Qu’est ce qui pourrait bien vous pousser à acheter un vêtement de sport usagé, vraisemblablement déjà porté par un(e) inconnu(e), alors que les vitrines du web et les boutiques du monde réel regorgent de textiles flambants neufs ? Qu’est ce qui vous motiverait à porter un jersey des années 90 en Tergal aux motifs bariolés, alors que vous pourriez porter à la place un maillot hyper technique et sobre en mélange mérinos / élastane ?
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Si vous avez coché de une à trois cases, vous êtes le (la) bienvenu(e) au rayon cyclisme de la boutique en ligne Gabba Vintage !
Puisque vous suivez assidûment les articles de Bike Café, vous savez que de temps en temps on jette un coup d’œil dans le rétro, et même parfois sur le néo-rétro. Mais le “vrai” maillot de vélo vintage est un témoin de son époque. Sa coupe, ses matières, son look, opèrent comme autant de révélateurs de datation type carbone 14 de l’histoire du vélo. Certains accros vont rechercher à tout prix le même maillot Gan que Poupou portait dans les années 70, ou pister pendant des heures l’introuvable maillot Helyett porté par Darrigade et Anquetil, alors que d’autres se contenteront simplement d’un produit daté, juste parce qu’il est sympa et décalé. Qu’ils soient spécialistes ou amateurs, maniaques ou dilettantes, amoureux de maillots Décathlon des années 90 ou de maillots en laine pour participer à une Eroica, les acheteurs de Fred occupent cette étrange niche du vintage, entre récup et nouveaux usages, pleine de sens et de valeurs.
La boutique en ligne Gabba vintage
Nous avons déjà plusieurs fois cité la boutique de Fred, notre ami cycliste d’Arles qui s’est lancé en 2012 dans la vente de de vêtements sportifs, des maillots principalement datés des années 70, 80 et 90. Mais il vend aussi des chemisettes hawaïennes, de chemises de bûcheron… d’ailleurs récemment redéclinées au goût du jour par des marques branchées de vêtements de cyclisme. Rappelez-vous de notre article sur les chemisettes… Fred avait été l’un de nos fournisseurs.
« Je vends du vintage depuis 2012. Vous ne me connaissez peut-être pas encore, mais moi je vous connais plutôt bien ! Depuis cette époque, j’ai vendu une quantité de vêtements à plein de gens, d’abord sur un grand site généraliste, puis depuis peu sur mon propre espace. J’ai entendu un certain nombre d’anecdotes, liées aux acquisitions de mes acheteurs. Qu’est-ce qui les obsède, les titille, les travaille ? Les gens aiment parler, même via leur clavier, et moi j’aime les écouter. Mais revenons à la question initiale : pourquoi achètent-ils des articles usés, datés, parfois abîmés, parfois même plus chers que des articles neufs ? », me dit Fred qui n’est pas un vendeur comme les autres …
Delatour x 4
Les clients de Fred sont aussi forcément des gens atypiques. Il en entend des choses … Parmi sa liste d’anecdotes, Fred m’évoque celle concernant des maillots Delatour. « Récemment, un acheteur m’a demandé de lui dénicher 4 tenues complètes (hiver et été) de l’équipe cycliste Jean Delatour en taille XL. D’emblée, je lui ai clairement dit que c’était impossible. Pas parce que je ne souhaitais pas les lui vendre, mais parce que la quantité, la variété et la taille demandées, rendaient la quête du Graal impossible… ce n’est pas toujours fastoche de décrocher la Lune !», explique Fred qui pourtant aime faire plaisir… quand c’est possible. Son catalogue regorge de maillots aux motifs et aux couleurs très variés, mais l’aléatoire de ses trouvailles va toujours créer des frustrations chez des clients en quête du jersey de leur rêve.
Si on veut porter du vintage (c’est-à-dire pas une copie, mais un vêtement qui date réellement de l’époque qu’il suggère), il faudra se contenter souvent d’un modèle unique. Fred explique à ses clients qu’il n’est pas question pour lui de proposer à la vente des maillots bas de gamme, sérigraphiés en série en Asie. Ça existe certes, et c’est souvent ce à quoi certains cyclistes pressés ou lassés de vaines recherches ont recours, mais cela n’intéresse pas Fred. Dans son métier, il faut d’abord un bon “sourcing” (trouver les vêtements ndlr) : courir les vide-grenier, les marchés aux fripes, fouiller dans les archives des magasins de vélo, contacter des vendeurs en gros partout dans le monde… Bref, retourner dans le passé, pour faire rejaillir au grand jour des vêtements oubliés, des coupes incongrues, des couleurs et des matières qui reviennent soudain à la mémoire de ceux qui les ont portées il y a vingt ou trente ans, et qui émeuvent les plus jeunes les découvrant pour la première fois.
