Un vélo, on peut en tomber amoureux. Parfois, on le choisit pour sa ligne, d’autres fois pour ce qu’il promet de nous offrir. Mais les roues, elles, on les choisit pour ce qu’elles feront de nous. Car si, en cyclisme, il y a peu de vérités indiscutables, il en est une qui résiste aux débats et aux modes : un beau vélo, c’est bien, mais de bonnes roues, c’est mieux. Voilà ce qu’affirment les vieux sages du bitume et c’est un conseil aussi pragmatique qu’intemporel ; pas seulement une question de technique, mais aussi une affaire de tempérament, presque de caractère.
Les roues, en vérité, déterminent presque tout. Une mauvaise paire transforme un vélo en enclume ; des roues bien choisies offrent un sursis au vieillissement, une impression fugace de légèreté retrouvée.
Changer de roues, c’est un peu comme changer de monture en pleine chevauchée . Il faut savoir où l’on va. C’est dans cet état d’esprit que j’ai décidé de m’attaquer à une quête toute personnelle : doter mon fidèle Chiru Kunlun de roues plus performantes.
Mais comme dans toute bonne histoire, rien n’est jamais aussi simple.
L’artisan et l’horizon
Il y a les options toutes faites, rassurantes dans leur simplicité : alignées en rayons sur les sites marchands, les roues pré-montées, calibrées pour tous, manquent cruellement d’âme à mon goût.
Alors, j’ai décidé de m’aventurer sur le terrain plus intime et sensible du sur-mesure. Une paire de roues montées à la carte, conçues à l’image de mes désirs – et surtout – de ma pratique du cyclisme.
J’ai cherché un expert. Philippe Jacquinet, et sa maison JPRacingBike1, m’ont été recommandés par des cyclistes exigeants. L’entreprise, créée en 2008, propose des roues artisanales vendues sous la marque Duke. Plusieurs de mes amis en utilisent et ne tarissent pas d’éloge sur la qualité des composants et la personnalisation des montages.
Correspondance
Un échange par email me permet de préciser mon profil et ma pratique. Mon poids, mon kilométrage annuel, les caractéristiques de mon vélo, mes surfaces et distances type et bien sûr, mes envies.
Je pèse 68 kg et je roule majoritairement “allroad” (petites routes sans voitures, parfois très dégradées, à la limite du gravel) pour des sorties de 80 à 300 km. Je totalise en moyenne 8000 km par an avec ce vélo, un Chiru Kunlun typé allroad-longue distance, de jour comme de nuit, ce qui nécessite un moyeu dynamo pour alimenter l’éclairage et recharger les appareils.
La plupart du temps, le vélo n’est pas ou peu chargé (sacoche de cadre presque toujours, avec parfois une petite sacoche de cintre en plus) mais deux ou trois fois par an, je pars avec un bikepacking conséquent (de 7 à 10 kg), avec des prolongateurs, à l’occasion d’une course, ou d’une aventure tracée par mes soins, comme ce Valence-Valencia de 1200 km réalisé en juin dernier.
Théo, l’oreille attentive derrière l’écran, me propose un montage taillé sur mesure, dont les jantes Duke Baccara RX, à profil différencié – 36 mm à l’avant pour la maniabilité, 42 mm à l’arrière pour l’aérodynamisme – sont la clé de voûte. Les Baccara RX, c’est la dernière génération de jantes Duke allroad en carbone. Elles sont présentées comme plus légères et plus rapides que les modèles précédents, aussi bien adaptées à un usage route que gravel.
Chaque détail du montage a été pensé, jusque dans le choix des rayons, où les Sapim CX-Ray à l’avant et les CX-Sprint à l’arrière joueront un rôle que j’apprendrai bientôt à apprécier. Ces deux modèles de rayons plats Sapim sont très légers et très résistants à la fatigue et donnent un bon comportement dynamique et aérodynamique. Mais les CX-Sprint sont plus rigides que les CX-Ray, ce qui justifie cette différence de rayonnage entre l’avant et l’arrière.
Pour les moyeux, La roue avant reçoit un moyeu dynamo Son, garant de mes aventures nocturnes, tandis que l’arrière arbore fièrement un moyeu maison, le Duke Badboy CL.
Pour parachever le montage, l’adhésif de fond de jante et les valves tubeless sont également signés Duke.
Colis précieux
Dix jours après ma commande, j’avoue que je suis assez excité au moment d’ouvrir l’emballage. Dès la sortie du carton, je constate immédiatement la finition du montage, l’aspect engageant des composants et surtout, la légèreté de la paire.
