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The Transcontinental Race, ce Vendée Globe cycliste

Le 29 juillet 2018 à 22h00 a été donné en Belgique, au pied du mur de Grammont, le départ d’une des plus célèbres et palpitantes courses de vélo d’ultradistance. Peu connue du grand public, The Transcontinental Race (“la TCR” pour les initiés) attire néanmoins de plus en plus d’aficionados enfiévrés et insomniaques, qui scrutent nuit et jour sur leurs écrans d’ordinateur d’étranges points numérotés qui se déplacent imperceptiblement sur une carte de l’Europe. Explications.

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Une discipline en pleine expansion

Désormais, des événements de cyclisme d’ultradistance fleurissent sur tous les continents. Si vous vous intéressez à cette folie, vous pouvez, tout au long de l’année, suivre les cyclistes de l’extrême qui, sans assistance et quasiment sans escale, parcourent le plus rapidement possible des tracés de plusieurs milliers de kilomètres. Il y en a pour tous les goûts : sur les chemins en VTT ou en gravel bike, sur route avec des vélos de course équipés de bike packing et de prolongateurs. Dans le registre “sur asphalte”, que ce soient des courses, des challenges ou autres “events” (c’est-à-dire sans classement officiel) il y a, sur des distances de 3000 à 6000 km, outre l’européenne Transcontinental Race qui nous intéresse aujourd’hui, The Japanese Odyssey, l’Indian Pacific Wheel Race en Australie, The Transatlantic Way en Irelande, The Trans Am Bike Race qui traverse les USA d’ouest en est… En comparaison, avec son parcours de 1200 km à travers la France, le déjà sérieux challenge Born To Ride de Chilkoot fait figure de petit poucet.

Prolongateurs et bike packing sont les attributs indispensables du cycliste d'ultradistance - photo Camille Macmillan
Prolongateurs et bike packing sont les attributs indispensables du cycliste d’ultradistance – photo Camille Macmillan

Même s’il s’agit d’épreuves très dures et qui nécessitent une préparation mentale, physique et technique extrêmement longue et pointue, même si les participants (tous amateurs) supportent les frais logistiques et d’approche inhérents à des courses souvent situées loin de chez eux, même si les frais d’inscription, incluant assurance et tracker GPS sont assez onéreux, les listes d’attente pour participer à ces événements sont de plus en plus longues. Pour prétendre à la TCR, il faut remplir un dossier d’inscription avec lettre de motivation et CV cycliste. Certains sont tirés au sort, d’autres sélectionnés d’office, pour peu qu’ils aient fait un bon résultat lors d’une édition précédente. Dans tous les cas, les places sont chères…

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En 2017 le concurrent #80 Nelson Trees a terminé 7ème en 10 jours, 23 heures et 24 minutes – Photographie Lian Van Leeuwen

Le principe et la méthode

On peut dire que le principe de la TCR est simplissime : ici, pas de classement par points, de maillots distinctifs ni d’étapes de transition. Il s’agit de faire en vélo, le plus rapidement possible et sans aide extérieure (les anglo-saxons disent : “self-supported race”) un parcours d’un point A à un point B, en traçant sa propre route, mais en respectant des points de passage obligés, les fameux “Control Points” (CP). Le gagnant est celui qui arrive premier, c’est à dire qui aura roulé le plus vite, mais surtout qui aura su tracer le parcours le plus fluide et qui ne se sera, pour ainsi dire, pas arrêté : chaque arrêt (repos, repas…) est un lourd handicap, puisqu’il fait chuter la moyenne absolue. Les premiers arrivés ne sont donc pas forcément les plus rapides sur le vélo, mais ceux qui trouvent le bon équilibre entre vitesse et régularité. L’année dernière, le cycliste anglais James Hayden a ainsi traversé l’Europe du Nord au sud, soit 3800 km entre le départ (Geraardsbergen en Belgique) et l’arrivée (Meteora, en Grèce) en 9 jours, 2 heures, et 14 minutes.

Melissa Pritchard est la concurrente la plus rapide de l'édition 2017. Elle a terminé l'épreuve en 13 jours, 2 heures et 29 minutes
Melissa Pritchard est la féminine la plus rapide de l’édition 2017. Elle a terminé l’épreuve en 13 jours, 2 heures et 29 minutes

Les règles de la TCR

La course est basée sur une liste de dix règles :

1 – Rouler du point de départ au point d’arrivée en passant tous les points de contrôle

Les plus malins tracent des itinéraires avec le moins de dénivelé possible, les enrobés les plus roulants… Toutefois, pour éviter au maximum les accidents, la direction de course interdit les routes les plus dangereuses et les autoroutes. Certaines voies rapides des pays de l’est, constellées de nids de poules et parcourues par des camions fous, sont à proscrire totalement. Certains concurrents ont aussi eu fort à faire avec des chiens errants… Malheureusement, plusieurs accidents mortels ont déjà endeuillé des courses d’ultradistance. Mike Hall, fondateur de la TCR, a ainsi perdu la vie lors de l’édition 2017 de l’Indian Pacific Weel Race.

