Avez-vous lu « Éloges du carburateur* » ? Paru en 2010, publié en France par les Éditions la Découverte, cet essai est écrit par Matthew B. Crawford (traduit en Français par Marc Saint-Upéry). Ce livre fait florès dans le monde des entrepreneurs en quête de sens dans leur activité professionnelle ? Il devrait même trouver un nouvel élan (grâce à Bike Café ? peut-être aussi …) suite à cet épisode de la Covid-19.
Quand des millions de salariés se retrouvent confinés, privés de travail et se rendent compte que leurs métiers respectifs ne sont absolument pas essentiels à la bonne marche du Monde. Pire, ces métiers intellectuels ne remplissent qu’une fonction, remplir un peu le compte en banque. Est-ce vraiment suffisant ? Ces constats, Matthew les a fait un peu avant tout le monde, ou plutôt il a mis des mots sur ces questionnements. Il était bien placé pour se faire, après des études brillantes il est bien payé pour bien réfléchir dans un Think Tank basé à Washington. À force de bien réfléchir, il constate que ses envies et ses aspirations ne sont pas là. Il démissionne et ouvre un atelier de préparation et de réparation de motos. De sa conversion professionnelle, il en fait aussi un livre (ou plusieurs) et devient dès lors un mécano philosophe ou un philosophe mécano. A la vue de cette photo, un mécano aux doigts en or.
Marie & Laurent sont associés pour le pire et le meilleur. Pour décider de l’avenir de la marque de vélo Avalanche ont-ils lu les œuvres de Matthew ? J’ai l’impression qu’ils n’en ont pas eu besoin. Que leur envie de toucher la matière, de créer des objets, de souder, de dessiner ne date pas d’hier. Ils sont au début de leur trentaine. Ils se sont rencontrés pendant leurs études supérieures, pour Marie c’était l’école Boulle** et pour Laurent l’ENSCI-les ateliers*** . Des études d’artistes et de créateurs en herbe ? Ce serait très réducteur de l’affirmer, quand bien même ce qui gène dans cette expression est la notion légère, et somme toute à côté de la plaque, de l’expression “en herbe”. Comme si être designeuse ou créateur industriel, n’était pas aussi ambitieux et sérieux que devenir footballeur ou Happyness office manager ? … Comme si je n’avais rien retenu de ma lecture de l’éloge du carburateur.
Le vélo est-ce d’abord un objet ou une promesse ?
La réponse à cette question ne se fait pas attendre … Je peux vous la donner, en écoutant ces jeunes entrepreneurs. Marie est une amoureuse du vélo « Depuis toujours … », nous confie-t-elle. Laurent, à l’inverse, n’éprouve au départ aucun intérêt pour cet objet jusqu’au jour, où à l’école on lui impose de travailler sur un projet de vélo.
Quand l’une aime le vélo pour ce qu’il promet, l’autre se passionne d’abord pour l’objet. Avec humilité et des étoiles dans les yeux Laurent nous glisse qu’il aime « Le vélo, cette machine tellement simple, mais aussi tellement complexe ». Une fois diplômés, ils exercent les métiers pour lesquels ils ont été formés. Chacun de leur côté, ce qui ne les empêche pas de rouler ensemble, à la recherche de cols alpins (Laurent est de Chambéry) ou d’expériences itinérantes en Écosse par exemple. L’envie d’avoir leur propre atelier est toujours là, ils dégottent un local à Montreuil (93), l’équipent et s’installent.
« Avoir notre propre atelier est une volonté profonde que nous avions depuis longtemps. Evidemment nous avions en tête un atelier pour y concevoir, souder, construire nos vélos. Aussi cet atelier est pour nous une assurance de continuer à toucher la matière à la travailler. Parce que chacun de nous dans nos métiers respectifs, nous finissions par passer beaucoup trop de temps devant un ordinateur plutôt qu’un établi ». Ils prennent aussi le temps de réfléchir à leur marque de vélo, Avalanche.
Un cadre à définir.
Je suis fier de ce titre, si subtil dans l’univers du vélo : « Un cadre à définir ». Quand au Bike Café nous nous intéressons à un produit ou une marque, comme une sorte de réflexe nous essayons de comprendre et identifier la promesse du produit proposé ou testé. Cette promesse va nous conditionner pendant toute la durée du test. Nous allons nous attacher à nous assurer que cette fameuse promesse est bien tenue. Parce que vous lecteurs et lectrices c’est ce que vous attendez, de la sincérité, de la curiosité, de l’information pour pouvoir vous décider, éventuellement vous cultiver, potentiellement vous titiller, vous bousculer.
