Comme vous le ressentez sans doute au niveau de votre postérieur lorsque vous allongez les distances, en matière de selle, le diable est dans les détails. La très grande diversité de modèles, de formes… que proposent les fabricants est bien sensée pouvoir dialoguer avec l’infinie variété des culs de cyclistes, mais rien n’y fait, il y a toujours un moment ou une douleur, un point de compression ou d’échauffement, quand ce n’est pas une blessure, donne envie de rentrer à la maison au plus vite malgré les quelques 45 kilomètres restants !
L’équation se complique quand on prend conscience que les plus infimes réglages de la selle (hauteur, recul, inclinaison) contribuent au confort (ou à l’inconfort) des culs suscités. J’avais d’ailleurs évoqué cette “quête sans fin” dans un article dont l’ambition était de proposer une méthode pour choisir la bonne selle (ou, du moins, la moins pire).
Fort de ce préambule, je vous propose aujourd’hui d’aller voir de plus près un modèle de chez Selle San Marco, au nom très high-tech, mais non moins explicite : Shortfit 2.0 3D.
Commençons par la fin. “3D”, vous l’aurez compris, fait référence à la technologie d’impression, de plus en vogue chez les fabricants de selles haut-de-gamme, utilisée pour fabriquer la chape de la selle. C’est une technologie innovante qui permet d’obtenir des selles aux caractéristiques très intéressantes, telles que je les décris dans cet article publié récemment sur Bike Café.
Shortfit fait référence à la longueur (je devrais peut-être dire la brièveté) de cette selle qui, comme chez beaucoup d’autres fabricants où cette tendance s’affirme, promet une plus grande polyvalence qu’avec des selles plus “classiques” et donc plus longues. Cette polyvalence sera intéressante en gravel, où les positions de pilotage varieront selon qu’on soit dans un singletrack ou sur la route. En enduroad, une selle courte se conçoit aussi, car on variera d’assise selon qu’on soit sur le cintre ou sur les prolongateurs. Mais n’allons pas trop vite en besogne ; commençons par le commencement, la genèse de cette Selle San Marco.
La technologie DLS
La fabrication de la Shortfit 2.0 3D s’appuie sur une technologie très récente, l’impression 3D “DLS” (Digital Light Synthesis). Cette technologie d’impression est basée sur la polymérisation d’une résine liquide dans une cuve à l’aide d’un laser à UV. Une succession de couches est projetée séquentiellement sur la résine sous forme d’images UV qui solidifient la résine, tandis que l’objet obtenu est progressivement extrait de la cuve par le haut. Ce processus est appelé « Continuous Liquid Interface Production » ou CLIP (traduisible en « production continue par interface liquide »).
L’impression 3D DLS a de nombreux avantages, comme celui de pouvoir fabriquer facilement des objets aux géométries complexes, en particulier des structures maillées comme celle qui nous intéresse ici, impossibles à réaliser par usinage conventionnel. C’est un procédé qui se distingue des autres technologies 3D par la quasi-absence de déchets, mais aussi par sa seconde étape de cuisson, permettant l’activation de certains éléments dormants (époxy ou uréthane) qui rendent la pièce imprimée bien plus résistante que la polymérisation UV seule.
Le procédé DLS se déroule de façon continue, sans avoir à passer d’une couche à l’autre comme c’est le cas pour la plupart des autres technologies de fabrication additive. Il en résulte des pièces dont la résistance est la même quelle que soit l’orientation. C’est là un avantage significatif par rapport aux autres procédés, où les éléments orientés le long de l’axe Z sont beaucoup moins résistants que ceux orientés le long des axes X ou Y.
Enfin, le DLS permet d’obtenir un grain de surface lisse, de grande qualité et à haute définition, qui permet de produire à la perfection aussi bien les détails externes qu’internes, avec la possibilité d’exécuter des impressions 3D flexibles et une consistance proche du caoutchouc. Ce sont ces deux qualités qui permettent de créer une selle avec des densités extrêmement variables et précises d’une zone à l’autre.