Tampon au CP4 - photo Kristian Pletten
CP4 validé ! – photo Kristian Pletten

Les points de contrôle sont tenus par l’organisation, on y fait valider, d’un coup de tampon, sa carte de route. Il faut passer les CP dans l’ordre de leur numérotation et avant une date et une heure limite ; s’il est trop lent, la “porte temps” se referme irrémédiablement devant le concurrent malheureux qui ne sera donc pas un “finisher”.

Les logos des CP sont très graphiques. Cette année, le CP4, une ancienne prison située sur les hauteurs de Sarajevo, fut pendant le conflit entre Serbie et Bosnie un centre de tortures. Il faudra y monter via une piste non goudronnée.
Les logos des CP sont très graphiques. Cette année, le CP4, une ancienne prison située sur les hauteurs de Sarajevo, fut pendant le conflit entre Serbie et Bosnie un centre de tortures. Il faudra s’y hisser via une piste non goudronnée.

2 – Pas d’aide extérieure, de ravitaillement ou d’hébergement…

Hors de ce que le concurrent peut trouver par lui même, bien entendu. Certains cyclistes préfèrent assurer avec un minimum de confort : douches, nuits d’hôtel, restaurant… Mais les plus rapides ne font que des micro-sommeils roulés en boule dans un fossé, contre le mur d’une station-service ou sur le banc d’un abri-bus… À l’instar des navigateurs solitaires, ces concurrents pratiquent le sommeil polyphasique : vingt minutes de sommeil profond de temps en temps pour retrouver de la lucidité et une “nuit” de trois heures après plusieurs jours d’efforts pour recharger les jambes en énergie. Dans tous les cas il est interdit de solliciter une aide “privée” (comme dormir chez un ami par exemple) car cela ne serait pas équitable vis à vis des autres concurrents.

Pas de directeur sportif ni de masseur sur la TCR - photo James Robertson
Pas de directeur sportif ni de masseur sur la TCR – photo James Robertson

3 – Interdiction de rouler dans la roue d’un autre concurrent

Sauf dans la formule “duo”, le “drafting” est interdit car, bien entendu, il peut être considéré comme une aide extérieure. Après le départ groupé, sur un itinéraire “libre” de plusieurs milliers de kilomètres, les concurrents ne passent que très peu de temps au contact les uns des autres. On voit par contre régulièrement des sympathisants accompagner pour quelques kilomètres certains concurrents. C’est autorisé, mais en roulant à côté, pas devant. Bien sûr, il est également interdit de rouler protégé par une voiture, ou tout autre type de véhicule.

4 – All forward travel must be self powered

Jean-Yves Couput, cycliste émérite, nous explique les finesses de cette règle : “Cela signifie que si tu as un problème technique par exemple, tu peux te faire transporter en voiture en faisant marche arrière vers un lieu où tu pourras réparer. Ce qui en soit est une règle plutôt pas bête”. Pour ce qui est de l’énergie à pédaler non-stop “vers l’avant” pendant une quinzaine de jours sur des routes inconnues, chacun trouvera sa motivation en puisant sans doute autant dans ses capacités mentales que dans son capital athlétique.

Le "rookie" (débutant) Rory McCarron retrouve sa fiancée à l'arrivée de lo'édition 2017 - photo Lian Van Leeuwen
Le “rookie” (débutant) Rory McCarron retrouve sa fiancée à l’arrivée de l’édition 2017 – photo Lian Van Leeuwen

5 – Voyager par bateau (ferry boat) uniquement sur des itinéraires autorisés

Le tracker GPS permet de suivre les concurrents en ligne et de visualiser leur parcours, leurs arrêts, leur classement. Mais c’est aussi un gage de sécurité – photo Kristin Pletten

L’organisation fait sans doute référence à des passages de fleuves, de canaux ou de détroits par bac ou par bateau, que les concurrents pourraient rencontrer sur leur itinéraire. On pense en particulier aux premières éditions dont l’arrivée avait lieu en Turquie.

