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Rencontre avec Guy Lecompte : mécano et ami de Laurent Fignon

Guy Lecompte est une figure dans le monde du vélo. Il a connu la grande époque des victoires françaises et il a surtout eu la chance de côtoyer le grand champion qu’était Laurent Fignon. L’histoire de leur rencontre remonte bien avant que Laurent devienne le champion qu’il a été. C’était au début des années 70 et Guy qui était alors vétéran donnait un coup de main à l’équipe Mercier en tant que mécano. Un jeune cadet est venu admirer son vélo, ils ont échangé quelques mots : c’était Laurent Fignon

Agé de 78 ans Guy est toujours actif dans le monde du vélo notamment auprès de l’équipe la Française des Jeux. Le témoignage qu’il a bien voulu nous apporter sur sa période de vie aux côtés de Laurent Fignon est précieux. Guy est très modeste et pourtant il a su traverser le temps et évoluer avec les techniques du vélo. Il a contribué dans l’ombre à la mise au point des machines de quelques champions célèbres. Il est passé du cadre acier au carbone réalisant les montages et les réglages les plus « pointus » sans parler des premières mises au point de l’électronique actuelle des transmissions.

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Guy Lecompte dans son atelier – photo ©philippe

Guy peux-tu nous parler de ta relation privilégiée avec Laurent Fignon ?

Un jour, que je faisais une course à Combs-la-Ville, un gamin est venu admirer mon beau vélo Mercier « service course ». Nous avons échangé quelques mots sur le vélo. Le gamin a gagné ce jour-là sa première course en cadet : c’était Laurent Fignon. Pendant quelques années je ne l’ai pas revu et c’est seulement lors des éliminatoires du « premier pas Dunlop » à Domont, que nous nous sommes croisés à nouveau. Laurent était ami avec Franck Clemente le fils d’un de mes copains. On s’est revu ensuite quand Laurent est passé amateur et beaucoup plus lorsqu’il est passé « pro ». Laurent était rentré dans l’équipe Renault avec Pascal Jules et je donnais un coup de main à l’équipe car par ailleurs j’avais un vrai métier. Bernard Quilfen déposait les vélos à mon pavillon et je faisais les révisions. À l’époque les coureurs n’avaient que 2 vélos  … ce n’était pas comme maintenant. C’est ainsi que j’ai commencé à suivre le début de la carrière pro de Laurent.

Il gagne à Cannes … sur Blois – Chaville il casse son pédalier … C’est pas de « pot » car au service des courses ils avaient reçu un message de Campa comme quoi il y avait un défaut sur une série d’axes. En course il a dû changer de vélo et il s’est retrouvé sur un vélo de secours sur lequel l’axe n’avait pas été modifié.

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Une certain complicité entre Guy et Laurent s’est installée au fil des années …

Malheureusement je n’ai pas pu le suivre partout car j’avais un vrai boulot j’étais Chef des ventes dans un garage et le mois de juillet était chargé. J’étais quand même présent pour sa victoire au Tour 84. Après sa rupture du tendon d’Achille liée à l’usage de manivelles de 180. Laurent venait me voir le jeudi quand je ne travaillais pas au moment de sa reprise et on faisait 50 bornes ensemble. Il ne mettait pas sa tenue « Renault » afin de rester « incognito » pour cette reprise en douceur.

On a beaucoup de souvenirs ensemble je l’accompagnais dans les critériums. La vie du coureur après le Tour de France c’était la vie à 100 à l’heure et je jonglais avec ma vie de famille pour partir avec lui plusieurs jours sur ces critériums. Je m’occupais de son matériel et parfois Pascal Jules nous accompagnait.

Comment était Laurent ?