Mais le procédé DLS a aussi bien sûr son revers : cette technologie est l’une des plus chères sur le marché et n’est applicable qu’à un choix limité de matériaux. À l’heure actuelle, seules huit résines sont disponibles, avec seulement pour un choix de coloris assez restreint. Il faudra donc, pour pouvoir utiliser des selles produites avec cette technologie, accepter de payer très cher des modèles à l’aspect et aux caractéristiques assez semblables d’une marque à l’autre.
Selle San Marco – quelle italienne choisir ?
Selle San Marco est entreprise basée à Casella d’Asolo, dans la région de Trévise en Vénétie, où elle fabrique des selles depuis 1935. Son site de vente en ligne propose des modèles pour le gravel et le bikepacking, le tout-terrain, le vélo de ville et le VAE, une remarquable collection destinée aux vélos anciens et, bien sûr, des selles pour la route.
C’est dans cette dernière catégorie que j’ai choisi un modèle, car c’est sur la route que j’enchaîne les plus longues distances et c’est en cumulant les kilomètres que l’on peut vraiment se faire une idée des qualités d’une selle.
La largeur fait-elle tout ?
La Shortfit 2.0 3D existe en 2 largeurs : S3 (140 mm, prévue pour un écartement des ischions inférieur ou égal à 12 cm ) et L3 (155 mm, prévue pour un écartement d’ischions supérieur ou égal à 12 cm ).
En ce qui me concerne, avec un écartement d’ischions de 12,5 cm, comme souvent lorsque je dois choisir un équipement, je suis entre deux tailles !
Mais ce qui est un cauchemar lorsqu’il s’agit de commander un cuissard ou des chaussures devient ici un avantage : a priori, je peux utiliser la Shorfit 2.0 3D aussi bien en taille en S qu’en L ; je décide donc de demander les deux tailles, ce sera l’opportunité de comparer et de vérifier ce que ça change sur le vélo…
Le chiffre 3
Selle San Marco catalogue ses modèles selon la codification IDMatch. Dans cette nomenclature, le chiffre (1, 2 ou 3) correspond à la souplesse du ou de la cycliste, plus exactement de sa rotation pelvienne : 1 pour les plus raides, 3 pour les plus souples. Pour ceux et celles qui basculent beaucoup le bassin lorsqu’ils pédalent, les parties génitales sont plus en contact de la selle, donc Selle San Marco a prévu un évidement central plus important.
Cet évidement au centre de la selle va soulager la zone génitale en évitant les pressions et les frottements sur cette zone du corps plutôt… sensible. La Shortfit 2.0 3D est classée 3, avec un évidement central maximum. Cette grande ouverture au centre de la selle m’a sauté aux yeux dès que je l’ai reçue. Mais avant que d’aller plus loin dans la description de sa forme, intéressons-nous à ses dessous.
Acier ou carbone ?
Si la chape de la Shorfit 2.0 3D est composée d’un matériau imprimé en 3D par DLS comme décrit plus haut, elle est équipée soit avec des rails acier, soit des rails en carbone. On regarde souvent le dessus d’une selle, plus rarement le dessous… Or, cette partie est très importante aussi, car elle contribue à l’amorti et l’insertion des rails dans la selle est souvent une gageure technique, j’en veux pour preuve les grincements abominables que certaines selles premier-prix ou mal conçues émettent à chaque tour de pédale.
Puisque j’ai décidé de tester deux Shorfit, j’en profite pour demander les deux types de rails, ça sera l’occasion de vérifier si, en dehors des questions de poids et de prix, ça change quelque chose… Le test que je vous propose donc ci-après est en réalité deux tests en un. Chouette, non ?
Architecture
Les bords de la structure 3D tombent en arrondis, que ce soit sur l’extérieur, à l’avant du bec ou dans l’évidement central, ce qui évite toute friction ou échauffement sur ces zones de contact.
