Si du haut du firmament des cyclistes, Charles Terront, premier vainqueur du Paris-Brest-Paris en 1891, voit le développement actuel du cyclisme d’ultra distance, il sera fier d’avoir ouvert la voie. Une nouvelle “génération ultra” s’aligne désormais au départ des épreuves longues proposées par des organisateurs inventifs. La période de confinement, suivie d’une libération porteuse de réflexions existentielles, leur ont donné envie de relever des défis. Certains ont changé de vie, d’autres ont voulu donner du relief à leur existence. Cette désinhibition collective a conduit bon nombre d’entre nous à chercher des forces enfouies sous la couverture douillette du quotidien. Le challenge sportif de l’ultra fait partie dorénavant de cette quête et une nouvelle vague de cyclistes déferle sur les routes et les chemins. Alors qu’ont-ils tous à faire de l’ultra distance ?
Photo de couverture : Race Across Spain 2025 – ©Robin ISSARTEL
Un contexte ultra favorable
Ce n’est pas un prince charmant qui a réveillé la “belle endormie” de la longue distance à vélo, mais c’est simplement une convergence de raisons qui lui a insufflé une nouvelle vie. La poussière du temps était venue se poser sur des organisations surannées. Le Paris-Brest-Paris était le seul événement majeur qui permettait d’apporter un peu d’oxygène aux brevets, 200, 300, 600 nécessaires pour déposer son inscription. Le pic étant enregistré l’année précédant celle de l’épreuve, qui a lieu que tous les quatre ans.
Lors des dernières décennies, la société a évolué et la période Covid que j’évoquais dans l’introduction a accéléré un phénomène que l’on sentait venir. Envie de nature, le souhait de réduire notre consommation effrénée, la recherche sur soi, la quête d’aventure et d’émotion… tout cela a amené certains cyclistes à porter leur regard sur l’ultra distance. Par ailleurs, l’évolution du matériel a apporté des possibilités qui n’existaient pas auparavant : le GPS, le bikepacking, les progrès techniques des vélos. Une trace qui s’affiche sur son guidon, quelques affaires rangées dans des sacoches scratchées sur le cadre d’un vélo équipé de pneus plus larges et de braquets plus “humains” et l’aventure peut démarrer en suivant le fil d’Ariane d’une trace GPX.
Voici une vidéo pour illustrer l’évolution des vélos et les choix matériels qui sont faits désormais par les cyclistes. Le jeune Louis Defaut (28 ans) remporte le BikingMan Corsica 2025 au guidon de son Van Rysel Aero. Découvrez sa configuration et quelques astuces sur sa stratégie de course qui lui a permis de boucler l’épreuve en 45 heures 23 minutes. Autrefois, la longue distance, c’était une bonne randonneuse en acier, des sacoches qui pendaient de part et d’autre du vélo, une dynamo qui frottait sur le pneu pour alimenter une lampe faiblarde, des cartes papier… le monde a changé.
Chrono ou pas chrono ?
Parfois les genres se mélangent et l’ambiguïté entre course ou pas course est fréquente
Certains diront que l’ultracyclisme est né en 1982 aux États-Unis, avec la Race Across America. D’autres nous rappelleront que le Paris-Brest-Paris, créé en 1891 par Pierre Giffard du Petit Journal, marque le début de son histoire. La Transcontinental Race créée en 2013 par le cycliste britannique Mike Hall est devenue un modèle en matière de course d’ultracyclisme en totale autonomie. L’Indian Pacific Wheel Race a scellé en 2017 le destin tragique de ce grand personnage du cyclisme longue distance. Ces monuments de l’ultra restent des objectifs à atteindre pour tous les cyclistes qui souhaitent les inscrire sur leur CV sportif. Il ne faut pas oublier les incontournables diagonales de France de la FFVélo, au nombre de neuf. La plus longue reste la Brest- Menton : 1 400 kilomètres à boucler en 116 heures, une bonne partie de manivelles !
Des organisations bien rôdées
Pour ceux qui aiment la data, l’endurance se mesure avec un chronomètre. Le résultat sera en jours, heures, minutes… et rarement en dixièmes, pour départager les concurrents. D’autres organisations parlent de randonnées longue distance en autosuffisance. Parfois les genres se mélangent et l’ambiguïté entre course ou pas course est fréquente, comme l’autosuffisance et la non-assistance souvent transgressées. À vous de sélectionner, dans une offre devenue pléthorique, des organisateurs sérieux qui sauront vous proposer un règlement clair, des parcours reconnus, des garanties prouvant que les autorisations officielles ont été demandées et que des moyens de sécurité existent en cas de problème.
