Depuis un peu moins de deux ans, l’atelier Caminade a déménagé. Sans quitter Ille-sur-Têt, petit bourg de cinq mille habitants, niché sur le flanc nord du Canigou à vingt-cinq kilomètres de Perpignan, Caminade a investi un nouveau lieu : La Fabrica, un bâtiment vieux de deux siècles, où se déroulent désormais bon nombre d’événements et d’expériences originales.
Intrigué par le projet et par le lieu, notre reporter Dan de Rosilles est allé passer deux jours sur place pour ramener de la Fabrica un récit exclusif, qui parle de vélo bien sûr, mais pas seulement…
Sur un coup de Têt ?
Jeudi 17 novembre / 09h00 – Non, ce n’est pas sur un coup de tête que je me rends à Ille-sur-Têt (pronnoncez : “iye”). J’avoue avoir une affection particulière pour cet endroit et pour Caminade, la marque de vélo installée ici. C’est plutôt un retour aux sources, la continuité d’une série d’allers-retours qui ont commencé en 2015, lorsque j’ai organisé le premier événement d’Arles Gravel, la Boucle d’Oreille. À cette occasion, Sylvain de Caminade était venu à Arles avec son drôle de vélo en acier, le premier Allroad de la marque, tout en rondeurs.
Patrick Van Den Bossche n’avait pas tardé à écrire un premier article sur Caminade et l’audacieux design de ses vélos. J’avais ensuite visité Caminade en participant à leur Gravel de Fer en septembre 2016, à une époque où bon nombre de cyclistes, de détaillants et de fabricants ne connaissaient même pas le mot gravel… D’ailleurs, les événements gravel étaient encore rares en France ! Je n’avais plus raté la moindre occasion de me rendre sur place ; avec Patrick pour leur Gravel 66 en mars 2017, puis pour un press camp Mavic en avril 2018, où nous découvrions avec stupeur le premier Allroad titane manchonné collé. Aussi, n’ai-je pas hésité une seconde à répondre à l’invitation de Brice, le fondateur de Caminade, lorsqu’il m’a proposé de venir découvrir La Fabrica !
25, rue de la Neige
Jeudi 17 novembre / 12h00 – Brice me donne rendez-vous au 25, rue de la Neige. De neige, point, mais des briques de terre rouge, à l’instar de celles qui composent la voûte de la porte qui troue les fortifications de la ville. Il suffit de passer dessous, puis de remonter une ruelle courbe, étroite et pentue. Là, juste derrière l’Église des Carmes, se trouve une imposante porte en bois à double battant, encore cernée de briques. C’est l’entrée de La Fabrica, un ancien moulin à huile, puis fabrique de limonade, devenue ensuite un théâtre pendant plus de vingt ans.
C’est juste avant le Covid que l’entreprise Caminade en a fait l’acquisition, bien décidée à redonner vie à ce lieu, y développer son ingénierie cycliste, avec d’autres projets en sus.
Dès la porte poussée, on découvre un large et haut vestibule, qui accueille un marché de producteurs le jeudi soir et une co-cantine (végétarienne et à prix libre) le vendredi midi. Je comprends immédiatement qu’on a affaire ici à autre chose qu’un simple atelier de cycles, que s’y développent des activités complémentaires, en prise avec le territoire et la réalité économique et sociale du moment. Hélène, qui cuisine, Laura, qui gère l’accueil et le programme d’activité, Geoffrey, qui brasse la bière, insistent tous sur le caractère accueillant et convivial qui prévaut ici.
