Peut-on rentrer au Bike Café et discuter de Gravel et cyclisme professionnel, sans se prendre un tabouret sur la tête, ni (dans le meilleur des cas) agacer les graveleux les plus puristes qui fuient ce peloton bariolé affichant marques publicitaires en tout genre ou à l’effigie de quelques pays improbables (voire douteux diront certains)…
Et pourtant dans la chaleur de juillet, j’aperçois quelques habitués du comptoir qui, l’air de rien, en sirotant leur panaché, regardent du coin de l’œil, sur l’écran allumé au fond de la salle, les images d’un peloton emmené à vive allure par un bande de 9 types déguisés en noir, la bouche à peine entre-ouverte, les yeux rivés sur le capteur de puissance : 445 W, 110 tours minute, 9%, 25 km/h, 150 pulsations minute, 6,5 W/kg…
Alors quel rapport entre cette approche scientifique du cyclisme actuel et l’envie de sortir des sentiers battus, si caractéristique de la pratique du Gravel ? Il y a pourtant quelques courses du circuit pro qui méritent qu’on s’y attarde car leurs parcours passent par des chemins agricoles, où l’imprévu a encore toute sa place. Recensement non exhaustif des courses pro apparentées Gravel…
Les Flandriennes …
Tour des Flandres, Gand Wevelgem, Grand Prix E3, Het Volk, Kurnes Bruxelles Kurnes, Paris Roubaix …
Ces courses qui se déroulent entre février et avril en Belgique et dans le nord de la France ont contribué à la légende du vélo avec leurs secteurs pavés et leurs monts rugueux et pentus qui parsèment la campagne flamande. En 2017, le parcours de Gand-Wevelgem a même été agrémenté de plusieurs portions de chemins de terre de la guerre de 14-18. Ces « plugstreets » étaient empruntés par les soldats alliés pendant la Grande Guerre.
L’évocation de la tranchée d’Aremberg, du Mur de Gramont, du Vieux Quaremont, du Mont Kemmel, ou du Koppenberg, hauts lieux de l’histoire du vélo et de l’histoire tout court, ne peut pas laisser indifférent. Quand on pense que les plus grandes classiques se jouent sur ces bouts de chemins pavés désormais protégés car en voie de disparition … La marque de bière Malteni ne s’y est d’ailleurs pas trompée en lançant la Malteni Gravel Bootleggers qui revisite en mode gravel certains de ces secteurs pavés … Une course de 245 km, dont 70% sur des chemins de terre et 10% sur des pavés. RV le 7 avril 2018 pour la deuxième édition (limitée à 150 participants). Vu le nombre de places limitées, on peut tout de même se rattraper quelques semaines plus tard (28-29/04/2018) en participant à l’évènement Pavés de Chilkoot (voir cette vidéo) et ces 345 km sur deux jours et en autonomie entre Paris et Roubaix…
Les italiennes …
Ce sont sans aucun doute les courses qui possèdent le plus de charme.
La « Strade Bianche » qui existe depuis 2007 a été un succès immédiat. Elle est maintenant une des classiques les plus spectaculaires et visuelles du calendrier, avec sa cinquantaine de kilomètre sur les routes blanches de la campagne toscane au milieu du vignoble et des cyprès. Les images des coureurs grimpant ces collines, dans la poussière de pistes non goudronnées ne peuvent pas laisser indifférent. Cela donne forcément envie d’enfourcher son vélo, y compris pour les opposants les plus farouches à l’assistance électrique ou autres transfusions sanguines. La course de termine sur la superbe Piazza del Campo de Sienne, d’abord connue pour le Palio, où les 17 quartiers de la ville s’affrontent à travers des courses de chevaux.
Le lendemain de la course (souvent le premier WE de mars), les cyclos amateurs peuvent parcourir 130 km du parcours pro en mode Gran Fondo. Problème : cela tombe en même temps que la Gravel 66.
Et puis n’oublions pas l’Eroica, hommage nostalgique au vélo d’antan qui se déroule en octobre sur les routes blanches du Chianti, pas loin de Sienne.
Enfin, le Tour d’Italie (Giro d’Italia), course la plus romantique, aux parcours souvent novateurs réemprunte d’ailleurs parfois ces “strade bianche” de Toscane dans la première semaine de course (par exemple en 2010 ou 2016).