Les flancs de la selle sont inclinés vers le bas. C’est parfait de mon point de vue, ou du moins pour mon anatomie, je sens l’intérieur de mes cuisses moins contraints lors du pédalage. Mes moyens et grands adducteurs, plutôt dodus, présentent souvent des zones échauffées lorsque les selles sont trop horizontales latéralement ou ont des angles extérieurs trop vifs.
De profil, la ligne de la selle laisse voir une dépression qui permet une assise confortable, sans aucune pression périnéale. Sur l’arrière en revanche, la selle remonte et ce rehaussement offre un effet de siège, très confortable lorsqu’on va chercher le bas du cintre ou l’avant des prolongateurs en longue distance.
Ergonomie
Si le design de la Shortfit est parfaitement adapté à une bascule prononcée du bassin dans les positions les plus agressives, il convient également pour des postures plus droites, par exemple avec les mains sur le plat du cintre. Avec des selles plus classiques et plus longues, j’ai tendance à m’avancer et reculer sur la selle, selon que je bascule vers l’avant en position “aéro” ou que je remonte sur les cocottes. Sur la Shortfit 2.0 3D, on peut rester au même endroit sur la selle, l’ergonomie complexe du profil et les micro-densités variables de la structure 3D font le reste.
Rails carbone ou acier, S3 ou L3, quelle version choisir ?
Pour être très franc, je n’ai pas senti de différence de confort entre rails carbone et acier. Les deux selles ont également montré une bonne stabilité mécanique, même dans des situations tout-terrain ou je pousse parfois mes vélos. Chacun jugera si la différence de poids, ici 40 g environ, mérite l’écart de prix de 50€.
La différence de largeur, par contre, est intéressante, c’est la première fois que j’ai l’opportunité de tester la même selle dans deux tailles qui me conviennent, (puisque je suis pile entre les deux) et je remercie chaleureusement Selle San Marco de m’avoir permis cette expérience.
Tous d’abord, je dirai que, dans les deux cas, la selle m’a convenu et m’a paru confortable. Mais cela n’a pas été sans influence sur mon pédalage, car avec la version plus étroite (où l’on ressent bien sûr les appuis un peu plus sur le périnée), mes hanches étaient plus libres latéralement. Avec la version plus large (avec plus d’appuis sur les ischions), mes hanches étaient plus fixées, ce qui a occasionné un réglage différent de la hauteur de selle (12 mm de moins dans mon cas) pour me sentir tout à fait à l’aise.
J’aurais donc tendance à dire que je privilégierais la plus étroite pour une pratique plus sportive, plus tout-terrain et plus réactive, la plus large pour une pratique route, longue distance et/ou voyage.
Selle de combat ou selle de l’espace
Après avoir roulé six mois et presque dix mille kilomètres cumulés avec ces deux versions de la Shortfit, je peux dire que je les ai définitivement adoptées. Que ce soit en pignon fixe pendant une traversée Brest-Montpellier de 1200 km, où quelques 251000 tours de manivelle m’ont permis de vérifier que les points d’échauffement sur cette selle étaient quasiment nuls, ou durant mes nombreuses sorties sur route, comme ce 300 km roulé il y a quelques jours en une quinzaine d’heures, la Selle San Marco Shortfit 2.0 3D s’est révélée confortable, fiable et durable.
Je ne sais pas si cette selle conviendra à tout le monde, mais elle a manifestement été dessinée pour convenir au plus grand nombre de cyclistes et de pratiques. Elle confirme mon impression que la technologie d’impression 3D DLS apporte un vrai plus en matière de confort et permet de rester en selle beaucoup plus longtemps sans douleurs que les rembourrages traditionnels, moins précis et moins durables.
Comme tous les modèles 3D DLS proposés par les autres marques, cette selle haut-de-gamme est chère, du fait de la technologie utilisée. En attendant que cette technologie se démocratise un jour, la Selle San Marco Shortfit 2.0 3D est destinée aux cyclistes qui enchaînent de longues sorties et totalisent beaucoup de kilomètres dans l’année… À moins que le look irrésistible du motif 3D et en forme de navette spatiale de ce modèle séduise aussi les plus fashion-victims d’entre nous, même s’ils passent plus de temps dans les cafés-vélo que sur les routes !