D’alcôves en symbiose
Jeudi 17 novembre / 14h00 – Plusieurs structures cohabitent dans l’ancien moulin à huile : Chacune des alcôves de la façade nord abrite une activité. Ici la micro-brasserie, là la cuisine, sur la galerie supérieure les stocks de l’épicerie solidaire, au balcon l’espace concert… C’est Laura qui gère cette cohabitation, programme les groupes de musique, sert au bar et coordonne les évènements ponctuels : expositions, projections, conférences…
Hélène cuisine et organise chaque vendredi midi une co-cantine végétarienne, ouverte à tous. Le prix du repas est libre, on peut aussi venir donner un coup de main en échange d’un repas, sur un principe de solidarité auquel Hélène tient beaucoup. Pas de gaspillage ici, mais plutôt une mise en réseau : Hélène s’est entendue par exemple avec les maraîchers locaux pour récupérer les légumes invendus et les utiliser dans ses recettes. Pour le repas du vendredi, la grande table de l’espace central de La Fabrica accueille indistinctement les membres de l’équipe Caminade, des habitués, des vignerons locaux, des touristes de passage…
Tout le monde se mélange, les discussions fusent, autour du vélo bien sûr, de la soudure du titane, des sentiers de randonnée, des méthodes de vinification, mais aussi du bon équilibre entre houblon et malt… Il faut dire que Geoffrey, ingénieur de formation, est le brasseur attitré de la Garoutade, la bière brassée in situ dans l’une des alcôves de la Fabrica. Rousse ou blonde, légère et portée sur les malts, c’est la bière qu’on déguste ici, à table le vendredi ou le jeudi soir en direct à la tireuse du bar.
Une épicerie collaborative, “Al’ Terres Natives 66” a aussi pris ses quartiers à La Fabrica. Les adhérents donnent un peu de leur temps pour bénéficier de prix préférentiels sur des produits bios et locaux. Hélène et Brice tenaient absolument à héberger cette initiative à La Fabrica, c’était nécessaire à leurs yeux de proposer des achats groupés de produits locaux, au prix le plus juste pour les producteurs et les consommateurs. Bientôt, c’est une école de couture qui va s’installer dans la mezzanine encore vacante… Pour y créer entre autres, pourquoi pas, des sacoches pour les vélos Caminade ?
Juste en dessous, dans la cuisine, l’infatigable Hélène finit tout juste de préparer les planches végétariennes de l’apéro du soir, qu’elle est déjà est en train d’étaler la fine pâte des crackers maison à base de farine bio et des drêches (résidus de malt issus de la fabrication de la bière, ndr), qui seront servis le lendemain midi. Comme un symbole, ces crackers illustrent le fait qu’à La Fabrica tout se transforme, dans un équilibre entre respect des ressources et pragmatisme économique. Ici, comme dans un écosystème, tout est lié, tout fonctionne en symbiose, dans le respect des partenariats et des interdépendances.
L’atelier Caminade, la pièce maîtresse
Jeudi 17 novembre / 14h00 – Toute la partie gauche du bâtiment, l’ancienne salle de théâtre en fait, est occupée par l’atelier Caminade. Mais Brice me souligne qu’il y a deux siècles, ce fut un lieu où on fabriquait des canons de mousquets. Déjà une histoire de tubes métalliques… Dans ce large espace, très haut de plafond, je découvre plusieurs postes de travail, en particulier l’établi de soudure titane d’Erwan, l’atelier de mécanique et de collage structurel des Allroad manchonnés-collés de David, mais aussi le nouveau bureau d’étude développé par Quentin sous la direction de Brice.
L’espace est découpé par de grands plans de travail, comme des îlots dans un atoll corallien, à la fois séparés les uns des autres, mais reliés par le même socle, le même objectif : la production des vélos Caminade. Sous l’un, le stock de tubes en titane. Sur les autres, qui des centreuses de roue, des bouteilles de gaz inertant, des cintreuses, des presses… L’atelier ressemble plus à une fabrique artisanale de précision qu’à une unité industrielle de production de masse.
Mais le nombre de vélos qui sortent de cet atelier est impressionnant :”On est à dix manchonnés-collés par mois, et quatre ou cinq cadres soudés… on cherche d’ailleurs à ralentir la production” m’explique Brice. “Le rachat et les travaux de La Fabrica ont été très coûteux, mais maintenant on veut se consacrer aussi à d’autres projets. Notre objectif pour cette année serait de ne pas dépasser quatre cadres soudés par mois, et six manchonnés-collés”.