La roue avant par exemple, équipée du même moyeu dynamo que mon ancienne roue, pèse 900 g, soit 150 de moins. À 800 g, la roue arrière est une belle promesse…
Les jantes sont sobres, majoritairement noires, il n’y a pas de stickers tapageurs à enlever. Leur généreuse largeur intérieure de 25 mm va me permettre des montes de pneus de 32 à 35 mm sans déformations intempestives. L’adhésif de fond de jante est impeccablement posé. Je constate que les valves sont de belle facture et très stables face aux sollicitation latérales lors des gonflages.
Grandes manœuvres
Je profite du montage du groupe Shimano GRX Di2 825 sur mon vélo pour faire monter les roues, équipées de pneus Pirelli P Zero Race TLR de 32 mm de section. Le trio transmission-roues-pneus flambant neuf va m’accompagner pendant près de 4 mois, un peu plus de 2200 km et quelques 25000 m de dénivelé positif, dans toutes les conditions météo et sur tous les terrains, ce qui me permet aujourd’hui d’établir un compte-rendu que j’espère fidèle et objectif.
Dans la lignée de mes sorties habituelles, j’ai pu faire plusieurs sorties de 200 km et plus, dont certaines avec un bikepacking conséquent pour éprouver en détail les qualités de confort et de rigidité latérale des roues. J’ai également varié les pressions de pneu, non seulement pour pouvoir très prochainement vous proposer un retour sur ces Pirelli P Zero Race TLR, mais également pour évaluer la polyvalence des roues sur des surfaces plus ou moins roulantes.
De l’élégance
Mais avant de parler performance, je me dois d’évoquer le plaisir de rouler avec des roues d’aussi belle facture. Le carbone des flancs des jantes Bacarra RX est assez mat, mais s’irise légèrement dès qu’un rayon de soleil le frôle. Le logo Duke noir sur noir, qui semble aspirer la lumière, est tout en discrétion. Seul le clinquant du logo – une couronne ducale sur fond métallisé – en rajoute un peu, pour tous ceux qui, le regard mal aiguisé, n’auraient pas compris à quoi ils ont affaire. C’est un peu trop à mon avis, sur une paire de roues qui, sans cela, répond aux standards d’un produit de luxe : identifiable entre tous, mais sans tapage. Surtout lorsque l’élégance naturelle des jantes Baccara RX est admirablement servie par les rayons plats Sapim et les pneus Pirelli qui ont accompagné les roues pendant ce test. Avec un tel montage, pas besoin de forcer la dose.
Certes, en cyclisme, la beauté du matériel ne fait pas tout : l’élégance, c’est aussi et avant tout celle du cycliste : une attitude, un comportement, un état d’esprit, une façon d’être sur le vélo et de rouler. Mais l’homme et la machine peuvent résonner en sympathie. C’est encore mieux quand l’un ne va pas sans l’autre avec, pour objectif, la plus belle des élégances : la simplicité.
De la légèreté
Dès les premiers tours de roues, je constate avec délice que la légèreté des roues est un élixir de jouvence pour le cycliste que je suis : les relances, particulièrement en montée, sont très flatteuses. Cette vivacité communicative motive l’envie de jouer. On se surprend à relancer plus souvent en danseuse, à rechercher les petits raidillons pour leur compter fleurette.
Mais les aléas météorologiques me permettent aussi, lors de ces premières sorties, de confronter les roues à de vives bourrasques de mistral. Je suis pris par surprise, surtout (et presque exclusivement) en descente, où un vent pourtant loin de ses pointes record me fait faire des écarts importants sur la route.
Il faut savoir ce que l’on veut. Des roues poids-plume à profil haut ne pourraient réagir autrement. Pour être très honnête, ce n’est qu’une question d’habitude. Quelques bourrasques et deux ou trois épingles en plein vent plus loin, je comprends qu’il suffit de mettre un peu plus de poids sur l’avant et sur le cintre pour éviter toute embardée. Suite à cette première expérience de vol à voile, je n’ai plus eu à déplorer le moindre écart, le réflexe de transfert de poids sur l’avant lorsque la risée arrive est vite devenu un réflexe.
Le son des rayons
Le feulement des rayons plats Sapim et des jantes hautes en carbone est extraordinairement plaisant et ludique. Je ne sais pas s’il signifie que je vais plus vite que d’habitude, mais il donne envie d’accélérer, et au résultat, la moyenne globale sur mes sorties “classico” et mes performances sur les segments Strava que je connais bien s’en sont ressenties. Cette douce musique des roues Duke donne clairement envie d’aller rouler, plus longtemps et plus vite !
De la fluidité
Il y a un point sur lequel je ne pourrai pas avoir un avis tranché, c’est sur les qualités du moyeu arrière Duke Bad Boy CL.
Effectivement, ma roue avant étant équipée d’un moyeu dynamo – un des meilleurs, certes, mais qui forcément frotte et freine – je ne pourrai juger du rendement du moyeu qui équipe la roue arrière.
