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Histoire de vélo : le Barra de mon père

Voici dans ce deuxième épisode de notre série « Histoire de vélo », une destinée familiale en forme d’héritage, qui s’est installée dans le temps entre un père et son fils. Pour le gamin qu’était Alexandre, ce vélo de métal qui brillait, accroché dans le garage de la maison familiale, était un objet de désir : c’était un Barra. Il a dû attendre ses 55 ans pour pouvoir enfin rouler avec.

Les Cycles Barra

Après le sujet sur le suisse Jacques Mercet, revenons en France du côté de Saint-Ouen avec Nicolas Barra, un artisan qui a marqué l’histoire du cycle. C’est en 1934, que ce génial artisan se fait remarquer lors du premier « Concours de machines » créé par le Groupe montagnard français. Ce concours avait pour objectif d’encourager la diminution du poids des vélos au profit de la performance. Nicolas Barra a été le vainqueur de la première édition et, l’année suivante, il s’est encore distingué en étant premier ex-aequo avec André Reyhand. Jusqu’à la seconde guerre mondiale, et encore après, cet artiste du chalumeau n’a pas cessé de créer des vélos et des tandems révolutionnaires réalisés en alu sous la marque Barralumin. Nous avions déjà présenté un modèle Barra appartenant à un collectionneur, mais cette fois c’est un vélo qui roule et qui a même participé à l’Eroica.

Histoire de vélo : le Barra d'Alexandre
Le logo des Cycles Barra

C’est pour aller au-delà des performances que l’on pouvait obtenir avec des cadres en acier d’épaisseur 4/10ème, que Nicolas Barra décida de se lancer dans la construction de cadres en alliage léger. Ce type de cadres existait déjà, mais le montage des tubes s’effectuait par des manchons octogonaux comme sur le Caminade. Pour le concours de 1936, il engagea une machine en alliage léger brasé à basse température, mais elle fut battue au final par une machine à cadre acier. Le brasage tendre permettait de contourner les difficultés du brasage fort et du soudage.
Suite à ce relatif succès, en collaboration avec les « Tréfileries du Havre », il apprit à maîtriser le soudage au chalumeau oxydrique des cadres en alliage d’aluminium à 6.5 % de magnésium (Alumag). Il eut alors de nombreuses demandes de cyclos, mais aussi de champions cyclistes comme René Vietto. Dans son atelier, il réalisait toutes les étapes nécessaires au soudage au chalumeau des alliages d’aluminium, en particulier les traitements chimiques de décapage avant et après soudage. Il déposa alors la marque Barralumin qui connut un grand succès dans notre monde des randonneurs.

Bike Café
Publicité parue dans un ancien numéro de la revue le Cycliste

Nicolas Barra construisit ainsi plus de 5000 cadres en alliage d’aluminium-magnésium (Série 5000) dont des tandems et même des triplettes. Il va sans dire que le maître devait avoir une grande aptitude gestuelle pour manier le chalumeau sur de telles épaisseurs !
Malheureusement, l’avènement du cyclomoteur, puis de l’automobile dans les années 1950 le conduisit à fermer boutique.

« Si je devais tirer une philosophie de mon expérience, que j’ai sans doute été le seul à poursuivre aussi intensément, je dirais que la fabrication des cadres en alliage léger, soudés à l’autogène, nécessite des soins minutieux que ne demande pas l’acier. J’ai suivi, en cela, les directives de gens qualifiés et spécialisés, tant aux « Tréfileries du Havre » qu’à « l’Aluminium Français », qui ont fait subir à mes cadres des épreuves particulièrement dures. De cette façon j’ai pu aisément surmonter les problèmes qui se sont posés à moi dès le début. » déclarait Nicolas Barra dans la revue « Le Cycliste » de septembre-octobre 1969.

Le Barra d’Alexandre

Histoire de vélo : le Barra de mon père
Ce magnifique Barra est maintenant celui d’Alexandre – photo Alexandre

Alexandre est cycliste depuis l’enfance. Le vélo était pour lui le seul moyen de transport lorsqu’il était jeune pour aller retrouver ses copains en ville ou se balader dans la région. « On habitait à Saint-Matin le Vinoux, à une dizaine de kilomètres de Grenoble, et dès que je suis monté sur un vélo, j’ai compris que j’étais libre… J’avais un vieux Motobécane pourri que mon père m’avait acheté, il était rouge. Et avec ça je faisais le tour du Vercors… Quand j’y repense… !« , me dit Alexandre, qui à 12 – 13 ans faisait des sorties de 70 km sur des routes de montagne plus tranquilles à l’époque qu’aujourd’hui. « Je voyais avec admiration le vélo de mon père accroché au mur qui me faisait envie avec sa couleur métal qui brillait… Et mon père n’a jamais, jamais, jamais… voulu me le prêter. Je crois que j’ai dû lui demander une centaine de fois. Il me disait : non, touche pas à mon vélo. » On imagine la frustration d’Alexandre qui adorait faire du vélo et qui aurait bien aimé aller grimper quelques cols sur ce sylphide qui ne pesait rien comparé à son Motobécane. Je demande à Alexandre si lors de l’absence de son père il avait transgressé l’interdiction, moi je l’aurais fait sans aucun doute… Il me répond « Non je n’aurais jamais osé…« , en m’avouant quand même avoir transgressé d’autres choses dans sa jeunesse par rapport à son père, mais le vélo était sacré.