Il faut dire que les nouveaux projets de recherche et développement, menés par Quentin, foisonnent : Par exemple, Caminade a créé pour la marque Ultima Mobility le cadre et la fourche du Multipath, un VAE urbain, produit en France à base de fibres de carbone recyclées et de plastique de récupération. “La relocalisation de la fabrication des cadres Ultima en France est exemplaire” déclare fièrement Brice. “On a montré qu’on pouvait recycler l’outil industriel automobile français en faveur du vélo. On obtient en trois minutes un cadre en matière recyclée injectée qui peut concurrencer un cadre fabriqué en Asie”.
En plus d’exporter son savoir-faire, le bureau d’étude Caminade crée aussi des prototypes pour des projets en interne, comme par exemple un tricycle, un cargo, un vélo pliable et une lampe sur dynamo qui sont actuellement en cours de développement.
On s’avance plus avant dans l’atelier. Sur un étau, Erwan modifie un VTT Sunn Exact Revival 26″ en titane qu’un client souhaite transformer en gravel. Erwan rallonge les pattes arrières et les passe en axe traversant, il crée les passages internes de durite… le vélo sera désormais en 29″ avec des freins à disque. “On ne répond pas favorablement à toutes les demandes de modification, mais cette démarche s’inscrit totalement dans notre philosophie” me confie Brice. Puis, il me présente les deux versions du Allroad manchonné-collé en titane que je vais tester le lendemain. Il y a bien sûr un modèle “sportif”, léger et vif, équipé du groupe Ekar 1X13 vitesses (groupe que j’ai déjà pu essayer sur un Cinelli lors d’un press-camp Q36.5 en 2021). Mais Caminade propose aussi une version plus orientée voyage/loisir, avec une boîte Pinion C12 et un H-bar en titane, créé ici même. Voilà donc les deux machines que je vais tester le lendemain, et je m’en lèche déjà les babines !
L’underground de la Fabrica
Jeudi 17 novembre / 17h00 – L’après-midi touche à sa fin, mais la visite n’est pas terminée, je ne suis pas au bout de mes surprises !
Car si on descend quelques marches, le sous-sol recèle bien des trésors. J’y découvre les sableuses et le banc de peinture qui équipaient déjà l’ancien atelier, le stock de pièces détachées et de pneus nécessaires pour le montage et l’entretien des vélos Caminade, mais aussi les bases de la nouvelle ressourcerie-recyclerie gérée par Mika. Ce projet de “recyclerie 2.0” (comme la surnomme Brice) va bien au delà d’un simple atelier de réparation et de remise en état de vélos anciens. En lien avec le bureau d’étude sis à l’étage supérieur, c’est ici que se précise un projet – encore un peu secret – de vélos cargos du futur, accessibles à tous et bon marché.
“Tout le monde peut rénover les vélos” me confie Brice, “mais moi je veux pouvoir les transformer en vélos cargos. Le grand boom du vélo aura lieu sur le vélo urbain. Aujourd’hui, en France, il n’y a que 2,5% des gens qui se déplacent à vélo, mais on parle de 8% pour 2025. C’est un marché énorme, mais c’est con de vendre des vélos neufs alors que tout le monde a un vélo dans le garage qui peut remplacer la bagnole. Chez Caminade, avec notre savoir-faire, on veut être capables de transformer en cargos les vieux vélos facilement et rapidement, donc là on est en train de bosser dessus”.
Le jeudi soir, y’a before à la Fabrica
Jeudi 17 novembre / 19h00 – Les soirées concert-apéro-marché-de-produits-locaux du jeudi soir ont lieu dans la salle et au comptoir du bar l’hiver, en terrasse l’été : avec l’aval de la mairie, l’équipe Caminade a construit, face à la porte d’entrée, une étroite terrasse en bois le long de l’église. Cela a permis de chasser naturellement les voitures qui y stationnaient à l’année, les dépôts sauvages de poubelles et de proposer un espace extérieur convivial pour les jeudis soirs.