Une autre catégorie est née de cette quête de défis : les randonnées permanentes. Vous récupérez une trace et vous la faites solo en témoignant de votre participation. Il y a déjà des classiques dans ce domaine comme les 7 majeurs, le Tourmagne, la super randonnée du désert, l’Omomarto, Torino – Nice…
Des initiatives personnelles
Podcast avec Thierry Saint-Léger entre l’Estonie et Paris
Comme si toutes ces possibilités de se lancer ne suffisaient pas, il reste l’idée personnelle, le truc qui tient à cœur, le bouchon de la bouteille que vous avez envie de faire sauter pour déguster le breuvage de l’aventure. Mon ami Thierry Saint-Léger a choisi de rouler en solitaire et en pignon fixe dans l’ombre de Charles Terront en reproduisant les exploits de cet illustre champion. Pour Stéphane Dugast, journaliste indépendant, auteur et réalisateur, il s’agissait de faire une échappée le long de la “diagonale du vide”. Cette ligne imaginaire qui traverse la France du nord-est au sud-ouest nous emmène dans les régions françaises les moins peuplées, des Ardennes au Massif central.
L’aventure en solitaire peut désormais être suivie, comme l’a été celle de mon ami Thierry Malécot qui utilise comme de nombreux cyclistes une application de carnet de voyage : Polarsteps.
Le podcast avec Stéphane Dugast
La valeur n’attend pas le nombre des années
Autrefois on pensait que l’ultra était un truc de vieux…
En 2008, âgé alors de 20 ans, Kilian Jornet remportait son premier UTMB. Par cette victoire, totalement inattendue, il apportait à l’époque un parfait démenti à ce monde sportif qui pensait que l’ultra était un truc de vieux. Plus récemment, le jeune Victor Bosoni (23 ans) a remporté la TCR (Trans Continental Race) devant de sacrées pointures de la discipline. La jeunesse considérée autrefois comme un handicap est devenue une qualité pour l’ultra. Inspirés par des films, des livres, des articles, des podcasts… les jeunes cyclistes de la génération Instagram s’intéressent très tôt aux belles et longues aventures. Les exemples qu’ils découvrent sont valorisés sur les réseaux sociaux et la quête d’exploits physiques qui est dans l’air du temps est une source de motivation. Un peu perdu dans toutes ces réflexions concernant l’âge et l’ultracyclisme, je me suis adressé à des organisateurs, spécialistes de la discipline.
Les vieux sont de plus en plus jeunes, et les jeunes mûrissent de plus en plus vite.
Pour Axel Carion, le potentiel des jeunes sur les courses longues pourra s’exprimer sur les aspects « technologiques » de ces épreuves, très différentes de ce qu’est un Paris-Brest-Paris, par exemple. « Sur les épreuves modernes d’ultra, on utilise des capteurs, l’ergonomie des vélos est libre et on autorise les aerobars. Certains pilotent dans la nuit et enchaînent les virages en descente sur le cadran de leur GPS. »
Écoutez le podcast avec Axel
Patrick Gilles, membre fondateur du club d’ultra Cyclosportissimo et inventeur des 7 Majeurs, un enchaînement de sept cols redoutables dans les Alpes, se souvient : « En 1998, j’avais 24 ans lorsque j’ai participé à Bordeaux-Paris. Mes compagnons de route, plus âgés, m’avaient pris sous leurs ailes, ils m’appelaient le gamin. » Effectivement, à l’époque, c’était rare de voir un moineau égaré au milieu de ces aigles de la route. Lorsque, 20 ans plus tard, Patrick est revenu sur les longues distances, il a constaté progressivement l’arrivée des jeunes. « Aujourd’hui, il y a toute une ribambelle de jeunes qui déboulent. Lors de ma participation à la RAF en 2021, alors que j’étais à la 14e place, j’ai essuyé un coup de fatigue et j’ai vu plein de jeunes entre 24 et 26 ans me rattraper, beaucoup venant du triathlon. »
“J’ai eu l’idée de créer la première Race Across France lors d’une sortie vélo en 2016…“, explique Arnaud Manzanini qui en 2015 devient finisher de la très difficile RAAM (Race Across America). C’est grâce à la lecture de son livre « Rêves Across America », paru chez Rossolis en 2019, que j’ai découvert le petit monde de l’ultra dans sa version chrono, qu’il a largement fait grandir depuis. Dix ans plus tard, c’est lui qui fait rouler les autres sur des courses d’Ultra distance avec des Race Across qu’il a inventées en démarrant en 2018 avec 42 participants, dont 19 sur la distance la plus longue.
