Dès le début de l’été, il est impossible de passer à côté de la communication du nouveau festival gravel qui se profile à Châtellerault : une identité visuelle super sympa, une diffusion de photos et de vidéos qui donnent terriblement envie d’enfourcher son vélo, le tout orchestré par Jean-Christophe Savignoni et avec des parcours tracés par Sylvain Chavanel, natif de la région. Un beau projet en perspective porté par deux anciens cyclistes professionnels, qui a pour but de rassembler les passionnés, mais aussi les visiteurs curieux.
Retour terrain après cette première édition de l’ultra 400 du Gravel Fever
Le week-end a lieu du 20 au 22 octobre et de nombreuses festivités prennent place autour du vélo (démonstrations de BMX, expositions, essais de gravel, stands de producteurs locaux…) et surtout plusieurs formats de randonnées viennent rythmer l’événement. Du 80 km à faire en duo à l’ultra-distance de 400 km en semi-autonomie et sans assistance, le choix est large et peut convenir au plus grand nombre. Pour l’aventure et le défi personnel, j’ai choisi de m’engager sur le plus grand format.
Mon intention est de boucler le parcours entre la région parisienne et Châtellerault en 24 heures (durée maximale : 28 h) : à 20 km/h, les 400 km seront avalés en 20 h + 4 h de pause pour le ravitaillement et le repos. Je découpe la trace en trois pour les charger sur mon GPS. Entre chaque section, se trouve un ravitaillement (Orléans et Tours), une manière de me donner des objectifs plus faciles à accepter mentalement. 135 km en moyenne : trois belles et longues sorties du dimanche ! Côté entraînement, je ne roule presque jamais cette distance par faute de temps, mais je m’accorde une à deux heures d’activité sportive du type « endurance » quotidiennement et en alternant les pratiques (VTT, route, gravel, trail) et en axant principalement l’entraînement sur le travail en côte.
Je suis équipée pour l’épreuve d’un BMC URS en carbone, d’une transmission Campagnolo Ekar et de pneus WTB Raddler en 40 mm (légèrement cramponnés pour rester efficace sur un parcours annoncé plutôt très roulant). Côté bagagerie, juste une petite sacoche sur le top tube pour mettre de quoi grignoter et une sacoche de selle pour un essentiel de réparation, de secours et de change (gants, chaussettes, cuissard, maillot et doudoune pour l’arrivée). Côté éclairage, une lampe Stoots fixée au casque avec trois batteries supplémentaires pour ne pas avoir à perdre du temps à recharger.
La solitude dans la Beauce ultra arrosée
Avant le CP1 (Orléans)
Je joue à domicile pour le départ qui est donné devant le Vélodrome National de Saint-Quentin-en-Yvelines, place emblématique du cyclisme. Près de 90 personnes (seulement 4 féminines) sont présentes pour relever le challenge : des têtes connues, des copains et aussi des athlètes de haut niveau de la team Arkéa. Des montures chargées comme pour un voyage de plusieurs jours aux machines taillées pour la vitesse, des VTT 26 pouces transformés en “monstercross” aux vélos de route upgradés en pneus pas plus larges que 32 mm, les vélos sont tous plus différents les uns que les autres.
16 h. Le départ est donné. Ça roule fort devant et les écarts se creusent rapidement. La belle vallée de Chevreuse du sud de la région parisienne nous dévoile ses sentiers sinueux légèrement techniques et ses plus belles palettes automnales sous un joli soleil couchant inattendu. Les prévisions des prochaines vingt-quatre heures sont catastrophiques : vent de face, rafales à plus de 65 km/h et cumul de précipitations important. C’est très rapidement confirmé avec une première douche diluvienne qui nous arrose bien comme il faut dès 18 h. Les averses nous lâcheront définitivement vers 23 h.
Après Dourdan, charmante cité médiévale, les sentiers joueurs laissent place aux vastes plaines agricoles avec ses immenses champs de blé à perte de vue. Il fait nuit noire et on ne voit pas grand chose avec la pluie qui nous fouette le visage, mais je crois qu’on ne perd pas grand chose de ce coin de la Beauce. Je me retrouve seule dans cet environnement dénudé de tout arbre et exposé au fort vent du sud-ouest. Au loin, j’aperçois des lumières rouges qui scintillent. Il semblerait que ce soit un gros groupe de cyclistes. Je mets tout en œuvre pour tenter de rattraper ce cortège, car il reste une trentaine de kilomètres dans ce « No Man’s Land ». J’appuie à fond sur les pédales et frôle les 35 km/h contre le vent, mais me réconforte en me disant que cet effort temporaire sera vite récompensé quand j’arriverai à m’abriter. Je suis agréablement surprise de la vitesse à laquelle je parviens à remonter sur eux et tente de démarrer la conversation avec certains d’entre eux. L’ensemble du groupe semble très concentré sur l’effort et je ne brise pas plus longtemps le silence et la douce musique des pneus glissant sur l’asphalte humide.