Pour la marque Avalanche, ça va être difficile d’avoir cette approche un peu convenue, parce que Laurent et Marie ont du mal à répondre très clairement à cette question, avec Avalanche, que promettez-vous à vos clients ? Simple question, mais océanique. Ils bredouillent qu’ils veulent offrir du sur-mesure, qu’ils veulent autant que possible proposer des vélos Made in France. Qu’ils veulent construire de beaux vélos, de bons vélos, peut-être des vélos qui dureront une vie pour certains de leurs clients.
Quel fabricant de vélo sur-mesure n’a pas cette ambition ? En discutant encore avec eux, en grattant un peu, on se dit que définir cette promesse est peut-être un discours marketing, qui peut-être manque un peu de sens. Marie en a écrit des dizaines et des dizaines de positionnements de marque. Elle en a fait des dizaines de recommandations stratégiques, pour améliorer la fameuse expérience client. Ensemble ils savent, que créer sa marque de vélos sur-mesure, c’est ouvrir un champs des possibles infini. D’où peut-être ce discours simple : aujourd’hui Avalanche est tout simplement la promesse de vélos en acier, fabriqués artisanalement, en France.
Ils veulent aussi se développer, doucement, par étape. Ils apprennent. Gérer des fournisseurs, tenir un budget, tenir des délais, commercialiser leur marque, sont des aspects qu’ils vont devoir aborder probablement plus vite qu’ils ne l’avait envisagé. De son côté Laurent dessine des pattes de fixation de freins, ses propres raccords de tubes « Je ne veux pas être limité par les standards disponibles sur le marché, si je veux un angle différent de ce qui existe, je veux pouvoir le faire ». Alors il le fait.
Une feuille blanche, une histoire à écrire.
Le confinement a forcément mis un peu la zizanie dans leur programme de développement. Aujourd’hui 2 vélos sillonnent au quotidien les rues Parisiennes (les vélos de Laurent et de Marie), deux autres cadres sont prêts, ou presque. Si seulement le fournisseur anglais de peinture expédiait les quelques litres commandés pour finaliser cette étape avant de monter les spads.
Leur culture vélo et leur pratique tourne autour du vélotaf, du vélo de route et du gravel (ou bikepacking), c’est la gamme qu’ils ont envie de proposer, à terme. Ils ne savent pas encore si Avalanche restera du sur-mesure à 100% ou s’il faudra passer sur du montage à la carte avec une base de cadres définie. Ils verront bien. En tout cas, les géométries proposées ne seront pas conditionnées par ce qui est disponible sur le marché.
L’envie de plancher sur leur propre vélo-cargo n’est pas loin « Bah oui, ce serait tellement plus simple pour aller chercher nos outils, notre matière première. » Les prochains mois vont être dévolus à étoffer le nombre de vélos montés, prêts à rouler « Car évidemment il faut rassurer nos futurs clients », à 2000 € le kit cadre (en gros et en fonction des options choisies) c’est mieux de ne pas se tromper. « Et puis, notre formation est d’imaginer un objet de le visualiser, alors qu’il n’y a au départ qu’une page blanche ». C’est leur métier, pas celui des cyclistes, qui pour se décider ont besoin de toucher, de regarder. Certains ont même besoin de soupeser. « Ce sera aussi plus facile de franchir le pas, quand nous aurons plusieurs vélos en exposition ou sur les routes ».
Même si Laurent et Marie veulent prendre leur temps. Leur savoir-faire, leur philosophie, leur formation, leurs envies seront assurément de bons moteurs pour faire d’Avalanche une belle marque dans un futur proche. Si vous êtes submergé d’émotions en voyant ces vélos, contactez les, ils seront ravis de vous produire votre vélo, unique, magnifique. Ils sont prêts. Peut-être même que vous y intéresser aujourd’hui est une bonne idée, avant que le carnet de commandes ne fasse passer le délai de 1 mois aujourd’hui à 4 ou 5 dans quelques semaines. C’est tout le mal que l’on souhaite à Avalanche.
*pour en savoir plus sur “éloges du carburateur”
** l’école Boulle, n’est pas ce que vous croyez, cessez d’avoir l’esprit mal tourné
***ENSCI-les ateliers, première fois que j’en entends parler. Quelle tristesse de découvrir une telle école à plus de 45 ans
Bel article. Merci
@Olivier : joli commentaire, merci ! (et oui merci de prendre la peine de partager votre enthousiasme)
Amusant car le double triangle arrière fait penser à GT … qui a à son catalogue depuis fort longtemps, un vtt prénommé … Avalanche !