Écoutez me podcast avec Arnaud Manzanini
Pour conclure
L’ultra est une discipline qui, implicitement dans son nom, exprime un côté extrême qu’il ne faut pas sous-estimer. Les exploits affichés, les belles images et le lyrisme qui les accompagne ne doit pas vous faire oublier la préparation physique et mentale nécessaires pour s’aligner au départ de ces épreuves. Pour ma part, j’y vois un nouveau cyclisme en quête d’aventures et un phénomène de société qui nous pousse à nous challenger. Poussés par la découverte de valeurs personnelles et celle de nouveaux territoires, les cyclistes d’ultra distance tirent de leurs expériences des satisfactions XXL.
L’ultra s’organise et mon conseil est de vous inviter à vous tourner vers des organisateurs sérieux, qui prennent en compte les règles en matière de déclaration auprès des autorités et qui assurent votre sécurité par des moyens appropriés. Aujourd’hui ces protocoles existent, comme le Cerfa n° 15827 pour les épreuves chronométrées. Pour la sécurité, le suivi par tracker et la mise en place d’un numéro d’appel ainsi que des “bases vie” sont à mon sens obligatoires. J’ai connu la mise en place de ces mesures dans le monde du Trail running et elles garantissent le bon déroulement des épreuves sans dénaturer la valeur des exploits sportifs réalisés, leur offrant ainsi une conclusion heureuse. Au chapitre de la sécurité une réflexion commence à se construire sur l’idée d’imposer une règle du sommeil. À ce sujet je vous recommande la lecture de l’article d’Eddy Pizzardini sur l’Équipe.
L’ultra peut s’exprimer individuellement. Dans ce cas, chacun devra considérer les enjeux que cela représente. C’est sans doute la forme la plus aboutie d’un expérience personnelle marquante. On peut passer par une période d’apprentissage en participant à des organisations officielles, avant de se lancer seul dans des projets “Off” pour lesquels on pourra imaginer en toute liberté le thème, la trace et les objectifs… L’ultra distance est un vrai challenge sportif et je comprends qu’il suscite un tel succès.
Pour contrebalancer un peu ce bel article, je me permets d’ajouter ces quelques réflexions.
Nous sommes dans une période où chacun a le sentiment de devoir accomplir quelque chose – sorte d’injonction social à la performance, au dépassement et à l’extrême. Une période où s’ajoute à cela la nécessité de montrer au monde, de prouver la force de son exploit personnel à travers des stats Strava ou un fil Instagram.
Performer dans un sport conventionnel – une discipline olympique – je pense au cyclisme sur route mais c’est valable aussi en voile, en course à pieds… devient impossible pour la majorité d’entre-nous puisque les niveaux des athlètes majeurs est exceptionnel. Ces performances ultra préparées, controlées, encadrées, rendent tout exploit personnel du commun des mortels finalement mineur en comparaison. Pourtant rouler 1h30 en 3eme Cat UFOLEP à 40km/h ce n’est déjà pas facile…
Alors dans cette ère où tout le monde doit montrer son exploit, l’amateur se détourne du classique pour chercher le sensationnel, le défi qui parlera et qui, rien qu’à travers son accomplissement, marquera le respect. Et oui, être finisher d’un évènement à vélo de 1200km ça parle à tout le monde même au profane de la famille autour d’une table le dimanche.
Il y a selon moi une question d’accessibilité – et au risque de froisser certains – je pense que l’ultra est d’une certaine manière plus accessible que la course conventionnelle – car même si c’est un réel effort physique et mental – rouler longtemps reste plus simple d’accès que la pratique de la course en ligne par exemple… J’ai comme l’impression qu’on s’écarte de l’effort originel pour aller vers le visible, le sensationnel…
La faute à qui me direz vous ? Il est certain qu’il y a des problèmes au sein de la Fédé qui attire moins dans les écoles de cyclisme et que nous sommes aussi dans une période où les investissements personnels dans les clubs et plus généralement dans l’associatif sont en déliquescence… c’est fini le petit critérium de village autour de la place ou du clocher… les gens veulent aujourd’hui des belles sapes PNS, de beaux évènements ASO ou RAF pour s’afficher comme héros et prouver à leurs communautés et à leurs compères de Coffee Ride qu’ils ont accompli quelque chose hors de la norme – caricatural d’accord mais peu-être peu vrai néanmoins, non ?