Le jeudi soir, l’idée n’est pas de proposer une soirée festive jusqu’au bout de la nuit, mais plutôt une entrée en matière, un “before” comme on dit à Paris.
Le marché et le bar ferment à 21h, le concert a lieu à l’heure de l’apéro. Les habitués apprécient cet horaire précoce. Ils débarquent entre chien et loup pour assister au concert, faire coucou aux copains, déguster une planche végétarienne avec un jus de fruit frais, une bière-maison ou un verre de vin local, font le plein de légumes au marché avant de rentrer sagement à la maison, ou de partir vers des destinations plus noctambules et festives, c’est selon.
Le choix de faire sa (propre) bière
Jeudi 17 novembre / 20h00 – Le marché de producteur et le bar tournent à plein. À l’étage, le groupe programmé pour la soirée donne à entendre des chansons françaises, appuyées par une solide section de cuivres.
Je discute houblon avec Geoffrey. “On a d’abord créé le lieu, on voulait voir ce qu’on était capable de servir pour dimensionner ensuite l’outil de production”. Ici, au bar, on crée du lien social, de la convivialité, on pousse des vins de producteurs locaux, on aurait pu très bien vendre de la bière achetée à des copains brasseurs” affirme Geoffrey.
“Mais en servant la bière des copains brasseurs” poursuit Geoffrey, “je me suis rendu compte que je racontais leur histoire. Du coup, en faisant notre propre bière, en la servant ici et en l’exportant ailleurs, c’est notre propre histoire qu’on raconte”. Il poursuit : “J’ai créé un métier qui est cool. C’est valorisant, ça fait sens, ça s’inscrit parfaitement dans le projet global”.
Après quelques bières, il est temps d’aller se coucher ; la journée du lendemain s’annonce bien remplie : Brice m’a donné rendez-vous à l’aurore pour aller essayer les deux versions du Allroad sur les pistes sableuses qui surplombent la rive gauche du fleuve Têt, à proximité des Orgues de Ille…
Le match Italie-Allemagne
Vendredi 18 novembre / 9h00 – Ce matin, on rentre dans le vif du sujet cycliste, car il s’agit d’aller rouler sur les vélos manchonnés-collés équipés des nouvelles configurations de groupes.
Je connais déjà bien l’Allroad, car je l’ai testé dès sa création en 2018, avant et pendant un press-camp Mavic. J’avais alors roulé sur le pré-série numéroté 007 ; à cette époque, tous les Allroad étaient montés en Sram…
Brice nous explique la transition, ou plutôt la rupture, qui s’est produite depuis :
“Pendant le Covid, il y a eu pénurie de pièces et d’équipement. Ça nous a touché, comme les autres, mais ça nous a aussi permis de prendre des décisions. Les vélos que tu vas rouler sont le fruit de ces décisions”.
Plus de Sram sur les Allroad sportifs donc, mais du Campagnolo, fabriqué en Italie. Quant aux boîtes de vitesse Pinion (prononcez : “Pinione”), que je vais tester aujourd’hui pour la première fois, elles sont fabriquées en Allemagne. Désormais, les deux-tiers des vélos produits par Caminade sont équipés de boîtes de vitesses. “On croit au produit, ça fonctionne bien, c’est indestructible, ça va dans le sens du produit durable. Bien sûr, il faut assumer : quand un client te dis, moi je veux du Di2, vous n’en avez pas, je ne vous prends pas de vélo… Eh bien tant pis !”
Le groupe Ekar 1X13 de chez Campagnolo n’a plus besoin de faire ses preuves. Nous l’avons roulé maintes fois à Bike Café et personne aujourd’hui ne remettrait en doute la pertinence de cette transmission. C’est différent avec la boîte Pinion, qui rencontre encore pas mal de résistances et d’a priori dans le monde du vélo, particulièrement chez les sportifs.
