AccueilSur le zincBrèves de comptoirLe gravel apporte son sourire, à un marché du vélo morose

Le gravel apporte son sourire, à un marché du vélo morose

Le marché du vélo fait face actuellement à un “faux plat”. L’engouement post-covid pour la petite reine dans un contexte de ralentissement industriel avait dopé la demande. Depuis les stocks se sont remplis : trop, visiblement ! Même si le VAE et l’urbain réalisent de bons scores, le marché du vélo mécanique et sportif pique du nez. Le Gravel, même si son volume reste modeste, est le seul segment en progression. Va-t-il monter sur la plus haute marche du podium face aux vélos de route et aux VTT non électriques ? (photo de couverture Philippe Aillaud)

Il était une fois un “vilain petit canard”, appelé Gravel Bike. Il est né aux US, en marge des lignées traditionnelles de la route ou du VTT. La naissance de ce “sans-famille” a intrigué le petit monde du vélo et certains soupçonneux le voyaient comme un vélo marketing, inventé outre atlantique pour envahir le commerce du cycle du vieux continent. Le bilan de l’année 2022 et les perspectives des prochains millésimes prouvent qu’il s’est fait une place bien réelle, sur un marché dominé par le VAE.

Bike Café
Eurobike 2017 … le gravel s’affiche un peu partout dans les allées du salon, ici chez Rabbit Cycles.

Dès la première apparition du gravel, les “experts” du vélo m’avaient prédit sa fin rapide. Effet de mode disaient-ils ! Ils ont depuis retourné leurs vestes, ou plutôt leurs maillots, en devenant les chantres d’une pratique qu’ils avaient vouée à l’échec. Une étude, réalisée par l’Union Sport & Cycle, nous a présenté début avril son observatoire du cycle pour l’année 2022. Elle nous apporte un premier indice chiffré, qui nous laisse penser que ce vélo n’a rien d’éphémère. Dans un contexte des ventes à la baisse, comment se situe notre cher vélo de gravel ? Retours sur l’évolution de ce “poil à gratter” commercial, qui a chahuté un marché “pépère” et qui par ailleurs déstabilise institutions et organisations.

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Pourtant l’histoire semblait écrite

Ce qui m’étonne à propos du manque de vision du monde du vélo sur le phénomène naissant du gravel bike, c’est que son histoire naissante flottait pourtant dans l’air du temps. C’était comme une évidence. Le contexte sociologique du début des années 2000, portait en lui une quête de liberté et un besoin d’aventure qui correspondaient à ce type de vélo. L’épisode “Covid”, agissant comme un accélérateur, a porté le coup de grâce à ce monde qui vivait dans une tranquille dualité de convenance : route/VTT.

Gravel Stories Tomac
John Tomac sur un Raleigh avec lequel il a remporté le championnat du monde de cross-country en 1991.

En 1989, alors qu’il combinait la course sur route avec l’innovante course cross country, John Tomac a décidé d’adapter un guidon de route à son Yeti afin de conserver la posture aérodynamique, plus conforme au cyclisme sur route. Et ça ne s’est pas mal passé. Quelques années plus tard, sur un Raleigh, il a remporté le championnat du monde de cross-country de 1991 et a été vice-champion du monde de descente de 1991 sur un vélo rigide équipé d’un guidon de route. (source Santafixie)

Pour moi, le début de l’histoire du gravel moderne se situe plus sûrement en 2006. Sur la ligne de départ de la première Dirty Kanza 200, au milieu des 34 participants, on remarque un curieux vélo de cyclocross. Ce vélo construit en acier par Brent Steelman et piloté par Dan Hughes, va remporter l’épreuve et de fait inspirer une nouvelle génération de vélos, ni route, ni VTT : juste un peu cyclocross. Aujourd’hui, cette course mythique, qui a changé de nom pour s’appeler Unbound Gravel, voit chaque année éclore de nouvelles générations de cyclistes fans de cette pratique symbole de liberté.

