Nouvelle idée fumeuse, jetée en pâture dans un monde du vélo qui se segmente, ou simplement une nouvelle façon de rouler ? Le Allroad prend une place de plus en plus large dans le monde du vélo. Bike Café suit depuis le début l’évolution de ce concept qui n’a rien de nouveau, mais qui a fini par devenir le qualificatif de nombreuses gammes de vélos et d’équipements. Le Allroad fait la synthèse de ce que recherchent les cyclistes modernes, désireux d’élargir les terrains de jeu restrictifs qu’on leur avait assignés. Il réunit sous ce vocable les vélos d’endurance et les gravel légers qui finissent par se ressembler, ciblant ainsi une part très importante du marché vélo. Dans cet article, nous avons voulu revenir sur le chemin de nos découvertes, pour partager avec vous notre plaisir de rouler sur « toutes les surfaces ».
Photo de couverture Laurent Biger : test de Cassandra et de Laurent du Nakamura Allroad Team.
Les plus vieux ont pour la plupart oublié et les plus jeunes n’ont pas connu le temps où l’on roulait partout avec le même et souvent le seul vélo que l’on possédait. Était-ce un Allroad ? Sur la randonneuse de papa, que l’on appelait simplement vélo, on ne se posait pas la question. Dans l’âge d’or du cyclotourisme de 1930 à 1960, nos anciens roulaient sur une infrastructure routière de mauvaise qualité. On ne se posait pas la question de savoir à quelle catégorie appartenait le vélo : on roulait avec le même pour faire du sport, du voyage, les courses au marché et même pour aller au boulot, avant qu’on appelle ça le “taf”. Les cyclos montagnards ignoraient le mot gravel, les anglais du Rough Stuff Cycling grimpaient les Alpes avec des vélos standards et quand ça ne passait pas, ils les portaient.
“Je ne suis pas pour l’usage de termes anglais lorsqu’on peut les éviter, mais ce mot “Allroad” m‘a convaincu. En 2023, j’avais publié un article intitulé “Le Gravel nous rend flous“, mettant l’accent sur les incertitudes que ce vélo avait suscité dans le monde du vélo. J’ai bien essayé de chercher des repères dans le gravel ou dans le vélo d’endurance, mais à chaque fois cette formule Allroad, s’adressant à différents types de terrains, s’est imposée à moi. Pour certains puristes, hyper pointus dans les différentes disciplines du vélo, ce terme peut sembler être, par son côté multi-usage, une hérésie cycliste de plus. Alors pourquoi est-il si souvent utilisé désormais pour qualifier des produits, que ce soient des vélos ou des équipements ?” déclare Patrick qui a testé le Defy, qualifié de vélo d’endurance par Giant, et qu’il a trouvé Allroad.
On a choisi de parler très tôt de cette capacité à rouler sur différentes surfaces…
La versatilité est devenue tendance et nous voyons arriver sur le marché des vélos de route qui ressemblent de plus en plus à des vélos de gravel. La capacité de s’adapter rapidement aux circonstances, passant de la route au chemin et inversement, a fait naitre une certaine porosité entre les pratiques. Le terme Allroad (toutes routes) exprime cette capacité du vélo à rouler sur une large palette de surfaces différentes. On lui oppose souvent un autre terme comme “vélo d’endurance”. On comprend moins bien ce qu’est un vélo d’endurance : c’est une qualité qui appartient surtout à celui qui roule sur ce vélo. Pour le gravel, c’est un autre débat. On lui donne aujourd’hui tellement de vocations qui finissent par segmenter cette famille, comme cela a été le cas dans le VTT. On finit par s’y perdre : rando, voyage, race, exploration, monster… En analysant tout ça sur Bike Café, on a choisi de parler très tôt de cette capacité à rouler sur différentes surfaces que l’on baptise Allroad en mode ultra, rando, voyage… Ce débat sémantique ne doit pas nous faire sous estimer l’influence marketing du concept, mais dans la mesure où il nous convient, on l’adopte.
“Je suis un cycliste génétiquement “routard”, c’est de cette façon que j’ai débuté le vélo. Lorsque le VTT a débarqué en France j’étais à fond dans la course à pied et cette pratique tout terrain m’a totalement échappé. C’est sans doute pour cette raison que je me reconnais plus dans ces vélos Allroad qui ressemblent à des vélos de route. Certains pensent que ce sont des vélos d’endurance “gravelisés”. En fait ce sont des vélos qui ont hérité d’une géométrie route avec une position plus relevée, de passages de roues permettant la monte de pneus de 35-40, de transmissions avec des ratios “montagne”, des fixations pour des emports de différentes nature“, précise Patrick.