C’est Quentin qui a dessiné pendant son stage le manchon qui manquait pour accueillir la boîte Pinion sur le manchonné-collé. Équipé de la C12 (il y a douze vitesse sur cette boîte Pinion), le vélo est plus lourd, de 900 grammes quand même…
Ce qu’on perd en légèreté, on le gagne en tranquillité d’esprit. Pas d’entretien ou presque, si ce n’est un réglage de tension de chaîne de temps en temps (moi qui roule en pignon fixe ça ne m’effraie guère) et une vidange conseillée une fois par an ou tous les 10 000 km, à faire soi-même tellement l’opération est simple.
Pour être tout à fait complet sur la prise en main de ce “nouveau” Allroad manchonné-collé, je me dois d’évoquer une évolution majeure : le passage de roues en 700 X 45.
Effectivement, lorsque j’avais roulé le Allroad en 2018, le passage maximum de pneus était de 40 mm en 700, parce que la fourche TRP qui équipait alors le vélo ne permettait pas de passer plus gros. Désormais équipé d’une fourche Columbus et avec des bases arrières légèrement plus longues, le Allroad supporte allègrement des Hutchinson Overide en 45mm et peut s’adapter ainsi à toutes les pratiques et à tous les terrains.
Et Caminade créa son H-Bar en titane
Toute l’équipe est très fière de cette réalisation ; Erwan en est le soudeur. Ce H-Bar ne ressemble que très peu à la version de Jones : il n’existe qu’en titane, il est ouvert à l’avant et la partie “plat du cintre” est aplatie justement, pour offrir une meilleure zone de contact à cet endroit et dans la zone “cocottes”. Ce cintre équipe tous les vélos montés en boîte Pinion, car le sélecteur de vitesse de la C12 n’existe qu’en poignée tournante. Impossible donc (pour l’instant en tout cas), de monter sur le même vélo une boîte Pinion et un cintre route ou gravel.
Par contre, le H-Bar peut aussi se monter sur un vélo équipé d’un groupe conventionnel type VTT, on peut d’ailleurs l’acheter directement sur le site de Caminade pour le monter sur un vélo d’une autre marque.
Chaos de granit et sables du Pliocène
Vendredi 18 Novembre / 10h00 – Nous voici sur les pistes sableuses encadrées de granit rose, sur les collines qui surplombent la Têt. Je commence par “le” Pinion ; c’est forcément celui qui m’intrigue le plus. Pendant ce temps, Anne roule “le Ekar”, nous échangerons les vélos plus tard dans la journée. Curieux de notre ressenti, Brice et Geoffrey nous accompagnent.
Immédiatement, je remarque le surpoids du Pinion (900 g de plus pour la boîte de vitesse par rapport au groupe Ekar et 430 g de H-Bar là où un cintre pèse entre 250 et 300 g) mais cela ne me choque pas, bien au contraire. À la différence d’un vélo ultra-léger en mono-plateau dont l’essentiel du poids est porté sur l’arrière à cause de l’énorme cassette à 12 vitesses, ici le poids est au centre, très légèrement sur l’avant. Cela donne au vélo un comportement extrêmement sain et sympathique, aussi bien en montée qu’en descente, sur les secteurs roulants ou plus techniques. Le pilotage du H-Bar est… cool. On se sent très confort, positionné haut pour profiter du paysage, mais avec une grande variété de positions possibles, la saisie “aéro” à l’avant du H-Bar permettant tout à fait de se profiler lorsqu’on envoie sur la route.
Dans les descentes chaotiques, le généreux backsweep des poignées en bout de cintre donne énormément de confiance et ménage les poignets, ce qui est certainement le cas aussi sur les longues distances. La position “plat du cintre” ressemble tout à fait à… une position “plat du cintre” sur un guidon de route ou de gravel. La quatrième position est très intéressante, elle consiste à appuyer ses paumes à la jonction du plat et des prolongateurs. C’est celle qui ressemble le plus à la prise des cocottes sur un cintre classique, on peut y rester des heures… sans l’accès direct aux freins et au sélecteur de vitesses bien sûr.
