la communication d’entreprise et un objet culte pour les collectionneurs. « The Cal » laisse une marque indélébile sur le paysage culturel. Chaque année, il fait appel aux plus grands artistes : non seulement des sommités de la photographie comme Richard Avedon, Helmut Newton et Bruce Weber, mais aussi des icônes de la mode comme Karl Lagerfeld.
Là-dessus, chaque artiste se charge d’explorer et d’interpréter sa propre vision de la féminité, cœur iconographique du projet. La beauté féminine a évolué de diverses manières au fil des ans. Ainsi, le calendrier exprime les changements dans les goûts, les modes et les normes sociales, en véritable témoin de son époque.
« The Cal » trouve sa formule gagnante dans des photographes de renom, une qualité graphique de premier ordre, des décors naturels exotiques associés à une célébration de la beauté féminine.
Certes emblématique, l’art chez Pirelli ne se résume pas aux calendriers. L’art fait partie intégrante de l’histoire de la marque milanaise, au point d’en devenir indissociable. Aussi, le fabricant collabore avec les plus grands couturiers et a même proposé à une époque des imperméables mondains.
En cela, la Fondazione Pirelli en est le gardien. Les archives historiques de Pirelli séjournent dans un bâtiment qui jouxte le siège social de Milan. Celui-ci contient plus de quatre kilomètres de documents ! Depuis sa fondation en 1872, jusqu’à nos jours. Un patrimoine déclaré “bien culturel” par l’État italien, que visitent des milliers de personnes chaque année.
Ainsi, on peut découvrir les photographies, dessins et affiches, mais aussi le célèbre magazine Pirelli. Les archives comprennent évidemment des documents plus techniques, produits depuis plus de 150 ans.
Bollate, le berceau historique du Pirelli P-Zero
Pirelli est la seule entreprise au monde à produire des pneus de vélo en Italie à une échelle industrielle. Dans l’usine de Bollate, aux portes de Milan, naissent les modèles haut de gamme destinés aux vélos de route. Ils sont produits sur une ligne de production qui offre une qualité indéniable. C’est dans ce but que la plus récente ligne de production de pneus pour vélo a été inaugurée en 2022.
Nous savons tous que les pneus sont robustes. Néanmoins, dans le processus qui précède la vulcanisation, les composants sont délicats, à tel point qu’en les manipulant, on peut les endommager. Partant de ce fait, le meilleur processus de production est d’éviter le contact manuel et de rendre l’opération la plus automatisée possible. C’est précisément dans ce but que l’usine de Bollate a été optimisée.
La ligne de production consiste en un couloir central où le produit est assemblé. C’est là que naît le pneu fini, avec tous ses composants. Puis vient ensuite la vulcanisation.
Premièrement, les éléments fondamentaux de la carcasse sont les bandes de tissu et la qualité des composants. Pirelli connaît ces deux domaines grâce à l’expérience acquise dans la production de pneus hautes performances pour le sport automobile. Pour réaliser la carcasse, on utilise un tissu caoutchouté très fin (quelques dixièmes de millimètres), avec un motif en polyamide et éventuellement des garnitures en fibre d’aramide. Là-dessus, ces fibres passent par des machines qui les découpent à la largeur souhaitée. Vient ensuite la bande de roulement. Le composé chimique de cette bande de roulement arrive sous forme de tube. On obtient ainsi la bande de roulement qui, pour un pneu de route, prend la forme d’une demi-lune très fine. La finition de celle-ci est fondamentale car elle définit les performances intrinsèques du pneu.
Puis, l’assemblage est réalisé sur un moule autour duquel sont enroulés tous les composants du pneumatique. Le processus commence par la construction de la carcasse à laquelle est ajoutée la bande de roulement. Selon le modèle de pneu, d’autres composants s’ajoutent, tels que des renforts, des couches anti-crevaison ou d’étanchéité pour les pneus Tubeless Ready (TLR). L’ensemble du processus est automatisé et sécurisé, l’opérateur étant éloigné des machines de production. Ceci car le processus n’est pas exempt de danger potentiels pour la santé des opérateurs à proximité immédiate. À ce stade, le pneu est encore sous une forme délicate car il n’a pas encore été vulcanisé.
Cette dernière étape va venir fixer l’ensemble et le transformer afin qu’il soit dans sa forme la plus résistante. La vulcanisation transforme les composés de l’état plastique à l’état élastique, rendant ainsi le pneu uniforme et prêt à être monté. Elle est réalisée en prédisposant un pneu « brut » sur un dispositif équipé d’une presse. Cette opération se déroule de manière automatisée.
Dès lors, le produit fini est envoyé au contrôle qualité. En cela, certaines machines de contrôle sont d’ailleurs les mêmes que celles utilisées pour les pneus destinés aux sports automobiles. De ce point de vue, Pirelli est à l’avant-garde.
Le processus final de contrôle est néanmoins effectué manuellement et visuellement par des techniciens. Ces derniers vérifient l’état du pneu dans les moindres détails et écartent ceux qui présentent des imperfections (ceux-ci seront recyclés).
Les perspectives
De l’aveu des responsables, Pirelli souhaite rapatrier la production de certains pneus cycles à Bollate. C’est notamment le cas de pneus Gravel (que j’avais pu tester) et VTT qui sont encore majoritairement produits ailleurs, voire sous-traités en France. Pirelli vise une relocalisation dans ses locaux de Bollate à l’horizon fin 2025. Ce transfert sera simultané à une montée en gamme. Ceci afin de concurrencer directement les pneus Gravel les plus huppés du moment (René Herse, Hutchinson Racing Lab, etc.). Au regard de l’expérience acquise sur les produits P-Zero et de l’extrême contrôle qualité que j’ai pu constater sur le site de production, on peut se montrer confiant pour la marque milanaise.
Je retiendrai de cette visite la passion qui anime les collaborateurs que j’ai pu rencontrer. Mais aussi, et surtout, l’impartialité dans la production et le contrôle : le pneu de vélo a droit aux mêmes traitements et contrôles qu’un pneu destiné à équiper une Lamborghini.
C’est d’ailleurs probablement la principale force de Pirelli que de pouvoir avoir cette flexibilité d’emploi de leur personnel et de leurs machines. Passion et exigence semblent être le leitmotiv à Bollate. Je remercie le distributeur français, Royal Vélo France, pour cette visite chez Pirelli.
Site fabricant : Pirelli Cycling
Distributeur pour la France : Marques – Pirelli – ROYAL VELO FRANCE