Le challenge TREK UCI Gravel World Series, lancé cette année avec l’objectif d’aboutir à un championnat de cette jeune discipline cycliste, créé du remous dans la communauté gravel. La compétition s’installe officiellement dans ce monde bouillonnant, qui échappait jusqu’alors aux sanctions du chronomètre. Est-ce une bonne chose ? Cela va t-il influencer l’esprit gravel ? J’entends déjà certains commentaires négatifs, venant de ceux qui avaient trouvé dans le gravel, une pratique plus apaisée et plus contemplative que la compétition.
La compétition est en nous…
La compétition va sans doute apporter dans le gravel comme un air de discorde. Le philosophe anglais Thomas Hobbes dit que : « Nous trouvons dans la nature humaine, les principales causes de discorde : tout d’abord, la Compétition : en second lieu, la Défiance ; et en troisième lieu, la Gloire »
La compét est dans l’inné de la race humaine…
L’Homme (au sens espèce humaine) est un compétiteur, on n’y peut rien, c’est ainsi. La compét est dans l’inné de la race humaine. Installée très tôt sur les bancs de l’école, elle suit l’homme à tous les moments de sa vie. Elle génère souvent des débordements et des excès poussant certains à utiliser des stratagèmes pas toujours honnêtes pour être les meilleurs. Notre société de l’image valorise les vainqueurs et crée parfois des excès. C’est sans doute ce côté noir qui déplaira à ceux qui ont trouvé dans le Gravel un havre de paix cycliste.
Je comprends que le brouhaha médiatique, l’ingérence des marques et le décorum qui colle aux modèles habituels de la compétition, troublent la quiétude et l’esprit de liberté qui prévalait dans le monde gravel. Je reste persuadé que la compétition a, malgré tout, des aspects positifs. Sans elle, la société n’aurait sans doute pas progressé comme elle l’a fait. L’absence de challenge nous aurait enfermés dans un monde du passé. On peut voir le verre à moitié plein et se dire que le gravel apportera un air de fraîcheur au cyclisme.
Un thème de débat
Le débat est lancé, et ce fut un des thèmes des conférences Summit, lors du Festival Nature is Bike. J’ai suivi attentivement cette conférence à laquelle participait Matthieu notre Rédacteur en Chef. La position de la Fédération Française de Cyclisme, représentée par Pierre Idjouadiene (coureur et référent gravel FFC) est encore floue et démontre que le positionnement ou plutôt l’absence de positionnement du gravel déstabilise le monde du vélo. En effet, Pierre confirme ce que Michel Callot m’avait déjà déclaré à l’arrivée de la manche Treck UCI Gravel World Series à Millau : “On observe le phénomène qui se développe sur les axes compétition et loisir et on le laisse grandir. On privilégie les événements loisirs et découvertes.”
“Je suis convaincu qu’il y a une grande attente de la part des compétiteurs“, déclare Stéphane Bonsergent (ancien cycliste pro) qui a participé à la Gravel of Legend Plus instinctivement les marques y voient un développement du marché. Thimothée Pétrault de DT Swiss et Guillaume Brassod de SRAM, autour de cette table ronde (qui ne l’était pas), se réjouissent de ce dynamisme insufflé par ce segment sportif qui attire une nouvelle population, plus jeune. “Le côté amateur et la compétition ne sont pas antinomiques, sur la gravel Sram chrono 150, nous proposons des secteurs chronométrés et des jonctions entre ces secteurs à l’allure choisie“, explique Guillaume. “C’est par la compétition que l’on créé l’amusement lorsqu’on est petit, et ça commence dans la cours de récré. Il faut voir la compétition en gravel comme un exhausteur, pour pousser un peu plus loin notre plaisir dans cette pratique“, nous dit Thimothée ; et effectivement la compétition est une jeu et le gravel est un vélo joueur.”C’est clair qu’il y a un aspect business dans cette ouverture vers la compétition, mais cela va emmener le vélo sur une autre discipline ludique et plus fun, et créer une porosité qui va attirer à la fois les routiers et les VTTistes qui vont se confronter“, explique Matthieu. Effectivement, pour nous média vélo au sens large, ce sont de nouvelles expériences et de nouvelles histoires qu’il nous faudra raconter.
Le gravel : un nouveau cyclisme
Au risque de subir des critiques sur les réseaux sociaux, j’affirme que la compétition dans le monde du gravel n’est pas un “gros mot”, qui insulte notre pratique. On m’a reproché, il y a quelques années d’invoquer “l’esprit gravel”, je vais maintenant me faire taper sur les doigts par ceux qui sont devenus les gardiens du temple de ce fameux esprit. Tant pis ! … J’ai été compétiteur : dans le vélo, puis de façon plus engagée en course à pied. J’ai vécu l’avènement du trail running, et après nos premiers trails entre potes, j’ai vu poindre les Teams puis un championnat du Monde. Les réactions de méfiances ont été les mêmes, et aujourd’hui, nous pratiquons le trail en compétition et en mode “off” sans déclencher de guerre de tranchées.