Huile et gaz à tous les étages
Le sélecteur de vitesse ? Parlons-en ! c’est là que j’ai eu le plus de mal à m’adapter. Certes, cette poignée tournante, en dehors du fait qu’elle commande deux câbles d’un coup (un pour monter les vitesses, l’autre pour les descendre), est identique à celle d’un VTT. Mais si on peut passer toutes les vitesses à l’arrêt, dans un sens comme dans l’autre, on ne peut pas passer sur une vitesse plus petite lorsqu’on est en prise. Il faut donc anticiper un peu plus qu’avec un dérailleur, lorsqu’une montée soudaine se présente, au risque de forcer sans aucun résultat sur la poignée.
Pour une fluidité totale de la commande, il faut arrêter de pédaler (ne serait-ce qu’une seconde), pour passer une ou plusieurs vitesses d’un coup. Avec un dérailleur et de l’expérience, on peut changer de vitesse en souplesse, dans le creux du pédalage. Avec la C12 pignon, ce n’est pas plus compliqué, mais ce n’est pas au même moment, ni la même méthode… Tout est question d’habitude !
Pour un usage gravel, Caminade monte la transmission Pinion en 30 X 24 et en 30 X 30 en VTT. Pour ce qui est des ratios, la plage est énorme. Là où la cassette la plus étendue propose une amplitude de 520%, on atteint 600% avec la Pinion.
Autre caractéristique, l’étagement des vitesses, qui contrairement à celui d’une cassette, ne présentent pas de “saut”, mais un “pas” régulier, à savoir 8% entre chaque. C’est déroutant au début, on se surprend à changer de vitesse à des endroits où on se serait mis en danseuse avec un dérailleur… ou réciproquement parfois. Globalement, je dirais que la boîte Pinion influence la façon de rouler. Un pédalage plus sage, mais diablement efficace, à mon avis plus adapté aux déplacements quotidiens et aux voyages au long cours qu’à un tirage de bourre entre copains.
Pour ceux qui souhaiteraient des détails techniques supplémentaires, on pourrait ajouter que la chaîne de largeur 1/8″ (comme sur un pignon fixe) entraîne un moyeu singlespeed asymétrique, que la tension de chaîne se fait grâce à des vis de réglage sur les pattes horizontale du Allroad soudé et grâce à un tendeur de chaîne Pinion situé près de la boîte de vitesse sur le modèle manchonné-collé et ses pattes verticales.
Mais n’en déplaise aux geeks, avec une boîte Pinion la technologie est là pour se faire oublier ; ne reste que le plaisir de rouler !
Italie – Allemagne, 1 à 1, balle au centre
Vendredi 18 Novembre / 14h00 – J’échange de vélo avec Anne, je prends en main le modèle équipé en Ekar. Bien sûr, la sensation est toute autre : Me voici clairement sur un vélo sportif, qui pèse un bon kilo de moins que le Pinion et dont le cintre et le dérailleur me sont tout à fait familiers. Inutile que je vous décrive dans le détail les quelques kilomètres qui s’en sont suivis et les sensations que j’ai éprouvées, je vous engage plutôt à aller vous-même essayer un Allroad manchonné-collé… L’équipe de Caminade saura vous accueillir à la Fabrica et vous faire essayer les vélos, vous proposer de déjeuner avec eux, et bien plus encore : à l’atelier, on peut réaliser une étude posturale, amener un vélo à réparer ou à repeindre, et découvrir les pistes de gravel et de VTT qui foisonnent tout autour, des traces sont d’ailleurs en libre accès sur le compte Komoot de Caminade.