Photos, boulot, vélo
Fred est cycliste lui aussi bien sûr. Pour se détendre, il adore parcourir les petites routes et chemins autour d’Arles, dans les Alpilles et en Camargue. Ses parents habitent un mas isolé à la sortie d’Arles, dont la piscine bleue a longtemps servi de fond de présentation pour les photos de ses vêtements. Aujourd’hui, il a rationalisé sa méthode de prise de vue, il photographie chez lui en intérieur, plus besoin d’attendre les beaux jours pour mettre de nouvelles fringues au catalogue. “L’essentiel de mon travail, outre le sourcing, c’est de photographier les pièces une à une, de les mettre en ligne avec descriptif, taille, couleur, etc… et ensuite d’aller à la poste envoyer les achats aux clients”. Un vrai travail, qui prend du temps, mais qui pour lui, reste intimement lié à sa passion de la “fripe”.
Le vintage, c’est gravel ?
Et si le vintage était fondamentalement gravel ? Porter des vêtements qui mêlent un look urbain et sportif, des tissus anciens et modernes, des coupes flottantes et moulantes, c’est mettre son look en résonance avec la nature métissée du gravel. Ces jerseys à l’effigie d’une équipe qui n’existe plus, qui portent des marques d’usure laissées par des propriétaires antérieurs dont on ignore tout, sont à l’image des paysages que l’on traverse en gravel, qu’on découvre, dont on se plait à (ré)inventer l’histoire quand on ne la connaît pas. Ces vêtements sont chargés d’histoires, nos routes et nos chemins aussi. S’affranchir des codes vestimentaires dominants pour composer un look plus personnel, fait d’emprunts à différentes marques et différentes époques, voilà une démarche résolument gravel.
L’usure et le cœur
La demande en vêtements vintage est symptomatique des achats effectués sur le site de Fred : on recherche de l’authentique. Bien sûr, l’authentique n’a pas la même odeur que celle du neuf, les coupes flottent parfois et les couleurs, il est vrai, peuvent être un peu palies. Certains maillots de cyclisme portent des taches de graisse, d’autres ont les aisselles découses, voire des trous, on peut aussi trouver des zips bloqués, des poches arrières qui baillent, des fils qui volent au vent. Mais l’authentique ressemble souvent à ça. Allez trouver un Peugeot BP Michelin 1973, un Renault Gitane 1978, ou même un La Fausto Coppi 1987 d’époque dans un état collector sans ouvrir largement votre porte-monnaie. Le rare est cher, mais chez Gabba Vintage, le vêtement d’époque, qui porte sur lui les stigmates de sa longue existence, demeure la plupart du temps tout à fait accessible.
Fred conclut l’entretien en parlant de la valeur financière mais aussi symbolique des vieux jerseys de cyclisme : « En fait, il n’y a pas de prix fixe, pas de cote établie. Tout dépend de l’offre, de la demande, et du cœur. Pourquoi un article va plaire et pourquoi tel maillot, après être resté 5 ans en ligne, va partir subitement ? mystère… Pourquoi certains convoitent activement des tenues Jean Delatour (2000-2003) alors que la majeure partie des cyclistes actuels ont oublié cette équipe ou simplement n’en ont strictement rien à faire ? Cela témoigne de la quête d’un passé mythifié. Tout était mieux avant, n’est-ce pas ? »
La boutique de Fred Gabba Vintage : https://www.gabbavintage.com/
Lien direct vers le rayon cyclisme : https://www.gabbavintage.com/cyclisme-cycling
“Et si le vintage était fondamentalement gravel ? ”
Les maillots des années 80 dans l’esprit gravel???
Franchement, tout et son contraire est gravel…
Soyons sérieux (un petit peu).
C’est à cette époque (arrivée du VTT) que les vélos les plus proches des gravels (le randonneuses) ont été ringardisées et abandonnées au profit des vélos copiés sur ceux des coureurs de classiques. Et les tenues des cyclistes copiées sur celles des pros.
C’est tout sauf gravel.
Mais peut-être que je ne comprends rien au gravel… (bien que j’en fasse depuis 30 ans).
Tu as raison Angstrom … quand on fait quelque chose depuis si longtemps on finit par ne plus comprendre pourquoi on le fait. Habitude, conservatisme, … je n’ai pas la réponse, mais ces tenues d’un autre âge, source de sourire et d’absence de sérieux collent bien je trouve à notre pratique.
Bonsoir Angstrom,
Je pense que vous avez lu ce paragraphe un peu vite.
La question n’est pas du tout de savoir si les maillots des années 80 sont dans l’esprit gravel, mais plutôt d’émettre l’hypothèse que le recyclage d’anciens maillots et leur association avec des vêtements plus récents ou d’autres d’autres origines est une forme d’hybridation, de détournement et de mise à distance.
Or, si vous nous lisez régulièrement, sur ce blog mais aussi dans la presse papier (je pense en particulier à nos articles consacrés au gravel dans Cycle ! Magazine n°12 et 15), vous savez sans doute que nous pensons que l’une des principales caractéristiques du gravel est sa capacité à mélanger les genres, produire du neuf (en terme de pratique par exemple, mais aussi d’itinéraires, de façons de rouler etc…) en s’appuyant sur ce qui existe déjà.
En espérant que cet éclaircissement vous permette de voir cet article sous un œil nouveau,
Merci de nous lire,
Dan