Et si le VTT, contrairement à ce que veulent nous faire croire les Américains, avait été inventé en France, au début des années 50 ?
C’est la thèse que défend, preuves à l’appui, Gérard “Mutsa” Gartner, auteur de “L’incontestable naissance du VTT”, qui vient de paraître chez Les éditions de tous les Vertiges.
Puisque la canicule estivale nous oblige à rouler tôt le matin ou tard le soir, il est conseillé de passer le reste de la journée calé bien au frais dans une chaise longue. Encore faut-il un bon bouquin pour compléter le tout… Bike Café a donc pris les devants et vous livre (sans jeu de mot) son éclairage sur cet ouvrage. À vos limonades !
Gérard “Mutsa” Gartner, un aventurier du XXème siècle
J’ai rencontré l’auteur de ce livre, Gérard “Mutsa” Gartner, bien avant qu’il ne l’écrive. C’était au début des années 90. À cette époque, Gérard était sculpteur et se distinguait comme l’un des rares artistes plasticiens tsiganes : effectivement, comparé à l’immense cohorte de musiciens, il y avait très peu de peintres, photographes ou écrivains issus des communautés gitanes.
J’ai tout de suite compris l’immense chance que j’avais de côtoyer ce personnage, plus proche d’un héros de roman que d’un simple mortel. Jugez plutôt : tour à tour chaudronnier, boxeur, portraitiste à Montmartre, embaumeur, garde du corps d’André Malraux lorsqu’il était Ministre de la Culture, cette boule de muscle au crâne rasé et à l’œil bleu et perçant, né en 1935, n’en affichait pas moins, à la soixantaine, une vitalité incroyable.
À son annulaire, une énorme bague en or en forme de tête de félin illustrait parfaitement son nom romani : “Mutsa”, le chat, surnom gagné sur les rings de boxe grâce à sa souplesse et sa vitesse de frappe.
Les gamins de Pantin
Parmi les nombreuses anecdotes que Gérard m’a raconté au gré de nos retrouvailles annuelles à Arles ou aux Saintes-Maries-de-la-Mer, il y eut celle, particulièrement captivante, concernant son enfance sur les terrains de motocross du nord-est parisien, où les obus et les bombes de la seconde guerre mondiale avaient “massacré le sol, le préparant à nos besoins” écrit-il. Imitant les aînés sur leurs motos, les gamins dévalaient les pentes raides des fortifications et enchaînaient les acrobaties au guidon de machines qu’ils bricolaient à base de vieux vélomoteurs.
Plus actif avec son chalumeau qu’au guidon, Gérard, fils de Rom Kalderash (la caste des chaudronniers chez les tsiganes), réparait les cadres et les fourches brisées. C’est plus tard, en tant que boxeur professionnel, qu’il se tailla une renommée dans le monde du sport. Mais ceci est une autre histoire…
Vive le VCCP, le Vélo Cross Club Parisien
La banlieue nord-est de Paris, ouvrière, populaire et métissée, a toujours été un vivier de cultures underground et alternatives. Aujourd’hui, c’est le hip hop, le skate, le graff et autres expressions de la culture urbaine qui y font leur nid. Après la seconde guerre mondiale, les no man’s lands détruits par les bombes deviennent l’endroit des moto-cross et des spectacles de cascades en tout genre. Construisant peu à peu leur savoir-faire, leurs vélos et leur réputation, la bande de jeunes cyclistes-acrobates créent le Vélo Cross Club Parisien, qui connaîtra un certain succès pendant une petite décennie. Courses et exhibitions s’enchaînent tous les week-ends, souvent en ouverture de rideau des moto-cross, très en vogue à cette époque. Mais qui dit pratiques alternatives et marginales dit souvent pratiques transitoires… Les gamins grandissent et changent de vie, quoi qu’il advienne. Et le VCCP disparaîtra aussi vite qu’il était apparu.
Que reste-t-il aujourd’hui de cette aventure ? Quelques photographies, et peut-être des survivants, qui pourraient témoigner : Vingt ans avant les hippies blonds californiens, des ados banlieusards ont inventé le free-style, le dirt, le BMX, le DH, le XC et que sais-je encore…
Gartner vs.Trek
Les Américains contestent-ils vraiment la paternité du vélo tout-terrain à Gérard et ses camarades de Pantin ? D’après eux, le “mountain bike” aurait été inventé à la fin des années 70 sur les collines autour de Marin, une petite ville Californienne…
Ils ne peuvent pourtant nier l’antériorité française. D’ailleurs, sur le site du Marin Museum Of Bicycling, la bible du MTB aux États Unis, on trouve bel et bien une évocation et quelques images d’archive du Vélo Cross Club Parisien.
Mais peu importe en fait : Ce qui fait loi aux USA, quelque soit le sujet, c’est moins la paternité que le “Copyright”, le “Registered” et le “Trade Mark”. Dans la culture étasunienne construite sur des valeurs commerciales inaliénables, peu importe qui est le premier : tout s’achète, la propriété est souveraine et le brevet fait loi. À partir du moment où rien ni personne n’empêchera les grandes marques de MTB de développer le marché florissant du vélo de montagne, autant rendre hommage comme il se doit à ces petits frenchies “so authentic”.
Cowboys et indiens
Au fond, Gérard Gartner non plus ne se préoccupe pas tant que cela de la primauté. Plutôt que d’invention, il préfère subtilement parler de naissance. “On invente rien, on ne fait que reprendre” déclare cet artiste sculpteur, soudeur, peintre, boxeur, éternel manipulateur et transformateur de matériaux et de matières. En fait, plus qu’un simple récit autobiographique et historique, on peut lire entre les lignes de “L’incontestable naissance du VTT” le cri de révolte d’un tsigane qui rejette toute tentative d’assimilation culturelle. Parce qu’il est issu d’une minorité de culture orale et longtemps opprimée, Gérard “Mutsa” Gartner a d’autant plus conscience de la toute puissance du “soft power” américain, et du discours dominant véhiculé par l’internet, qui choisit ses champions en faisant disparaître les perdants dans les oubliettes de l’histoire.
Mais là encore, la réalité est bien plus subtile. Car internet contribue à perpétuer le souvenir de la singulière aventure du VCCP. Par exemple, bien avant que Gérard publie son livre et que nous nous en faisions écho, d’autres avaient déjà contribué sur la toile à la postérité de cette histoire, à l’image de ce sujet retrouvé sur le forum tontonvelo.com.
Certes, les indiens sont voués à disparaître, mais ils sont tellement magnifiques qu’ils survivront pour toujours dans nos souvenirs et dans l’imaginaire collectif, comme les figures allégoriques de toutes les libertés.
Mutsa Gartner, L’incontestable naissance du VTT, Les Éditions de tous les Vertiges, 2022 – 16€
merci Dan pour la découverte de cet ouvrage et de ce personnage , hâte de le lire lorsque je serai en congés ( et oui la sieste de l’après midi attend et le vélotaf dans la fournaise perdure 🙂 ) .
Je rejoins l’auteur sur le fait que rien n’est réellement inventé , les américains ont eu à nouveau le génie de documenter abondamment leurs débuts , ont pu s’appuyer sur quelques grands réalisateurs ( J.Breeze, T.Ritchey, Otis Guy, R.Cunningham …..) qui se trouvait dans une région permettant l’épanouissement de la culture underground et sa récupération commerciale .A noter que d’autres en europe comme en Angleterre ont également bricolé des vélos pour le tout terrain , sans parler des cyclo-muletiers …