Le monde du vélo a toujours su s’organiser pour s’adapter aux évolutions de la société. Le progrès fut lent et les “forçats de la route”, ont subit le prix de cette lenteur comme par exemple l’utilisation en compétition des dérailleurs, bien longtemps après leur invention. Autrefois les coureurs “indépendants” pouvaient participer aux compétitions des professionnels. Ce que j’ai vu à la première coupe du Monde gravel UCI de Millau me rassure sur cette mixité de niveau. Dans la montée du Poncho, les amateurs ont serré les dents pour suivre le train. D’ailleurs ce ne sont pas les pros qui sont entrés en premier dans le Causse Noir. Dans les marathons internationaux, les premiers tournent en 2 h et 05 minutes et derrière, ils sont des milliers à suivre de plus ou moins près ces champions.
l faudra bien sûr inventer de nouveaux moyens de retransmission. On va oublier les caravanes publicitaires, la cohorte de véhicules chargés de vélos de secours. On va inventer de nouveaux moyens : drones, motos électriques, caméras postées, caméras connectées sur les vélos… Je suis optimiste sur les moyens et peut-être que l’on reviendra à un cyclisme moins scénarisé, plus authentique avec moins d’oreillettes, de capteurs permettant de “téléguider” les coureurs. Pourquoi pas ! Je rêve d’un nouveau cyclisme…
La preuve par Teams
Dans le joyeux monde créatif du gravel, nous voyons se constituer des “Teams”, ça sent la compét, mais je vous assure que l’ambiance qui règne dans ces groupes de jeunes est plutôt décontractée et rigolarde.
Le Team Wish One, les filles du Team CDC GT (Café du Cycliste Gravel Team), nos amis suisses du Team Velosophe, le Team Look Gravel… ils ont tous la banane et plaisantent sur la ligne de départ des épreuves auxquelles ils participent. On est loin du stress et des visages fermés d’autres compétiteurs dont les enjeux pèsent des tonnes sur leurs épaules musclées. Ces teams sont une nouvelle preuve que la compét a toute sa place dans le gravel.
Et d’ailleurs peut-on encore parler de Gravel ? Existe t-il vraiment une “case” Gravel dans laquelle on rangerait une discipline bien codée ? Je ne crois pas : cette pratique exprime sa liberté, sa tolérance et se complaît dans une fusion un peu “bordélique” de différents genres… Bienvenue à la compétition, dans cette famille Addams du vélo.
Bonsoir,
Si la compétition amène son lot de déchets comme sur toutes les courses, alors je dis non, si elle apporte un cyclisme plus propre ( écologie) avec un travail sur les traces, les organisation, le matériel, les fringues enfin tout.
Si tel n’était pas le cas ce n’est pas grave, ma pratique portera un autre nom ou pas de nom.
Merci pour vos articles.
Eric
Je verrai bien ça comme le Paris Dakar avec un ”jeu de piste ” c’est à dire sans qu’il y ait qu’un seul tracé possible, c’est l’esprit Gravel pour moi.
Je pense que plusieurs catégories vont naîtres.
Ce n’est pas l’humain qui est compétiteur, c’est le jeune humain masculin. Ce sont des raisons biologiques.
Bonjour Isabelle … tu contestes l’égalité hommes / femmes 😉 Il n’y a pas que la testostérone qui agit. Je vois beaucoup de femmes et d’hommes plus âgés qui se livrent à des joutes curieuses en sport en politique ou dans plein d’autres domaines.
Je ne conteste pas l’égalité (en droits, respect etc) mais la similitude. De nombreux livres le montrent. Et rien ne me prouve que les femmes vivent de la même façon que les jeunes hommes les organisations avec classement.
“libre, imparfait et heureux” je confesse être plus contemplatif que compétiteur . Ce week-end petite balade dans la campagne française du mois de juillet pour voir les champs de lin avec des coquelicots . Je ne porterai jamais un dossard et le chrono n’est pas mon ami.
Mais j’avoue qu’il me sera impossible de laisser passer juillet sans à un moment donné jeté un œil sur le tour de France surtout quand çà grimpe.
Dans BIKE CAFE on ne juge pas on présente plusieurs façons de pratiquer le vélo. C’est cool.
Merci Philippe … effectivement on ne juge pas, et encore une fois chacun se fera une opinion. Si cela sert le développement du vélo c’est du positif.
Bonjour Patrick,
Ce qui est amusant, c’est que le programme du bac de français cette année propose plusieurs textes dont la déclaration des droits de la Femme et de la Citoyenne d’Olympe de Gouges. Elle y conteste fort justement l’argument “de nature” qui permet de justifier à peu près tout et n’importe quoi.
Mais sans rentrer dans des controverses sociobiologiques et pour apporter un peu d’eau au moulin d’Isabelle, il est amusant de jeter un coup d’œil historique sur le sport et la compétition. Son invention est à mettre au crédit de jeunes anglais suffisamment riches et bien nourris pour avoir encore le loisir de dépenser leur énergie dans des activités physiques (football ou rugby par exemple inventés au tournant du 19e/20e siècle). Plus tôt, les joutes du moyen-âge impliquaient de jeunes (ou un peu moins jeunes) hommes.
En bref, il semble tout de même que le prestige et le besoin de domination/hiérarchisation sociale soit souvent à la manœuvre dans les compètes et que ce soit plus souvent des mecs qui s’y adonnent 😉
Après, si la compétition fait plaisir aux uns sans porter préjudice aux autres, où est le problème. Les compétiteurs en gravel se tireront la bourre, pendant ce temps d’autres iront faire une sortie plus contemplative. Il y a assez de gravier pour tout le monde.
Merci Patrick … effectivement laissons les choses évoluer, chacun trouvera son plaisir dans le développement du vélo libertaire qu’est le gravel.
@Isabelle : “De nombreux livres le montrent”
Avec un pareil argument d’autorité, et de pareilles sources, tu as forcément raison.