À l’approche d’Orléans, le groupe se disloque et on s’engouffre dans une sombre forêt. Les chemins sont liquides et une grosse partie est défoncée par les sangliers : un vrai champ de mines très éprouvant où il faut régulièrement mettre pied à terre. L’imposante cathédrale Sainte-Croix d’Orléans sonne la première victoire, à savoir l’arrivée au premier point de contrôle. L’accueil de l’organisation est vraiment réconfortant et la chaleur des pizzas proposées est une belle récompense après avoir bravé déjà pas mal de difficultés en ce début de nuit. Alors que je suis arrivée en miettes, je repars en quelques minutes totalement requinquée et dopée à l’endorphine. Alors que certains se changent et se plaignent du froid, je suis surprise d’avoir chaud et de repartir juste en maillot long et coupe-vent sans manches. Je ne changerai plus ma tenue jusqu’à l’arrivée et n’aurai jamais froid. L’atmosphère est humide, mais les températures varient autour des 13 degrés toute la nuit, ce qui est étonnamment confortable pour cette fin de mois d’octobre.
Le trio infernal
Du CP1 (Orléans) au CP2 (Tours)
Je poursuis toujours seule, mais je ne m’ennuie pas, je ne m’endors pas. Une nuit blanche en gravel demande un pilotage et une concentration permanente, qui n’a rien à voir avec une nuit blanche sur bitume où l’on peut dérouler en toute quiétude. Parfois, un tronc à enjamber, de grosses flaques de boues à éviter, un minuscule sentier à trouver, ce n’est jamais monotone.
La nuit est toujours un moment particulier pour profiter de la nature. Tous nos sens sont en éveil. Notre vision doit redoubler d’attention et nos oreilles sont encore plus réceptives aux sons tout autour. Plusieurs fois, des sangliers et marcassins traversent devant mes roues et je ne compte plus le nombre de petites billes de lumières venant illuminer les bords des chemins, sûrement des renards. J’apprécie la quiétude des villages traversés et des maisons où plus aucune lumière n’est allumée. Le temps semble comme suspendu et l’impression de vivre un moment privilégié est encore plus forte. La trace progresse au cœur des majestueuses forêts de Sologne. Le terrain alterne petites routes et pistes au revêtement stabilisé. C’est beaucoup plus roulant et les arbres nous protègent pas trop mal du vent sur cette section.
Alors que je remonte une large route en direction du château de Chambord, deux cyclistes en file indienne me dépassent sur la gauche et me lancent : « Tu prends le train ? ». Je n’hésite pas une seconde. C’est Pierre-Louis, un Parisien, et Nicolas, un Belge, qui roulent et sympathisent ensemble depuis déjà 70 kilomètres. Je les récupère au kilomètre 150 et on reste tous les trois pendant près de 170 km. Finalement, pas de passages de relais, mais plutôt de bonnes discussions et rigolades qui font défiler les kilomètres beaucoup plus rapidement que lorsque j’étais seule. Pédaler avec des personnes inconnues donne l’impression de les connaître depuis des années alors que l’on partage la route que depuis seulement quelques heures. Comme j’aime souvent le dire, le vélo, c’est comme le vin, ça désinhibe. On parle très vite de tout et de rien, on se dévoile et on se découvre des passions et des connaissances communes. Le ciel est à présent clair puisque l’on aperçoit un magnifique ciel étoilé. On devine au loin les contours de l’impressionnant château de Chambord qui vient d’éteindre son éclairage pour la nuit. Magique.
La progression se fait tranquillement sans forcer et de manière constante, sans trop de pause. Sauf à partir du moment où la chasse au ravitaillement en eau devient problématique. La nuit complexifie la mission : tout est fermé et l’obscurité n’aide pas à trouver d’éventuelles sources possibles. Alors à chaque village, on guette le moindre cimetière ou robinet présent en façade extérieure, en vain. Ma bouche est sèche et déshydratée depuis trop longtemps, je vais le payer… À Amboise, vers 5 h 30, une boulangerie nous délivre le précieux sésame : un remplissage de bidons qui se faisait vraiment attendre. Pour le croissant tout chaud, c’est malheureusement trop tôt… Jusqu’à Tours, je reconnais des parties roulées sur la Touraine Gravel Challenge quelques semaines auparavant, notamment de superbes chemins blancs qui permettent de dérouler.