C’est en voile la même dynamique qui s’exprime avec des jeunes bourrés de tallent qui ont plus de mal à se faire financer une saison de préparation olympique qu’un Quadra néo-pratiquant qui se lance dans un projet de transat en solitaire avec une communication ultra léchée…
Je n’ai rien contre l’endurance ou l’ultradistance, que je pratique à ma manière d’ailleurs, mais je me questionne sur cet engouement grandissant au détriment des pratiques plus conventionnelles, qui sont pour moi tout aussi légitimes et qui méritent d’exister encore, de perdurer… Le cyclisme doit exister dans sa pluralité de pratiques et doit rester populaire. Populaire comme une course du dimanche dans un village au fond de la Charente…
Excellente réflexion Colas, je partage effectivement cet avis sur la “peur” de la course en ligne, qui reste le juge absolu tant redouté. Excepté pour l’élite qui va viser les premières places d’un Ultra, la démarche sur une épreuve de longue distance peut paraitre moins risqué sur cet aspect.
Très intéressant votre commentaire. Jai étais compétiteur en ffc et ufolep avec quelques victoires et côtoyé un certain niveau je n’ai jamais été contrôlé au niveau du dopage. Pire, je connaissais plein de compétiteurs qui prenaient des substances plus ou moins dopantes, dont certains cumulaient les victoires de village le dimanche avec un me certaine facilité. C’est, d’après ce que j’ai vu, ce dopage (souvent d’amateur plutôt riche d’ailleurs car le coût n’est pas anodin) qui était la cause première du dégoût des plus jeunes et qui a complètement rendu les pelotons amateurs d’un niveau bien trop élevé. Idem pour les fameuses cyclosportive (je participe encore hors de France et je n’ai jamais eu un seul contrôle).
Le phénomène viendra très vite aux ultra distances, gravel ect. Tout sera gangrené par le même type d’individus qui pourrissent le principe du sport. Et attention, on peut très bien gagner sans dopage, c’est tout à fait possible mais c’est le niveau général qui est faussé.
Merci Colas pour cet éclairage … Dans ces comparaisons entre sports conventionnels et nouveaux concepts il y a je pense une responsabilité structurelle liée aux lourdeurs administratives et fédérales dans notre pays. Ces modèles calqués sur le fonctionnement de nos institutions étatiques et régionales ont perdu progressivement de l’atrait. Par ailleurs une jeunesse plus branchée sur Instagram trouve des inspirations qui les attire plus. Le fossé se creuse entre le sport institutionnel et celui qui inspire plus de liberté …
La longue distance est souvent la recherche d’ un voyage intérieur qu’on ne trouvera pas en faisant des courses cyclistes autour des places de villages. Il ne faut pas sur-évaluer l’aspect “héros” de la longue distance, les vainqueurs y sont souvent modestes et ne sont connus que de ceux qui s’intéressent à la discipline, et encore.
C’est aussi l’occasion pour beaucoup qui n’ont comme défi que d’arriver à la fin du périple dans les temps, de se mesurer à eux mêmes tout en côtoyant des gens aussi passionnés qu’eux même. D’évoluer dans de magnifiques paysages plutôt que d’avoir toujours le nez dans le guidon et tourner en rond, à sucer des roues tout en risquant des chutes devenues trop fréquentes dans ce sport. A chacun son trip que ce soit de la course, de la sortie dominicale entre amis sur route ou en forêt, du voyage en solitaire ou de longues distances organisées, mais surtout, vive le vélo qui nous rend le sourire. La seule chose à corriger est peut être notre attitude sur la route, cyclistes, nous devons devenir irreprochables pour que les automobilistes soient, eux aussi, plus respectueux envers nous.
Les Diagonales et Eurodiagonales simplement citées sans en détailler l’esprit sont à mon sens injustement méconnues et à mes yeux pour une raison assez simple : un challenge hors norme car il implique de tenir un délai qui impose d’être à même de rouler plusieurs jours durant avec une moyenne kilométrique journalière et en totale autonomie.
Ce qui différencie les Diagonales de toutes ces épreuves ultra tient au fait que la publication d’un temps au contraire de toutes les ultras evoquees est une cause de discalifiquation.
Il semble que si l’envie de se dépasser est bien présente dans toutes cette pratique de la longue distance, l’envie de le faire savoir par le biais de trackers ou de publication de temps différencie les diagonalistes des autres amateurs de randonnées au long cours.
Notez au passage que l’inscription à ce challenge ne coûte pratiquement rien : 8 € mais que si vous le réussissez, vous aurez une authentification de celle-ci grâce à une forme de partenariat avec les commissariats de police des villes de départ et d’arrivée.