Ceci dit, j’ai l’impression (mais toute subjective, aucune mesure de précision ne me permet d’affirmer cela), que la hauteur des jantes et les rayons plats ont un meilleur rendement que mon montage précédent.
De la polyvalence
La généreuse largeur intérieure des jantes Baccara RX (25 mm) permet de monter indifféremment les pneus-route endurance de 32 mm de section (que j’utilise majoritairement), mais aussi des pneus de gravel, jusqu’à des largeurs conséquentes. En ce qui concerne mon vélo Chiru Kunlun, le dégagement est limité à 35 mm, mais je ne manquerai pas d’exploiter cette possibilité pour des parcours “tout-terrain roulant” longs, que je vais tracer pour mes aventures longue distance du printemps prochain. Mais ceci est une autre histoire, dont je ne manquerai pas de vous parler quand le moment sera venu.
En attendant, j’ai joué sur le gonflage des Pirelli P Zero Race TLR pour des sorties orientées allroad / gravel roulant. Sur ce type de parcours, les jantes Baccara RX et le montage avec les rayons plats Sapim s’est montré tout à fait convainquant et adapté à la situation.
Du confort
Je suis un peu embêté pour parler confort au sujet des roues Duke. D’abord, parce que je teste rarement des roues, et que ces Duke ne sont que ma seconde paire de roues carbone : j’ai, sur mes autres vélos, uniquement des roues en aluminium.
Honnêtement, je n’ai pas constaté de grande différence, en matière de confort, par rapport à mon premier jeu de roues du Kunlun. Je suppose que des jantes hautes en carbone sont plus raides que celles en aluminium. Mais un point sur lequel je suis assez sûr de moi, c’est d’affirmer que des pneus tubeless de 32 mm, pour peu qu’ils soient à la pression correspondant au terrain sur lequel on roule, offrent le confort suffisant pour être heureux sur le vélo, même avec des jantes en carbone au profil haut. Que ce soit à pression “normale” sur routes rugueuses et dégradées ou à des pressions plus basses sur du gravel roulant, de bons pneus gonflés à la bonne pression assurent le confort nécessaire, quelles que soient les roues utilisées.
Je laisse donc aux testeurs de roues spécialisés le soin de comparer le confort des jantes Baccara RX et de leurs concurrentes.
De la rigidité (latérale)
En équipant le vélo avec 7 kg de bikepacking, je n’ai pas constaté, dans des montées longues avec des pourcentages sérieux (supérieurs à 6-7 %), la moindre déformation. Les roues répondent bien et renvoient parfaitement l’énergie qu’on transmet aux pédales.
En danseuse, sur un braquet conséquent et en tirant fort sur le cintre (en s’amusant à sprinter des pancartes avec les copains par exemple), les roues réagissent de belle manière ; je n’ai pas eu l’impression de perdre de l’énergie à cause d’un montage trop mou.
L’aventure continue
Après plus de 2000 kilomètres, je peux dire ceci : les Duke Baccara RX ne sont pas seulement des roues, ce sont des partenaires, fidèles et fiables. L’apparente fragilité toute aérienne des jantes Baccara RX, tendues de leurs rayons plats, révèle en réalité un montage solide et stable. Au fil des kilomètres et de surfaces plus ou moins recommandables, je ne déplore aucun voile, je n’ai pas eu besoin de retendre des rayons. Cela prouve le soin apporté au montage, car il arrive souvent que des roues – artisanales ou non – aient besoin d’être revues après 1000 ou 1500 km.
À ceux qui songent à changer leurs roues, je dirais donc ceci : N’hésitez pas, faites-le. Même si de nouvelles roues ne vous rendront pas meilleur, vous changerez votre façon de rouler, et peut-être même, de rêver…
Alors, rêvez, roulez, et laissez vos roues faire le reste : dévorer les kilomètres.
J’ai aimé :
– La sobriété
– La légèreté / la vivacité
– La finition des composants
– La qualité du montage
– La rigidité latérale
– Le son au roulage / l’impression de vitesse
J’ai moins aimé :
- La prise au vent lors de bourrasques latérales (mais il faut savoir ce que l’on veut)
Je n’ai pas pu évaluer :
– La fluidité du moyeu Duke Bad Boy CL (à cause du moyeu dynamo avant)
– Le confort des roues dans le montage fourni (par manque d’expérience et de références)
Détails du montage :
Jante avant : Duke Baccara RX 36 SLR2 (hauteur 36 mm)
Jante arrière : Duke Baccara RX 42 SLR2 (hauteur 42 mm)
Rayons avants : 24 Sapim CX Ray
Rayons arrières : 24 Sapim CX Sprint
Moyeu avant : moyeu dynamo Son Delux
Moyeu arrière : Duke Badboy CL
Prix public du montage testé :
Roue avant 927.98 € TTC
Roue arrière 895.34 € TTC