6 – Tous les participants doivent laisser apparaitre leur trajet en permanence sur le site de suivi en ligne

Les concurrents sont équipés au départ d’un traceur GPS, qui permet de les suivre en ligne et en temps réel sur le site de la TCR. De plus en plus de fans, les “dot watchers“, se passionnent pour ces simples points numérotés qui positionnent sur la carte de l’Europe leurs concurrents favoris. Comme les cyclistes, ils passent de longues nuits blanches, mais eux ne roulent pas, ils regardent sur l’écran rouler les concurrents : Quelle route empruntent-ils, combien de temps et où s’arrêtent-ils, à quelles heure et à quel rang passent-ils les points de contrôle… C’est un spectacle assez hypnotique de voir ces points, tous groupés au départ dans les Flandres, s’éparpiller peu à peu dans l’immensité de l’Europe centrale. Grâce à cette géolocalisation et le complément de Google View, on peut même visualiser le paysage que traversent les concurrents, le col qu’ils sont en train de passer, voire la station-service hongroise où ils ont fait une halte… Sur les réseaux sociaux, les anecdotes relayées par les cyclistes eux-mêmes ou les internautes qui les suivent contribuent également à faire vivre la course par procuration.

Grâce à la géolocalisation et Google View, on peut visualiser le paysage que traversent les concurrents – photo James Robertson

7 – Une inactivité de plus de deux jours sur le tracker sans contact avec l’organisation équivaut à un abandon

Dans le tableau évolutif qui liste les concurrents et leur rang sur le site de la TCR, le mot “scratched” signifie qu’un concurrent a été éliminé ou a abandonné. L’inactivité du tracker est redoutée de l’organisation et des dot watchers, car elle peut être synonyme d’accident, et quelquefois malheureusement de décès. Lors de l’édition 2017, le tracker de Frank Simons s’est brutalement arrêté à Froidchapelle, en Belgique, quelques heures seulement après le début de la course. Heureusement, les accidents mortels sont très rares et la plupart des concurrents “scratched” le sont suite à un abandon. L’année dernière, cela a concerné plus d’un tiers des participants… C’est dire si cette course est dure. Pour les autres, le mot magique et source de toutes les joies est celui de “finisher”. Quel que soit son rang à l’arrivée, c’est une victoire sur soi-même et la consécration après des mois d’entraînement et de préparation minutieuse.

Mike Hall, créateur de la TCR et cycliste émérite, est décédé en 2017 durant l'Indian Pacific Wheel Race - photo James Robertson
Mike Hall, créateur de la TCR et lui-même cycliste d’ultradistance, est décédé en 2017 durant l’Indian Pacific Wheel Race – photo James Robertson

8 – Pas d’assurance, pas de casque, pas de lumières = Disqualification

C’est normal, non ? Malgré cette consigne élémentaire de sécurité, un concurrent a été éliminé l’année dernière pour avoir failli à cette règle, deux autres pour avoir emprunté des autoroutes.

9 – Les participants doivent respecter le code de la route des régions et pays traversés

Ça parait normal ça aussi. Il y a bien assez de tâches quotidiennes à gérer (pilotage, pédalage, alimentation, repos, itinéraire, …) et d’aléas (météo, animaux qui traversent et voitures qui frôlent…) pour ne pas avoir de surcroît à parlementer avec un agent verbalisateur de la Police Serbe (je n’ai rien contre la Police Serbe, hein, attention).

10 – “Ride in the spirit of self reliance and equal opportunity”

Stéphane Ouaja, qui sera dossard 12 cette année et qui a fini 9ème en 2017 en 11 jours, 5 heures et 48 minutes nous explique l’esprit de cette règle : « On ne peut pas tirer avantage d’opportunités qui ne se présenteraient qu’à soi. Cela concerne les “aides privées” (cf exemple de l’hébergement chez un ami dans la règle n°2), mais aussi par exemple les “trails angels” qui sont des dotwatchers qui viennent au bord de la route tendre une bouteille d’eau fraîche ou proposer du ravitaillement. Lorsqu’on joue le haut du classement, le soutien de ces trails angel doit être strictement refusé.  Il est cependant toléré que les trails angels paient des vivres dans un lieu type station-service, etc. »

Il faut être un cycliste aguerri et endurci pour participer à la TCR – photo James Robertson