Le Allroad a semé ses petits cailloux sur Bike Café
Notre première rencontre avec le concept “Allroad” date d’une visite à l’Eurobike 2015 où, sur le stand Mavic, nous échangions sur de nouveaux produits que la marque jaune avait testés aux US pour le marché américain. Patrick avait beau répéter à son interlocuteur chez Mavic qu’il s’agissait de gravel, celui-ci répondait “Nous, on appelle ça du Allroad…“
Nous avons roulé en avril 2016 sur la cyclo-sportive Paris – Roubaix Challenge sur un vélo Raleigh, le Rocker Pro. Notre chroniqueur était équipé de la tête aux pieds de la tenue “Allroad” mise au catalogue de Mavic cette année là. D’autres équipements ont suivi et c’est Dan de Rosilles qui a découvert lors d’un Press Camp Mavic la suite de cette gamme sur des vélos de Caminade dont le fameux modèle “Allroad”.
En 2023, Gerard Vroomen, co-fondateur de Cervélo, qui est passé chez 3T et qui a ensuite créé Open Cycle, témoigne de ce phénomène dans un article publié sur Bike Radar. “Dès que les vélos de route ont eu des freins à disque, il y a eu très peu de différence entre eux et les vélos de gravel“, explique t-il. Chez Wish One, cette option Allroad s’est imposée pour leur vélo carbone fabriqué en France. Matthieu a pu le découvrir sur les pistes des Causses en compagnie de Victor Bosoni, le Petit Prince de l’ultra-cyclisme.
En septembre 2023, Matthieu avait testé le nouveau Wish One Sub sur les pistes des Causses à Millau, sur le terrain de jeu de la marque aveyronnaise. “Le Sub carbone est optimisé pour rouler avec des pneus de 30 à 35 mm. Il peut aussi accueillir des sections de 40 mm. Étonnant pour un vélo de gravel ? Oui, si l’on pense à un vélo de gravel “classique” pouvant accueillir des pneus de 45 mm, voire davantage. Non, si l’on suit la logique de Wish One, souhaitant positionner ce nouveau modèle pour la compétition. Un gravel race ou un Allroad Performance ? La limite est fine… je vous l’accorde” écrivait Matthieu dans son essai.
Matthieu a continué à évaluer cette pratique du Allroad en testant le Chiru X-Root – un vélo en titane conçu par Pierre-Arnaud Le Magnan – qui l’a séduit par sa performance et sa polyvalence. “Sur la route, le X-Root offre un excellent rendement, même avec les roues Crankbrothers plus lourdes. Le gain de confort est perceptible sur les routes dégradées que Patrick sur le Defy et moi avons empruntées lors de notre sortie vers Maussane pour tester le radar Garmin Varia. Sur le plat, le vélo s’emmène sans broncher à 35 km/h et même chaussé de pneus de 40 mm, je parviens à maintenir cette vitesse pendant de nombreux kilomètres. J’imagine le rendement encore supérieur avec en montage en pneus tubeless de 32 mm“, raconte Matthieu dans son essai.
En 2022, le Cannondale Synapse avait ouvert la voie vers ces nouveaux vélos d’endurance, capable d’installer des pneumatiques larges (à l’époque, le vélo offrait un dégagement de 35 mm pour les pneus). Le nouveau Synapse 2025 offre maintenant un dégagement important pour passer des pneus larges : jusqu’à 42 mm à l’arrière et 48 mm à l’avant.
Le cœur du marché du vélo sportif ou de loisir est AllRoad
Dans un paysage du vélo à large spectre, entre le vélo taillé pour l’aventure extrême et celui qui est dédié aux coursiers du World Tour, la majorité des pratiquants se situe plutôt au milieu. C’est là également, que l’on retrouve les cyclistes qui expriment une attirance pour des surfaces mixtes. Le cœur du marché du vélo sportif ou de loisir est Allroad… C’est celui de la quête des cyclistes du dimanche qui ne cherchent plus à ressembler aux champions du Tour de France, faisant le choix de vélos plus confortables et polyvalents. C’est aussi celui des urbains qui découvrent d’autres aspects du vélo et qui, en quête d’aventures, sortent de la ville sur des vélos en bikepacking.