Pour en savoir plus, vous pouvez consulter le site des Diagonales de France.
https://ffvelo.fr/activites-federales/adherents/les-brevets/brevets-touristiques/brevet-des-diagonales-de-france/
Des diagonalistes de tous horizons temoignent de leur pratique sur un podcast bimensuel accessible par ce lien : https://www.podcastics.com/podcast/diagonalistes/
À titre personnel, je me permets de signaler mon site qui évoque en long et en large ces randonnées d’exception qui restent accessibles malgré leur niveau d’exigence à des cyclistes âgés (Pour ma part à 71 ans, l’aventure des Diagonales continue et je suis loin d’être le seul dans ce cas)
https://www.gegediagonaliste.fr/
Article vraiment intéressant, qui a engendré des réactions au moins aussi intéressantes.
Je ne suis pas qualifié pour pouvoir témoigner personnellement sur ce sujet de l’ultra et de la longue distance. Je remercie ceux qui le sont et se sont exprimés. Je ne peux, après réflexion, que constater à la suite de Patrick l’évolution selon les générations. Selon moi, il n’y a pas une seule cause. Ce changement générationnel en a plusieurs, comme l’article de Patrick le mentionne parfaitement. Une seule manque, à mon avis. Elle tient plus à la nature humaine, une cause anthropologique en quelque sorte : les jeunes générations ont besoin de sentir qu’ils font “leur propre truc”, différent de celui des générations les précédant. Nous oublions souvent que Paul de Vivie (Velocio), avant d’être un “apôtre” du cyclotourisme, était un innovateur, un précurseur. Il a réussi avec les moyens du moment à créer un mouvement qui s’est structuré comme ça se faisait à l’époque (fédération, publication de la revue, de son crédo, de ses codes (en opposition avec d’autres menant à a création de 2 fédérations)). En vieillissant, il est devenu cet apôtre que des générations de cyclos FFCT ont été appelées à vénérer. Mais c’est de l’histoire, les générations actuelles veulent leur propres Velocio (Mike Hall, Kilian Jornett, etc.), en suivant de nouveaux codes (réseaux sociaux, Strava, bikepacking, barbe et tatouages, rejet des accessoires à l’image vieillissante comme les sacoches). Le même phénomène se passe sur les sujets de société, de politique. Mai 68 était avant tout (selon ma lecture) un mouvement de jeunesse qui voulait “renverser la table” pour rompre avec la génération des jeunes résistants qui avaient leurs propres mythes (et pas que des mythes, on est d’accord). Ils ont embrassé les belles idées du communisme comme carburant de ce besoin et l’ont abandonné lorsqu’ils ont vieilli, commencé à bien gagner leur vie etc. Le même phénomène se passe avec le combat pour le climat, très justifié mais dont je pense qu’il est en grande partie le carburant actuel du besoin d’engagement et de rupture des jeunes générations d’aujourd’hui. La plupart des soixante-huitards se sont rangés à force de confrontation avec leurs propres contradictions. La même chose se passera pour la plupart des jeunes engagés sur les causes climatiques. Et la même chose se voit dans le vélo. “L’esprit des pionniers” des premiers adeptes du gravel, des ultras tend à se diluer avec son développement, l’arrivée des marketeurs et du changement d’échelle de ces disciplines.
Il me semble donc que derrière la manière actuelle de pratiquer le vélo, en rupture avec celle d’avant, se manifeste le phénomène normal et enraciné du besoin des jeunes de marquer des ruptures et de se dire qu’elles “ont fait quelque chose”. Qu’elles soient réelles ou artificielles n’est pas le sujet. L’essentiel est qu’elles soient vécues comme telles.
PS : pour ma génération, c’était le VTT.
Bien vu Vince … Effectivement je n’ai pas abordé cet aspect. Effectivement je constate cette fameuse dilution dans le gravel comme tu l’as vécue dans le VTT. La segmentation a beau tenter de relancer l’intérêt, rien à faire, c’est inéluctable. Il y aura des “résistants” comme les diagonalistes, dont je parlerai bientôt et qui depuis 1930 nous font réviser notre géométrie territoriale. Ils essaient d’utiliser les codes actuels, mais le passé est lourd et ça ne colle pas toujours avec l’air du temps. Merci pour ta lecture attentive et régulière de Bike Café.
Comment peut-on faire un article sur l’ultra sans mentionner Sofiane Sehili ?
18000 km en 63 jours de Lisbonne à Vladivostok (à priori il est aujourd’hui bloqué à la frontière chinoise à moins de 200km de l arrivé )
C est notre meilleur représentant de cette discipline depuis de nombreuses années
Il méritait bien une de vos interviews
Amicalement