Gravel un marché en progression
Roc d’Azur 2015 – Pierre, Patrick et Eric – photo Soprtograf

En France, les bouillonnants associés de Caminade (Brice et Sylvain), ont organisé les premières randos gravel en 2015 au pied du mont Canigou. Lorsque ASO s’est emparé de l’affaire en 2016 en organisant un premier Roc Gravel, j’ai su que c’était gagné et que ce vélo ne serait pas un “pétard mouillé”. Nous étions de la partie et nous avons vécu de l’intérieur cet enthousiasme naissant. Je me souviens de la clameur des spectateurs en haut du Bougnon sur notre passage “Regardez, c’est les Gravel !” Aujourd’hui, les organisations d’épreuves gravel se multiplient : WishOne organise à Millau une manche qualificative de championnat UCI créé en 2021, le Festival Nature is Bike réunit tous les ans un large public et de nombreux cyclistes… Pour vous aider à choisir, nous avons mis en ligne un calendrier des épreuves que nous avons repérées et sélectionnées pour vous.

Le gravel, personne n’y croyait

Les “experts” du vélo m’avaient prédit une fin rapide du phénomène Gravel… Effet de mode, disaient-ils !

Dans un monde partagé et bien organisé entre la route et le VTT, peu de “spécialistes” voyaient un avenir à cet “hybride”. La vision de l’avenir n’est pas le point fort de ceux qui vivent dans un système qui “ronronne” bien. En août 2019, j’avais écrit un article “Le gravel, est-il un phénomène de mode ?”. La parution des chiffres de vente 2022, me donne l’occasion de vous offrir une suite en forme de réponse à ce billet.

Un regard sur les chiffres du marché du cycle en 2022

Union Sport & Cycle Observatoire du cycle
Les ventes de VAE ont fait exploser le marché du cycle. En 2022, leurs ventes ont représenté 28 % du marché en volume (source Union Sport & Cycle)

Si on regarde les courbes de progression des 2 gros segments que représentent les vélos classiques et les électriques, on voit où se situe l’évolution du marché du cycle principalement tiré par l’électrique et même l’électrique plutôt urbain. On constate entre 2019 et 2022 une hausse de 110% pour le VAE et une presque platitude de la courbe des vélos classiques, à peine augmentée par l’effet du remplacement du freinage sur jante par les disques dans le monde sportif.

Union Sport & Cycle  Observatoire du cycle
738 454 VAES vendus en 2022 contre 65 000 vélos de gravel. Ce dernier est encore un petit marché mais avec une croissance importante.

Si on retire les VAE et tous les vélos urbains pour ne garder que les vélos de route, les VTT et les gravel, on constate dans les chiffres que c’est le gravel qui tire légèrement vers le haut cet univers du vélo sportif et de loisir. Le phénomène de remise dans le circuit des vélos reconditionnés a contribué à la baisse des ventes.

Les VTTistes glissent vers l’électrique. Dans ce domaine, l’apport de watts offre plus de plaisir dans le technique et le ludique l’emporte sur l’effort. Ce contexte a fait régresser les achats de VTT classiques de 65 000 unités environ en 2022.

Sur route on constate surtout, depuis la période post-covid, qu’il y a moins d’intérêt pour cette pratique. J’ai bien aimé une phrase de Marc Madiot, parlant de la retraite de son coureur Thibaut Pinot : “C’est sans doute un des derniers coureurs romantiques…” Cela résume la distance qui s’est installée entre les jeunes et l’image projetée par le vélo de compétition. Ce vélo populaire et médiatique agit moins sur eux que sur le grand public qui se délecte du spectacle. Par ailleurs, le danger que l’on constate sur les routes, éloigne de cette pratique exclusive sur l’asphalte, les cyclos du dimanche.