Les marques s’emparent du mot Allroad
Cette année, vélos et pneumatiques fleurissent dans cette catégorie. Les châssis des vélos autorisent le montage de pneus tubeless plus larges. Gerard Vroomen avait raison : le vélo de route s’est rapproché du gravel et tous les “routard” trouveront leur bonheur sur un vélo Allroad qui ressemblera à leur ancienne monture. N’est-ce pas là où se situe le marché du vélo sportif et de loisir ? Si vous tapez vélo Allroad sur votre moteur de recherche préféré, vous n’aurez que l’embarras du choix. Nous nous réjouissons à l’avance de vous parler des nouveautés qui arrivent.
Récemment Hutchinson nous a dévoilé son Caracal Allroad que nous testerons cet été.
Pirelli a aussi dévoilé récemment un pneu qui se veut très polyvalent, le Cinturato Evo TLR. Fabriqué en Italie dans l’usine Pirelli de Bollate près de Milan, ce modèle est un pneu tubeless-ready conçu pour être utilisé sur route ou pour le gravel ou les déplacements vélo-travail. “Ce nouveau pneu se décline dans de nombreuses dimensions allant de 28 à 55 mm (!), idéales pour tous ceux qui souhaitent sortir des chaussées goudronnées, mais sans renoncer à la fluidité d’un pneu au dessin « slick », que la surface soit en asphalte ou non “, précise le communiqué de presse.
Pour conclure
Pour nous, cela ne fait aucun doute, le caractère polyvalent des vélos Allroad va séduire un nombre important de cyclistes. Les performances de ces vélos sont très honorables et le confort est au rendez-vous. Il restera des cyclistes qui cherchent la performance exclusivement sur route. Il y aura aussi de fervents adeptes de gravel un peu engagé. Ce qu’on aime dans le Allroad, c’est justement l’absence de segmentation. L’accès à un terrain de jeu élargi, par ceux qui se dotent de ce type de vélo, est justement l’envie de ne pas entrer dans une case. En voyant sur nos routes le nombre de cyclistes qui roulent encore sur des vélos carbone de première génération avec des freins sur jantes étroites chaussées en 25, on se dit que pour eux le prochain vélo sera un Allroad. Ils pourront aller rouler sur des petites routes rugueuses parfois sur des chemins, loin des routes de plus en plus dangereuses. Ils seront moins “cassés” que sur leurs vieux coursiers archi raides. Ils descendront les cols sans appréhension et ils monteront les pentes les plus raides avec des ratios plus adaptés que les vieilles transmissions compactes. Sur ces vélos moins exigeants, ils retrouveront le plaisir de pédaler sans rien concéder à la performance. Nous n’avons pas parlé des VAE route Allroad, mais les conclusions seraient les mêmes concernant les vélos assistés de ce type.
100% d’accord avec l’article et les citations de Patrick.
On ne parlerait pas de tout cela si les fabricants de vélo n’avaient pas choisi, pour développer leurs ventes, une stratégie de communication basée sur le concept simpliste (et faux) que “si c’est bon pour les pros, c’est bon pour moi” (qui ne suis pas compétiteur).
Ça satisfaisait tout le monde intéressé, commercialement parlant (équipes, coureurs, fabricants); mais c’était une supercherie (dans un milieu où elles pullulent) et ceux qui tentaient de la dénoncer étaient pris pour des “passéistes”. Certes, parmi eux, certains s’enfermaient dans des considérations totalement déconnectées de celles des pratiquants et qui tenaient plus à de l’idéologie sous la “direction” de l”‘apôtre” Paul de Vivie (Velocio), mais pour la plupart, les guéguerres passaient au-dessus de la tête du cycliste amateur lambda.
Donc, en gros, on revient à un marketing centré sur les besoins des clients. Ce qui devrait être une évidence pour tous les gens de bonne foi ne semble pas encore, en apparence, accepté par tous. Soit ceux qui ont à perdre dans cette évolution, soit ceux qui en ont fait des totems identitaires.
Peu importe, je pense comme vous que c’est irréversible.
Merci Vince … Effectivement un marketing centré besoins clients serait plus juste que toutes ces tentatives de segmentation qui brouillent les cartes. Dans ces tribus de marketeurs on vénère les totems identitaires, pensant ainsi grossir les ventes. On arrive à ne plus rien comprendre.