Il était intransigeant sur le matériel. Il a voulu par exemple utiliser contre l’avis de Cyril Guimard des manivelles de 180. Elles l’ont sans doute aidé à gagner deux étapes du Tour notamment à Cran-Montana mais par la suite cela lui a provoqué un problème au tendon d’Achille qu’il a fallu opérer. Mais ce qui était le plus frappant chez lui c’étaient ses qualités de « bosseur ».  Quand il a gagné ses 2 Milan – San-Remo il se faisait une préparation hivernale incroyable. Il faisait 2 à 3 fois par semaine le matin 150 à 180 km je le suivais en voiture avec 2 roues, on rentrait manger chez lui et ensuite Alain Gallopin (Gallo pour les intimes) arrivait et il repartait faire 150 km derrière le derny …  Il était courageux il partait sous la flotte, la neige fondue il était super courageux …

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Le petit musée de Guy : les maillots de Laurent – photo ©Philippe

Il était parfois spécial et pas très accueillant pour ses supporters. C’était son caractère. Il ne voulait pas être dérangé. Par la suite les différents projets professionnels qu’il a voulu mener n’ont pas marché. Ce n’était pas un homme d’affaires. Les cyclosportives, le trophée des grimpeurs à Chanteloup, le rachat de Paris-Nice, la création de la marque de vélo Profica avec Alain Prost et Jacques Cadiou, Paris Corrèze et le fameux centre d’entraînement avec accueil hôtelier dans les Pyrénées … tous ces projets ont capoté. J’étais toujours impliqué avec lui dans ces aventures mais je ne pouvais pas tout suivre.

Et toi Guy … parle nous de ta carrière  ?

C’était mal parti car à 10 ans j’ai eu la poliomyélite. J’ai dû quitter l’école pour l’hôpital et ensuite je suis resté chez mes parents sans rien pouvoir faire. Suite à cette sortie de l’école pendant deux ans j’ai quand même passé mon certificat d’études et à 14 ans je suis allé en apprentissage de mécanique dans un garage. Mes parents m’avaient acheté une mobylette car je ne pouvais pas faire de vélo. Je m’arrêtais chez un marchand de vélo chez qui je suis rentré comme apprenti après avoir quitté le garage … C’étaient les cycles André à Epinay/Seine qui faisaient Vespa, Vélosolex,  …et les vélos. Le patron n’aimait pas trop travailler sur les vélos et c’est moi qui ai récupéré la partie mécanique vélo. J’ai récupéré des pièces que je mettais de côté et un jour je me suis monté un vélo sans le dire à mes parents. Il me manquait une paire de roues et je n’avais pas l’argent pour m’en payer une. Un jour mon patron m’en a prêté une et j’ai pu faire du vélo ce qui m’a valu une belle engueulade par mon père. Mais en insistant en 1 an 1/2, la pratique du vélo m’a permis de récupérer les 6 cm d’écart entre ma jambe atteinte par la polyo et l’autre.

Quand j’ai commencé à faire des courses il n’y avait plus de banderole quand j’arrivais … Malgré tout j’ai insisté je courais au club de Colombes et j’ai fait le premier pas Dunlop … Je suis allé faire la finale à Nice il y avait 142 bornes et là pareil je suis arrivé dans les derniers en montant la Turbie à pied … On avait 14-16-18-20 et 46-52 … Après j’ai continué, je finissais dans le peloton. J’ai fini par gagner ma première course à Persan Beaumont et lors de mes vacances j’en ai gagné 2 autres en province … C’est mon palmarès : 3 courses … Après j’ai fait mon armée en Algérie où j’ai été blessé. J’ai été opéré mais je ne pouvais plus m’assoir sur une selle, alors j’ai arrêté la compétition en roulant quand même un peu. J’ai fait des « gentleman » avec Laurent …

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L’époque des « gentleman » avec Laurent

Je continue à faire du vélo malgré mes 78 ans mais je commence à avoir des petits problèmes. Pas trop sur le vélo mais plutôt pour monter les marches … Je fais encore des sorties de 90 km avec les copains. Bernard Hinault m’a invité au Tour de la Rance mais je ne sais pas si je vais pouvoir y aller car j’ai un souci avec un genou.

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Guy Lecompte avec Bernard Hinault Tour de Rance 2015 – photo ©

Guy tu as connu de sacrées évolutions techniques dans toute ta carrière de mécano… Quel est ton regard sur le vélo actuel ?