Quand la réalité se confronte au mythe

Alors, êtes-vous prêts à rentrer dans la course ? Non, je ne vous parle pas de participer vous-même à cet événement extrême : cela nécessite des mois, voire des années de préparation. Il faut être un cycliste aguerri et endurci, capable de rouler des nuits entières, d’affronter sans broncher un soleil de plomb, des vents ou des orages violents pendant des heures sans cesser de pédaler, mariner dans sa sueur pendant des jours sans changer de cuissard ni prendre une douche, accepter d’être seul, frôlé par des camions ou poursuivi par des chiens affamés à des milliers de kilomètres de chez soi… Tout le monde ne peut (ou ne souhaite) pas vivre une telle aventure. Mais suivre et supporter ces cyclistes de l’extrême en ligne, sur le site de l’organisation et via les réseaux sociaux va constituer dans les deux semaines qui viennent, un sport sur canapé que votre serviteur va pratiquer assidûment. Et je ne saurais que vous conseiller de suivre mon exemple. Vous verrez, c’est passionnant, et c’est ici ou .

James Hayden
Non content de finir premier en 2017, James Hayden a battu le KOM Strava de la dernière montée juste avant l’arrivée – photo James Robertson
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Dan De Rosilles
Dan De Rosilleshttps://www.strava.com/athletes/5149425
Dan de Rosilles quadrille sans relâche les routes et les chemins d’Occitanie, entre Cévennes et Camargue. Traceur passionné d’itinéraires de route et de gravel, il administre plusieurs clubs Strava : Arles Gravel, Mi-Fixe-Mi-Gravel, Cyclistes Arlésiens Longue Distance (CALD) et Arelate Denta Rota Fixa. Il aime le pignon fixe, la longue distance, le bikepacking, la pêche à la mouche, le saucisson et les bières artisanales. Ses textes et ses photos sont publiés régulièrement sur Bike Café et plus ponctuellement dans la presse papier.

11 COMMENTAIRES

  1. Bel article.
    On pourrait traduire par :

    “Tous les déplacements vers l’avant doivent être auto-alimentés”. Ça rejoint la notion de self-supported race.

      • En faite la règle a été simplifiée pour rentrer sur le brevet card, en détail, cette règle explique que si vous faites du stop depuis un endroit X pour rejoindre Y et y faire réparer votre vélo, vous devez retourner à X à l’aide de votre vélo avant de reprendre votre trace.

  2. Dan, cela signifie que si tu as un problème technique par exemple, tu peux te faire transporter en voiture en faisant « marche arrière » vers un lieu oú tu pourras réparer. Ce qui en soit est une règle plutôt pas bête.

  3. 1/(et dans l’ordre) c’est un détail qui a eu son importance dans les précédentes éditions

    2/l’explication donné n’est pas pertinente, cette règle fait référence au faite que vous ne pouvez obtenir une aide privée comme par exemple dormir chez un ami à vous qui habiterait sur votre trace. L’aide que vous obtenez doit être accessible à tous (principe d’équité également évoqué en règle 10)

    3/ interdiction de drafter derrière tout type de véhicule.

    10/“Equal Opportunity”, ne tirez pas avantage d’opportunités qui ne se présenteraient qu’à vous, cela concerne les “aide privé”, mais aussi les “trails angels” qui sont des dotwatchers qui viennent au bord de la route vous tendre une bouteille d’eau fraîche, si vous jouez le haut du classement, le soutien des trails angel doit être strictement refusé. Il est cependant toléré que les trails angels paye des vivres dans un lieu type station service, etc.

  4. Merci pour cet article très éclairant !
    Bon, c’est plus fort que moi mais j’ai repéré une coquille : “Quelque soit son rang à l’arrivée” au lieu de “quel que soit”.
    Par ailleurs j’aurais plutôt écrit “faire vivre” dans la phrase “contribuent également à vivre la course par procuration”.
    Cela étant dit, et écrit, je vais jeter un œil aux petits points lumineux… 🙂

  5. Merci du résumé je n’avais pas les détails mais c’ets fort intéressant et bien inspirant !

    Ou peut on lire des “anecdotes” ou récit de ces editions ? J’ia un peu la flemem d’aller chercher chez les concurrents … un petit best of existe il ?

    En tout cas c’est encourageant, si eux peuvent la faire sans mourir on doit bien pouvoir faire 1000km sur un mode similaire sans risque démesuré non ? (je dis pas que je le fais demains à fond).

    Je dis ça parce que j’avais toujours entendu que l’ultra n’existant pas en vélo parce que hyper dangereux alors que % trail je ne voyait pas bien le danger. Je trouvait totalemnt assptisées les courses “cyclistes” et les “Paris Brest” me semblaient être le maximum envisageablee. Cela me rassure de voir que je ne suis pas le seul à juger ce danger comme “gérable”.

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