Ce que je retiens surtout de ces deux essais, c’est la complémentarité des deux montages. Avec un cadre, des roues et des pneus rigoureusement identiques, j’ai vécu deux expériences radicalement différentes avec deux cintres et deux groupes qui donnent à chaque version un caractère bien particulier, pour deux façons de rouler qui ne s’opposent pas, mais se complètent. Serait-ce indécent d’imaginer de posséder non pas un, mais deux Allroads, pour n’avoir pas à choisir quel type de vélo on veut pratiquer ?
Caminade invente son tiers-lieu… et les vélos du futur
À ceux qui émettent des doutes sur le design des vélos manchonnés collés et leur look industriel assumé, Brice répond : “Dans le vélo comme pour le reste, il faut partir d’une fonction, d’un besoin, et c’est la fonction qui crée le design. C’est les objets les plus simples qui sont les plus beaux finalement. Dans l’avenir, il n’y aura que ça : des produits simples avec très peu de fonctions, très peu gourmands en énergie pour les fabriquer et les faire fonctionner. Pour y arriver, ce qu’il faut prouver avant, c’est par exemple qu’une presse capable d’injecter un pare-chocs de bagnole est capable d’injecter un cadre de vélo”. “L’idée chez Caminade”, dit-il, “c’est de ne pas faire comme les autres, d’aller sur des pistes où ne sont pas les autres et de faire fabriquer en France”.
Et puis les “activités croisées” menées par les différents secteurs de l’atelier Caminade sont développées en prévision de l’évolution de la situation écologique et des nouveaux enjeux économiques. Le surcyclage par exemple, (électrification de vélos existants, réparations et modifications de cadres, transfert de pièces de vélo tiers sur un cadre Caminade) et les projets de développement interne (cargos, vélos pliants) vont dans le sens des nouvelles contraintes qui attendent fabricants et cyclistes dans les années à venir.
La fenêtre et la vitrine
Samedi 19 / 9h00 – En reprenant la route d’Arles après ces deux journées riches d’expériences humaines, cyclistes et sensibles, je ne peux m’empêcher de penser que La Fabrica revêt une double fonction pour Brice et son équipe : C’est un espace d’expérimentation, parfaitement inscrit dans le territoire et ouvert à tous, où s’appliquent au quotidien les valeurs qui prévalent à l’atelier. Un cadre rassurant et maîtrisé, une sorte de fenêtre pour regarder le monde tel qu’il est et s’y intégrer à leur façon.
Mais La Fabrica est aussi une vitrine, éclairée et inspirante, charismatique ambassadeur de la qualité et de la pertinence des productions Caminade.
• Pour vous tenir au courant des activités de l’atelier Caminade, inscrivez-vous à leur Newsletter !
• Vous pouvez aussi les suivre sur Instagram …
• Pour visiter La Fabrica en ligne, c’est ici que ça se passe !
Super intéressant, autant le côté “tiers-lieu” avec “pollinisation croisée” que leur approche du vélo.
Vous ne parlez pas de la gamme de prix de ce que produit Caminade, mais j’imagine que le côté artisanal entraîne des prix élevés qui sont la contrepartie du reste. Pas forcément pour “les riches” mais des clients qui font des choix engagés dans leur consommation. Ils “votent avec leur porte-monnaie”.
Je trouve très très intéressant la stratégie visant à réduire les volumes de production tout en travaillant comme BE avec des industriels en besoin de reconversion mais disposant d’expérience, d’outillage et des équipes qualifiées pour envisager la production en volume pour offrir de véritables alternatives à la production de masse en Asie.
Comme évoqué dans un autre post je trouve dommage que ce que je vois le plus souvent mis en avant dans la “relocalisation” ce sont des initiatives très sympa mais qui ont choisi une stratégie d’hyper niche pour les plus fortunés à cause d’un manque d’ambition (selon moi) pour répondre aux enjeux de l’équipement en masse des français et européens avec des produits de qualité mais simples, fabriqués avec des procédés industriels permettant des économies d’échelle nécessaires à l’atteinte d’un prix de vente compatible avec le budget du plus grand nombre. En arrêtant de subventionner comme des malades l’achat de vélos dans lesquels la valeur ajoutée produite, très élevée grâce aux subventions, sert en priorité à servir des profits ou des importations de composants venus de l’autre bout du monde.