Dommage que je n’en ai vraiment pas les moyens, car à vous lire ça donne vraiment envie d’en essayer une. Mais comme je roule assez peu, l’investissement n’en vaut pas le coût pour moi.
Bonjour Dan
Merci pour ce nouvel article de qualité. À choisir entre la Specialized, la Fizik et la San Marco, quelle selle vous semblerait la plus adaptée pour un usage endurance/longue distance (voire bikepacking léger)?
Salut Bertrand,
Je dirai la Selle San Marco ou la Specialized, car la Fizik est excellente aussi mais à mon avis plutôt typée route/sport.
Merci de nous lire !
Merci Dan !
je reconnais un ptit clin d’oeil à Patrick dans le dernier paragraphe !
Rhooooooô non Alex pas du tout !
Bonjour Dan,
Merci pour cet article très détaillé, et qui me fait presque regretter d’avoir acheté une Spé. Mirror (rails métal) il y a moins d’un an.
La mienne en plus, sans doute à cause d’une certaine dissymétrie des membres inférieurs, couine sévèrement dès que la température dépasse les 25 degrès !
A 300euros le morceau de 3D, ben, ça fait mal au … je vous laisse deviner où !
Bonjour,
J’ai aussi testé la Spé Mirror, qui dans mon cas ne couine pas, mais les grincements de selle ne sont pas rares. J’ai déjà résolu ce problème en laissant pénétrer une goutte d’huile 3 en 1 au niveau de l’insertion des rails. Il faut démonter la selle et la maintenir à l’horizontale une nuit pour laisser le temps à l’huile de pénétrer en profondeur. Une huile plus fine, type huile de tondeuse, devrait aussi être efficace, mais je n’ai pas eu l’occasion d’essayer.
Enfin, il faut systématiquement apposer de la graisse blanche anti-craquements sur les parties du charriot de selle en contact avec les rails lorsqu’on monte une nouvelle selle.
J’espère que ces quelques conseils vous aiderons à éliminer définitivement ces maudits couinements !
Bonjour Dan, merci pour tous ces conseils d’expert, et je dois reconnaitre mon ignorance quant à la technicité d’une selle. Je vais m’employer dès maintenant à la rendre moins bruyante car c’est le genre de bruit qui peuvent agacer un peu.
Par ailleurs, diriez-vous que le confort entre la San Marco et la Specialized est identique ? L’impression 3D de la San Marco, du fait de son “tressage” moins serré, donne l’impression d’être plus confortable ? Est-ce le cas ?
Merci
Hummmm… Non je ne crois pas. Je pense de la sensation de confort dépendra essentiellement du profil. C’est celle qui sera la plus adéquate à votre autonomie qui sera la plus confortable. Par ailleurs, contrairement aux apparences, j’aurais tendance à dire que la Spe est un peu plus molle dans l’ensemble ; ce qui ne présage rien du confort de l’une ou de l’autre comme je viens de l’écrire.
Penses-tu que les modèles plus classiques, sans impression 3D, exemple le modèle Racing ont le même comportement et confort ?
Bonjour Vincent,
Je n’ai pas eu l’occasion de faire une telle comparaison, mais je ne pense pas :
– La durée de vie d’un rembourrage en mousse classique sera moins longue qu’une impression 3D,
– la précision de la répartition des micro-densités sera moins grande.
Par contre, si la selle en question a une forme bien adaptée à ton postérieur, je ne suis pas sûr que la sensation de confort à l’assise (sans parler de durée en selle) soit fondamentalement différente. Il est même possible que la sensation de contact (en tout cas dans un premier temps) sur la selle classique soit plus douce, étant donné que le revêtement est lisse (enfin je suppose qu’il est lisse ?).
Merci pour ta question,
Dan