Et puis surtout le Giro a débusqué des cols de haute montagne Gravel qui nous renvoient au cyclisme d’avant 1960, lorsque les grands cols alpins ou pyrénéens n’étaient pas encore tous asphaltés. Le « Colle di Finestre » dans le Piémont italien au-dessus de Susa dont les 8 derniers kilomètres ne sont pas goudronnés a rapidement obtenu le statut de col « légendaire » après 3 passages du Giro depuis 2005 (il est d’ailleurs au programme du rallye Turin – Nice Gravel dont la deuxième édition vient d’avoir lieu en septembre dernier).
Les Bretonnes …
Créée en 1984 et ouverte aux pros en 1999, le Tro Bro Leon ou Paris – Roubaix breton emprunte des chemins de terre et des secteurs empierrés ; son organisateur Jean-Paul Mellouët explique « Comme je trouvais que toutes les courses se ressemblaient, j’ai décidé de lui faire emprunter les chemins de traverse, les fameux “ribinoù” en breton ».
Et le Tour de France ?
Plus grande fêtes populaire de juillet, vitrine médiatique du cyclisme professionnel, le Tour de France est cependant souvent à la traîne en matière de parcours innovants. Pendant très longtemps les tracés classiques se succédaient invariablement au fils des années : plaine, CLM, Pyrénées, Alpes ou inversement l’année suivante … Victime de son succès le TDF est devenue une grosse machine à la logistique imposante (4 à 5000 suiveurs …). La Caravane publicitaire ne peut pas passer partout. Les arrivées au somment du Puy de Dôme sont une histoire ancienne … Pourtant les organisateurs tentent depuis quelques temps de faire un effort et d’imaginer des tracés un peu différents, conscients que seules les étapes audacieuses peuvent éventuellement bousculer la programmation et l’organisation quasi scientifiques des grosses équipes actuelles.
En 2016 ASO a ainsi introduit, à petite dose, quelques pistes Gravel dans la 1ère étape de Paris – Nice arrivant à Vendôme.
Parfois aussi des sections pavées sont au programme du TDF et font d’ailleurs largement débat. Mais 2018 pourrait peut-être marquer un tournant. Car les rumeurs (qui prendront fin mardi prochain lors de la présentation officielle du tracé) parlent de plusieurs sections « Gravel » à différents moments du parcours.
D’abord il se murmure que les étapes bretonnes en début d’épreuve incluront les fameux “ribinou”, jusqu’à 30 km de chemin de traverse dans des paysages sublimes … Ensuite le secteur pavé du Carrefour de l’Arbre serait au programme d’une étape se terminant à Roubaix …
Et puis dans les Alpes, il se dit que la piste du plateau des Glières, récemment empruntée par la Résistance (lire aussi ici) serait peut-être au programme d’une étape de montagne. La Montée sur le plateau par des pentes à 10-15% suivie de cette section rugueuse qui sert de piste de ski de fond l’hiver serait incontestablement un moment à ne pas louper. Sans oublier le passage devant le mémorial des Résistants avant de descendre sur Thorens-Glières.
Alors le Tour 2018 se jouera-t-il sur une crevaison ?
RV le 17/10 prochain pour voir si et quand cela vaudra le coup de programmer son réveil pour interrompre sa sieste dans la torpeur du mois de juillet.
Et hors d’Europe …
Aux USA, pays des pistes Gravel par excellence, nous avons aussi recensé quelques passages non asphaltés lors du dernier tour de l’Utah …
Très belle article ! Je suis très très intéressé pour devenir moi aussi l’un de ceux qui laissent la route pour passer aux paysages fantastiques et chemins rugueux histoire de se soucier un peu moins du chrono et de regarder un peu plus droit devant (ou même sur les coté). En tous les cas ça donne envie 🙂
Très bel article effectivement dommage que je l’ai reçu en ligne après la parution du TDF , soit le 20/10 !!!
Il est paru sur le site le 13 octobre … on était dans les temps 😉 La newsletter envoyée aujourd’hui reprend nos articles parus les jours précédents.
Le tracé du TDF 2018 finalement présenté mardi dernier a confirmé :
– Les 2 km de piste sur le plateau des Glières, emprunté récemment par la Résistance. Cette section sera cependant très loin de l’arrivée et son impact sera sans doute limité
– Un peu plus d’une vingtaine km de pavés seront au programme d’une étape entre Arras et Roubaix
– Grosse déception par contre concernant les étapes bretonnes qui n’incluent pas les fameux chemins de terre ou “ribinoù”