Il y a beaucoup de choses qui ont évolué … Ce qui m’a le plus marqué c’est l’électronique : c’est formidable ! … Maintenant il y a les freins à disque il faudrait que tout le monde les adopte mais avec ce qui s’est passé sur Paris -Roubaix il va falloir trouver des solutions pour les protéger. Je travaille encore un peu auprès de la Française des jeux sur les vélos Lapierre avec le wifi qui arrive avec Sram et Shimano. On est en train de l’essayer. La plus grosse évolution ça a été en 85 l’apparition des pédales automatiques Look que l’on a montées sur le vélo de Laurent. Ensuite il y a eu les roues en carbone et puis l’électronique. Maintenant pour les freins à disque c’est bien pour « Monsieur tout le monde » mais pas en course au moment de changer les roues. Les coureurs perdront moins de temps à changer de vélo qu’à changer les roues. En cyclo-cross ça peut se comprendre car ils changent déjà de vélo mais sur route ce sera plus difficile.

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Il y a toujours des vélos dans l’atelier de Guy … – photo ©Philippe

L’évolution des cadres m’a moins marquée … Comparé au vélo de Laurent de 84 on a de plus gros tubes. Quand je roule avec son vélo j’ai de bonnes sensations et parfois je me dis même que je me referais bien faire un cadre sur mesure en acier. Mais attention les cadres en carbone sont très biens … On dit que c’est trop rigide mais c’est pas vrai : personne ne s’en plaint. Pour les pneus, il y a 5 ans on a testé les tubeless dans le peloton des pros mais ça n’a pas pris. Maintenant ils sont passés aux pneus avec chambre et ensuite on est revenu aux boyaux, les coureurs disent que ça « rend » mieux. Par contre les sections ont évolué. Quand j’ai commencé en compétition j’avais des boyaux de 18 et maintenant les « pros » roulent tous en 25 et même des 28 sur Paris-Roubaix. D’ailleurs pneus ou boyaux le 25 a supplanté le 23.

Guy, as-tu une anecdote pour nos lecteurs ?

C’était sur le tournage du film « La dernière échappée » retraçant la fin de vie de Laurent. C’est l’acteur Samuel Le Bihan qui jouait le rôle de Laurent et ça se passait dans le Val d’Oise pas loin d’ici.  Le réalisateur m’a demandé de lui prêter le vélo de Fignon et en fait il a décidé ensuite d’utiliser plutôt le dernier vélo de Laurent qui était un Bianchi. Il y en avait un qui était stocké dans le garage de Valérie sa femme mais il était complètement rouillé. J’ai mis une semaine à le remettre en état et j’ai nettoyé rayon par rayon les roues avec du « ouator ». Un deuxième vélo de la même marque, qui lui était en parfait état, a été prêté par un collectionneur. Pour des questions d’assurances les vélos ont été alors estimés et l’expert chargé de l’expertise les a évalués chacun à 24 000 € … Une sacrée surprise ! … Mon Gitane historique a, selon l’expert, la même valeur … C’est drôle de rouler sur une « fortune » … Ça fait cher pour un vélo …

Le vélo de Laurent

Souvenirs, souvenirs, …

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le vélo Gitane avec lequel Laurent Fignon a gagné le Tour 1984 – photo ©Philippe

Voilà le vélo Gitane avec lequel Laurent Fignon a gagné le Tour 1984. La femme de Laurent l’a offert à Guy en souvenir du passé.

Ce vélo était le premier à avoir la gaine de frein qui passait à l’intérieur du guidon. Quand ça a été fait pour Laurent après l’étape de Grenoble et que le lendemain matin il a vu son vélo il a dit « Qu’est-ce que c’est ça … j’ai plus de gaine ? ... » nous précise Guy. D’ailleurs sur le Tour 84 c’était le seul a être ainsi équipé. Cette technique a été arrêtée par la suite car les guidons finissaient par casser.

Propos recueillis dans le garage de Guy Lecompte par Philippe Chaudiere

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