Histoire de vélo : le Barra de mon père
C’est un vélo avec lequel mon père faisait beaucoup de montagne, d’ailleurs il est équipé avec un triple plateau. Il avait acheté ce vélo sur les conseils de René Baboulin un ancien coureur pro des années 50. Les roues sont des Mavic sur lesquelles Alex a monté des pneus Specialized. Il est équipé de freins Mafac 2000 – photos Alexandre

Alexandre a quitté la maison familiale à 21 ans pour aller travailler, sans avoir pu goûter au plaisir de rouler avec ce Barra qu’il admirait parfois, tout seul dans le garage de son père. La vie l’a happé comme beaucoup : famille, création de sa boîte… le vélo a disparu de ses activités. C’est à l’approche de la quarantaine qu’il est revenu. Son père voyait bien qu’il s’intéressait à nouveau au vélo à la fois dans son boulot auprès des marques comme Polartec ou Specialized mais également à titre personnel pour faire des sorties dans sa belle région autour de Grenoble. Quand le père d’Alexandre venait chez lui, il voyait bien qu’il y avait des vélos et des beaux. Puis un jour, sans rien dire, alors qu’Alexandre l’avait invité à dîner, il est arrivé avec ce vélo. « Voilà je t’offre mon vélo« , lui dit-il. « Je l’avais oublié depuis le temps. Et là il y a tout qui revient…« , m’explique Alex, qui se prend une sacrée « Madeleine de Proust » en pleine figure, à un moment où il ne s’y attendait pas. « J’ai la chance de bosser pour Specialized et de pouvoir rouler sur des beaux vélos, plus modernes, plus rapides… et ne n’ai pas ce côté nostalgique que peuvent avoir certains pour les vélos anciens. Et là, il m’apporte ce vélo tant convoité et toute cette histoire de l’enfance remonte avec émotion« .

Histoire de vélo : le Barra de mon père
Le cadre a été fabriqué dans l’atelier de Nicolas Barra, situé à Saint-Ouen au 58 rue des Rosiers, non loin de l’actuel Marché aux puces. Il porte un numéro de cadre 4481. Sa date de construction d’après Alexandre se situe fin 1950 début 1960…

On était en 2018 et l’année suivante, Alexandre participera avec quelques copains à l’Eroica sur le vélo de son père, sur lequel il peut enfin rouler. Au départ, une fois l’effet de surprise passé, Alex s’est demandé ce qu’il allait en faire. Il pense tout d’abord en faire un objet de déco dans son bureau. Et puis au même moment l’équipe de Polartec monte un projet pour participer à l’Eroica. Tout s’aligne, le vélo est là : il est compatible avec le règlement de cette épreuve vintage : il va à nouveau rouler. « Quand je l’ai eu à la maison, au début j’avais roulé comme ça pour le fun une quinzaine de bornes, mais ça demande de l’effort ces vieux vélos« , me dit Alex en rigolant. En fait il a été étonné sur l’Eroica de l’efficacité du vélo malgré ses freins à patin, ses manettes sur le cadre… « Je craignais un peu mais j’ai fait les 80 km sans souffrir, prenant même du plaisir à rouler sur les chemins et les routes de Toscane dans les montées et les descentes des strade bianche« . Malgré les chaussures d’époque sans les pédales auto, le vélo montait bien les cotes, descendait aussi bien et Alex a passé une belle journée avec ses copains sur ce vélo qui roulait étonnamment super bien. Il a attendu d’avoir 55 ans pour poser ses fesses sur ce vélo et la valise à souvenirs s’est à nouveau remplie d’anecdotes et d’histoires de vélo.

Histoire de vélo : le Barra de mon père
On a parlé de retourner à l’Eroica avec mes copains de Polartec…

« On a parlé de retourner à l’Eroica avec mes copains de Polartec…« , me dit Alex. La vie de ce Barra n’est donc pas terminée. Alex pense à la transmission : après lui, que deviendra ce vélo ? Dans sa famille personne ne s’intéresse suffisamment au vélo pour reprendre ce Barra. « Je ne le vendrai pas, je le donnerai soit à un passionné qui le fera rouler ou alors à des amis italiens qui ont un petit musée du vélo en Italie…« . Ce serait surprenant que le vélo d’un artisan français de talent, se retrouve aux côtés de superbes machines italiennes, comme pour prouver qu’en France on sait aussi fabriquer de beaux vélos.

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Patrick
Patrick
Aix-en-Provence - Après la création de Running Café, la co-fondation de Track & News Patrick remonte sur le vélo en créant Bike Café. Il adore rouler sur route et sur les chemins du côté de la Sainte-Victoire. Il collabore en freelance à la revue Cyclist France. Affectionne les vieux vélos et la tendance "vintage". Depuis sa découverte du gravel bike en 2015, il s'adonne régulièrement à des sorties "off road" dans sa belle région de Provence.

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