Je suis impressionné par la pertinence de l’approche de Caminade. Merci pour ce reportage hyper intéressant qui réussit à très bien communiquer l’approche du fabricant sans donner l’impression de faire un publi-reportage.
PS : Mon VTT des années 90 cadre acier qui me sert de vélo à tout faire (gravel, vélotaf, voyage) ne peut pas être monté facilement et sans changer pas mal de choses en cintre gravel. Je roule donc avec un Ergotec AHS Basic Sport qui m’offre un backsweep indispensable pour rouler des heures sans douleurs, du multi-positions y compris une position aéro en m’accoudant dessus, sans remettre en cause la géométrie. Je suis intéressé par le cintre H qui offirait plus d’options et probablement une meilleure position aéro plus ferme mais j’imagine qu’il est actuellement fait sur mesure. Je serais très preneur de ce cintre dans une version industrialisée et donc compatible avec mes budgets vélo. Des infos sur la vraisemblance d’un tel scenario ?
Pour consommer Local j’ai craqué il y a un an sur un allroad en SRAM a l’époque car le surcoût de la boîte n’était pas possible pour moi et que je voulais un cintre route.
Le cadre est disponible seul sur contact je crois, le mien m’à coûté un peu moins de 3000€ pour un vélo sur mesure complet, soit a peine plus cher qu’un Decathlon titane.
Quand je vois le prix de certains vélo d’autres marques…
Bonjour Vince,
Merci pour votre lecture attentive et la pertinence de votre retour.
Je n’ai pas indiqué de prix dans l’article car en fonction des options de montage et du travail sur les cadres soudés, les prix sont variables selon le projet.
Pour un cadre sur mesure et tout projet spécial, l’accompte est de 900€ https://caminade.eu/projets.speciaux-101-140.php
En ce qui concerne le manchonné-collé, les deux versions telles que présentées dans l’article sont vendues au même prix, à savoir 3900€ le vélo complet (délai 6 semaines) :
https://caminade.eu/allroad-571300-13.php
Le H bar est vendu 250€ : https://caminade.eu/h.bar.titane-102-2601.php
N’hésitez pas à vous reporter au site Caminade qui est très complet, ou à leur poser des questions via leur formulaire de contact : https://caminade.eu/contact-4.php
Bonne journée,
Dan
Superbe article qui mets bien en valeur les aspirations de caminade qui m’ont poussé à en prendre un, j’aurais quand même aimé une comparaison car tout le monde ne peut pas forcément se déplacer pour essayer surtout avec l’expérience et expertise qu’est la vôtre.
Bonsoir,
C’est toujours avec grand plaisir que je lis tout ce qui est publié par Bike Café notamment pour la qualité de l’écriture et la pertinence du contenu.
Il y a quelques temps, voulant un vélo polyvalent titane, j’ai fait mes recherches, beaucoup lu et ne voulant m’en tenir à certains avis (peu élogieux), je me suis déplacé et notamment jusqu’à Ille-sur-Têt. Y allant avec enthousiasme, j’en repartais plutôt désenchanté … L’accueil étant bien ce qui avait péché . Dommage. Le match final était plié entre Caminade et Chiru. Je sais bien que certains diront Chiru n’est pas une production française … Mais comme ce n’était pas le critère principal … Et c’est désormais un choix sans regret.
Régis L.
Merci de mettre à l’honneur cette société. Un projet humain avant tout.
J’ai eu le plaisir de rouler et de déjeuner avec l’équipe il y a deux ans. Pas au niveau j’ai profité seul des magnifiques paysages des Corbières. Un régal pour les yeux.