Rafales de vent et pépins techniques
Du CP2 (Tours) à l’arrivée
Tout comme le point de contrôle d’Orléans, celui de Tours fait également des merveilles. Je connais Anne-Laure qui s’occupe entre autres de la permanence de ce ravitaillement. C’est bête, mais retrouver des têtes connues met du baume au cœur et motive à nouveau pour la suite. Je ne souhaite pas traîner, car l’atmosphère générale est plutôt morose et négative avec beaucoup de participants partis trop vite et qui cherchent des solutions pour rentrer chez eux. J’apprends qu’il y a déjà un paquet d’abandons. Dernière section à charger sur le GPS. La remise en selle est étonnamment facile et le jour qui se lève est particulièrement stimulant. La luminosité naturelle apporte beaucoup de fluidité au roulage et j’ai la sensation de rouler plus vite. C’est fou ce que le corps récupère vite. Je quitte Tours avec l’envie d’en découdre avec le parcours. Notre trio gagnant, avec Nicolas et Pierre-Louis se reforme et on se réjouit du plaisir simple du lever de soleil sur la nature. Maintenant, j’ai l’impression que le plus dur est fait…
C’est sans compter l’enchaînement de montagnes russes jusqu’à l’arrivée, les grosses rafales de vent toujours de face et la cassette de mon vélo qui commence à prendre du jeu… C’est un bruit métallique à l’arrière qui m’a alertée. Après un rapide constat, je me rends compte que les quatre plus petits pignons ne sont plus fixés à la cassette et que si je continue, je risque de ronger le cadre en carbone. Bien sûr, je n’ai pas l’outil pour resserrer la cassette sur moi. Il me reste 80 km… C’est frustrant, car je me sens en cannes. Je tente d’appeler un réparateur cycle indépendant répertorié sur Google à moins de dix kilomètres, mais sans succès. C’est vraiment la pampa ici et je n’ai pas d’autres solutions que de rallier l’arrivée à la force des mollets. Les vitesses passent difficilement. Je me mets le plus haut possible sur la cassette et tente de finir le parcours sur une seule et même vitesse. Ça pimente le final accidenté, mais le bruit semble moins fort et j’ai l’impression de ne pas trop faire de dégâts. Je perds mes deux camarades à ce moment-là, mais j’ai du mal à savoir s’ils sont devant ou derrière avec tout ça. À 17 km/h, scotchée sur le bitume dans cette soufflerie, je prends mon mal en patience et passe la ligne d’arrivée sans avoir vraiment profité des paysages baignés de soleil de cette dernière section.
À peine arrivée, j’aperçois immédiatement deux très bons copains, deux Romains, qui me redonnent le sourire et qui trouvent que j’ai plutôt une très bonne mine. Le ravitaillement d’arrivée est un peu léger après 400 kilomètres. Néanmoins, le petit trophée en bois, la bière locale et les chaussettes offertes sont appréciables. Nous nous trouvons dans une ancienne manufacture d’armement transformé en espace culturel. Ses deux immenses cheminées tout en briques sont incroyables.
J’ai le temps de profiter du camp de base festif du week-end, de faire une petite toilette du vélo, d’enregistrer quelques mots avec Jérôme Sorrel pour Oz’ondes fm, de boire une bière et de manger une frite avec les amis, avant de remonter dans le train et d’être de retour à la capitale vers 21 h 30.
Pour conclure
408 kilomètres pour 2 750 mètres de dénivelé positif. 49 participant.e.s sur les 88 bouclent le parcours dans les délais. Je termine en 14ème place après 23h35 d’effort, dont deux heures tout pile de pause dédiées au ravitaillement et à la recherche difficile de l’eau dans l’obscurité : quelques minutes d’avance sur mon estimation. Mais ces chiffres ne rendent absolument pas compte de la longueur de la nuit, de la pluie battante, de la boue collante, du vent atroce constamment de face et devenu particulièrement violent en fin de l’épreuve. Une épreuve physique, et surtout un accomplissement définitivement mental.
Classement final :
Ma trace Strava :
Heureuse de mon résultat, heureuse surtout d’avoir relevé le défi, puisque je n’avais jamais réalisé 24 heures d’effort sur le vélo, qui plus est en gravel. Aucune douleur physique malgré le terrain cassant et la durée de l’effort, juste la grosse sensation de manque de sommeil à l’arrivée. Même si le matériel a été mis à rude épreuve avec les conditions climatiques de l’épreuve, l’expérience m’apprendra qu’il faut être plus prudente et réaliser un contrôle complet du vélo avant le départ. Ça me coûtera un corps de roue libre…
J’ai adoré le parcours. On sent vraiment que la trace a été étudiée et travaillée pour nous faire passer dans les endroits les plus bucoliques possibles, et même parfois insolites. Je pense au charmant sentier le long de la rivière de l’Orge à Dourdan, la longue série de marches diaboliques d’Amboise ou encore le passage le long du pont métallique ferroviaire juste avant Tours. Les terrains sont très variés et le dosage route/gravel est parfait. Hormis la météo qui aura complexifié certains passages, c’est un parcours très roulant, certifié 100 % gravel. Je viendrai sans hésiter l’année prochaine pour tester le format 160.
Très bon retour… dommage pour l’écriture inclusive