L’enthousiasme de la nouveauté oriente les cyclistes vers le Gravel avec 64 000 vélos vendus en 2022 (dont 10 000 gravel/route à assistance électrique – source Union Sport & Cycle). De fait, ce segment apparaît comme le seul à être en progression. L’ultra-cyclisme, également en hausse, contribue à maintenir un marché route stable. Ces nouveaux pratiquants échappent aux radars des fédérations qui ont du mal à intégrer ce nouveau cyclisme. Par contre, ils n’échappent pas au marketing qui puise largement son stock d’images dans ces nouvelles façons de faire du vélo. Le Gravel est un petit poucet dans le monde du vélo, mais avec le bikepacking et l’ultra c’est lui qui remplit les colonnes des médias. Ce n’est pas nous qui allons nous en plaindre, et cela prouve après avoir été les premiers à en parler, que nous avions vu juste.

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Patrick
Patrick
Patrick Van Den Bossche a créé les blogs Running Café, Track & News, puis Bike Café. Curieux invétéré, dénicheur de tendances, il adore mettre en lumière les personnalités et les anonymes du petit monde du vélo. Il collabore régulièrement à la revue Cyclist France et affectionne les vieux vélos et la tendance "vintage". Depuis sa découverte du gravel bike en 2015, il s'adonne régulièrement à des sorties sur route et sur chemins autour de la Sainte-Victoire.

3 COMMENTAIRES

  1. Belle réflexion sur l’engouement du Gravel qui ne se dément pas, mais concernant le bikepacking et surtout l’ultra le vtt est encore largement utilisé pour ses aptitudes, son confort et la sécurité qu’il procure dans le technique. Le Gravel bon partout mais excellent nulle part

  2. Effectivement, le gravel est le polyvalent par excellence : c’est finalement le vélo unique à tout faire si on dispose de 2 paires de roues, mais… Il reste lourd et finalement moins performant qu’un VTT haut de gamme hors des sentiers battus et d’un course (forcément plus léger) sur route. 2 vélos que l’on trouvera même pour moins chers si on accepte de les acheter d’occasion…

  3. Il y a un magasin Mondovélo à côté de chez moi. Il y a 10 ans, j’achetais d’occasion pour 300€ une randonneuse Méral montée en pneus de 32 pour rouler sur les petites routes des Cévennes, goudronnées ou pas, et partir avec des petites sacoches sur 2 ou 3 jours. En passant dans ce magasin Mondovélo à l’époque, j’étais regardé comme un extra-terrestre et un original passéiste. J’expliquais que mon choix n’étais pas nostalgique mais dicté par l’usage que je voulais faire du vélo. Un gravel avant l’heure. J’étais obligé d’aller chez un bouclard traditionnel de Frontignan pour trouver des pièces pour ma randonneuse, mais ce bouclard, sympa par ailleurs, me regardais encore plus comme un original qui n’a rien compris à l’évolution du vélo. Il fournissait les cyclotouristes du club local (et un certain Fabien Galthié, entraîneur du MHR à cette époque) en vélos chaussés de pneus de 23 qui finissaient par ne rouler que sur des grandes routes bien passantes tant les petites routes dans mon coin sont inconfortables sur ces vélos.
    Je n’étais nullement précurseur. Je ne faisais que continuer une pratique florissante il y a quelques décennies (quand les routes des cols alpins étaient souvent en terre) mais complètement ringardisée. Y compris par les premiers graveleux qui sont apparus quelques années après et qui tenaient absolument à présenter leur pratique du vélo “en liberté” comme complètement nouvelle.
    La semaine dernière, je suis repassé dans mon magasin : incroyable : plein de vélos gravel de différentes marques, des vélos de randonnée anglais avec de nombreuses sacoches, bikepacking ou classiques sur porte-bagages, des vélos avec garde-boue, pneus à flancs beige. Les vélos de route il y en avait mais cantonnés à un coin ou en hauteur.
    L’ampleur du revirement est stupéfiante sur le terrain.
    Quant au bouclard, il a fermé depuis.

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